C'est ce qui explique que les manifestations bien que répétitives ne diminuent pas et même battent des records en particulier les 12 et le 19 octobre dernier où 3,5 millions de personnes sont descendus dans la rue. Les cortèges sont de plus en plus combattifs et radicaux. Le secteur privé est très mobilisé et désormais la jeunesse (à cette étape essentiellement les lycéens) est aussi entrée dans la mobilisation. Car les jeunes ont compris que l'accès à un emploi à court terme et à une retraite à taux plein et en bonne santé, étaient, pour eux, fortement compromis par cette réforme.
Peu à peu l'ambiance a changé, nous sommes nombreux, très nombreux à penser que gagner est possible, que nous pouvons faire reculer Sarkozy.
Dores et déjà, à cette étape de la mobilisation, le gouvernement a perdu la bataille de l'opinion. En effet, 70 % de la population soutient les mobilisations et est opposée à cette réforme. Aujourd'hui, la majorité des travailleurs, des précaires, des jeunes savent que la question des retraites n'est ni une question démographique ni une question de financement comme essaye de nous croire le gouvernement depuis des mois.
Peu à peu, la grève s'est installée dans le paysage. A chaque journée de grèves et de manifestations, il est apparu de plus en plus évidemment pour de nombreux secteurs que des journées espacées ne suffiront pas à faire reculer le gouvernement. De fait, on n'a jamais autant discuté de grève reconductible que ces dernières semaines dans tous les secteurs d'activités, au point que 61% des sondés se disent favorables à des grèves prolongées. Il manque juste les directions des confédérations syndicales qui, même si elles sont poussées par la base pour continuer, se gardent bien d'appeler à la grève générale. Depuis le début du mouvement, l'unité syndicale est sans aucun doute un atout, un point d'appui dans la réussite des journées de grèves et de manifestations. Mais non seulement l'intersyndicale n'appelle pas à une confrontation sociale majeur avec ce gouvernement mais ne réclame pas non plus le retrait du projet de loi, seulement de nouvelles négociations, des amendements.
Pourtant des secteurs clés de l'économie ont décidé de se lancer ou d'amplifier les grèves reconductibles. C'est le cas par exemple des cheminots, de centres EDF, ou des raffineries. Concernant ce secteur, c'est du jamais vu depuis Mai 68. En effet, depuis le 14 octobre dernier, les 13 raffineries sont en grèves reconductibles avec arrêt total des installations et des expéditions de carburant vers les stations services et dépôts. La grève est extrêmement massive, reconduite à l'unanimité ou presque.
Mais ce qui est aussi marquant dans ce mouvement c'est que ça bouge de partout, chaque jour des initiatives, des actions de blocages (péages, routes, aéroports, zones industrielles...), des manifestations locales ont lieu de façon unitaires et interprofessionnelles. Des assemblées générales des différents secteurs mobilisés ont lieu également chaque jour, petites au début, elles sont de plus en plus importantes aujourd'hui. Il faut noter également que si il y a de nombreuses grèves ici et là dans le public comme le privé, les grèves reconductibles restent encore trop éparpillées, trop minoritaires et que les taux de grèves lors des journées nationales de grèves sont élevées mais pas extraordinaires.
Depuis quelques jours et en particulier depuis la journée de grèves et de manifestations du 19 octobre, la jeunesse est de plein pied dans la mobilisation, avec des cortèges très importants et dynamiques et des lycées nombreux bloqués. Il y a une détermination et une politisation chez eux, qu'on n'avait pas senti comme cela dans les mobilisations précédentes. Plus on les dit manipulés et plus on leur conteste le droit de manifester, plus leur détermination grandit. La mobilisation dans les universités est en train de prendre, petit à petit. C'est l'enjeu des jours qui viennent, à la veille des vacances scolaires des lycéens.
Face à cette situation, la droite, le patronat, le gouvernement et Sarkozy restent droit dans leur bottes pour défendre cette réforme injuste. Sarkozy installe le pays dans une situation de blocage, d'une épreuve de force. Le passage en force est patent comme l'illustre l'intervention policière contre les grévistes des raffineries ou contre les lycéens, les passages en force parlementaire et refus de toute discussion ouverte même avec les plus modérés des dirigeants syndicaux. Leur détermination s'explique car cette réforme est pour eux le cœur de leur politique d'austérité pour faire payer leur crise à ceux et celles qui n'en sont pas responsables. Réussir cette réforme, c'est donner des gages aux marchés financiers mais c'est aussi l'occasion, en France, de changer les rapports de forces et la répartition des richesses en faveur des plus riches. C'est aussi l'occasion de se débarrasser du " fardeau social et fiscal » conquis par les luttes des anciens et de mettre à genoux les secteurs les plus résistants. L'enjeu, pour Sarkozy, est aussi de rassembler son propre camp en vue de l'élection présidentielle. On le voit, aujourd'hui à travers la mobilisation contre la réforme des retraites, se jouent les rapports de forces globaux entre les classes. Sarkozy est loin d'avoir gagné. Il n'arrive toujours pas à briser ou à faire taire les résistances. Lui qui au début de son quinquennat se vantait que quand il y avait des grèves personne ne les voyait, a été démenti par la rue depuis mai dernier.
L'ampleur de cette mobilisation indique la possibilité de faire subir au gouvernement une défaite. C'est pourquoi l'unité de l'ensemble de la gauche sociale et politique dans cette lutte est impérative. C'est le sens de l'engagement du NPA dans toutes les initiatives unitaires et politiques permettant de regrouper nos forces et en particulier à travers le collectif national initié par la fondation Copernic et Attac. Mais cette unité autour du mot d'ordre " retraites à 60 ans et retrait du projet de loi » ne cache pas certains désaccords tant sur le fond que sur la stratégie d'action en particulier avec le Parti Socialiste. Ce dernier défend la retraite à 60 ans mais vote avec les députés de droite l'augmentation du nombre d'annuités à 41,5 annuités, ce qui dans les faits ruine l'idée de défendre la retraite à 60 ans. De plus face à la mobilisation grandissante, le PS nous refait le coup des promesses électorales pour 2012, préparant ainsi l'alternance. Quand aux divergences avec la gauche de la gauche, en particulier avec le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon, elles portent essentiellement sur la stratégie d'action. En effet, ce dernier défend la perspective immédiate d'un référendum déplaçant ainsi la mobilisation de la rue sur le terrain institutionnel alors que l'épreuve sociale est encore devant nous !
Le NPA apparaît depuis le début de la mobilisation comme un parti d'animateur des luttes, unitaire cherchant à unifier la population autour d'objectifs revendicatifs et politique : le retrait et sans doute à partir de la semaine prochaine l'abrogation de la loi et la démission des responsables de la crise sociale Sarkozy et Woerth. Nous développons également, indépendamment, des perspectives anticapitalistes, de rupture, un plan d'urgence social et politique face à la crise.
Les jours qui viennent vont être déterminants. La loi sera votée mais ne fera pas taire ou arrêter cette mobilisation car pour tous ceux et celles qui aujourd'hui sont dans la rue, en grèves, ce pouvoir est illégitime. De plus, nous sommes nombreux très nombreux à savoir qu'une loi même votée peut être retirée dans ce pays. Cela a été le cas avec le Contrat première embauche (CPE) en 2007.
A suivre donc.... ■
Paris, le 22 octobre 2010
* Sandra Demarcq et membre du Comité exécutif du Nouveau parti anticapitaliste (France) et du Bureau exécutif de la IVe Internationale. Cet article a été écrit pour la revue allemande de la IVe Internationale, Inprekorr n° 468/469 de novembre-décembre 2010.