Georges Dobbeleer est de ceux, rares aujourd'hui, qui durant toute sa vie militante ont tenu une chronique de ses activités, militantes et personnelles. Après un premier volume (Itinéraire d'un trotskyste belge, Syllepse, 2006, voir ici), il poursuit la publication de ce récit. La période couverte va de 1968 au tout début 2008. Un récit chronologique des activités multiples, aussi bien au niveau politique (l'essentiel) qu'au niveau plus privé. Aucune des causes, aussi bien belges qu'internationales qui marquent ces longues années, n'est oubliée : le soulèvement de la jeunesse dans son pays, les luttes au niveau mondial et leur impact sur la vie politique belge, la manière dont la presse de son courant en rend compte, etc. De ce foisonnement, retenons trois aspects.
Le premier a trait à la difficile articulation entre la vieille génération trotskyste entriste au sein du PS belge et l'émergence de la génération issue de la radicalisation des années 1960. Le choc est assez rude entre ces militants habitués à un lent travail au sein du monde ouvrier, construisant patiemment une opposition de gauche dans le mouvement syndical et l'irruption de la jeunesse radicalisée, pour qui la perspective révolutionnaire est immédiate, et la construction d'un parti indépendant la tâche de l'heure. La tradition de l'accumulation des forces militantes dans le mouvement syndical au cours des décennies précédentes, l'entrisme dans la social-démocratie belge, puis la construction du Parti wallon des travailleurs à l'issue de la grande grève de 1962 se heurtent au radicalisme et à l'impatience de la jeune génération radicalisée, qui se tourne vers l'expérience française de mai 1968. La section belge de la IVe Internationale connaîtra un difficile passage de l'initiative entre ces deux cultures militantes. Des militants chevronnés se mettront sur la touche au cours des années de la création de la Ligue révolutionnaire des travailleurs. Dobbeleer lui même prendra ses distances au cours des années 1980, devenant sympathisant et se consacrant d'abord à son activité de syndicaliste radical. Son récit permet de mieux saisir cette période de crise des cultures politiques dans un nouveau parti en construction, alors que la vague de radicalisation connaît un reflux.
Georges Dobbeleer n'a pas fait le choix d'une analyse ; il livre une description, hachée par l'aspect chronologique de son récit, des attitudes, discussions, conflits militants… Il fournit les informations qui incitent le lecteur à la réflexion.
Enseignant, Georges Dobbeleer a aussi noté l'évolution des rapports dans l'institution scolaire, les discussions pédagogiques avec en trame de fond l'inadaptation de l'enseignement secondaire traditionnel, devenu massif. Voyageur, aimant la montagne, il aura toute sa vie durant emmené ses élèves à la découverte et noté l'importance d'un élargissement de leur horizon pour leur réussite scolaire. C'est le second aspect de ce récit.
L'auteur pointe également — c'est le troisième aspect — les débats qui traversent le mouvement syndical de son pays, les limites de la radicalisation, alors que les bastions historiques du mouvement ouvrier wallon où, à force d'un patient travail d'opposition les militants révolutionnaires jouent un rôle important (les mines, la sidérurgie, la métallurgie, l'industrie du verre) connaissent les restructurations et les liquidations.
En deux volumes successifs, Georges Dobbeleer aura fourni des éléments indispensables pour qui s'intéresse à un plus d'un demi-siècle de l'activité du mouvement trotskyste en Belgique et, au-delà, aux difficultés de la réorientation et de la reconstruction du mouvement ouvrier. ■