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Les postiers paient la facture

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Dans la campagne ardéchoise (France), le service public est encore présent...jusqu'à quand ? Photothèque Rouge/Taous
On est en 1989 : l'entreprise d'État néerlandaise de la Poste, les PTT, est privatisée. Les années suivantes, l'entreprise est dépecée, la poste, la téléphonie et la télégraphie sont séparées, deviennent indépendantes et sont introduites en bourse. D'autres entreprises semi-publiques comme les chemins de fer, DSM (anciennes mines de l'État) subissent le même sort. Le néolibéralisme devient dominant, avec toutes les conséquences que l'ont sait.

Vingt ans après la privatisation de la Poste, la direction de l'entreprise privée Koninklijke TNT Post cherche la confrontation avec les postiers et leurs syndicats : ou bien les postiers acceptent une diminution de salaire de 17,5 %, ou bien il y aura 11 000 licenciements. Le personnel refuse et demande une hausse des salaires de 1,5 %. Le magazine Grenzeloos fait le tour de l'Europe et se demande si les problèmes actuels se posent de la même façon ailleurs.

Les Pays-Bas à l'avant garde

En ce qui concerne les privatisations, les Pays-Bas sont bien le meilleur élève de la classe. Le parlementaire européen du SP, De Jong, en est vexé. " L'Union Européenne a décidé que la privatisation du secteur doit être appliquée à partir du 1er janvier 2011. Les Pays-Bas sont en avance de ce calendrier, on est dans l'avant-garde ». En Belgique, on n'y va pas aussi vite. " Le secteur de la poste n'est pas encore privatisé en Belgique, puisque l'État possède encore 51 % des actions, le reste appartenant à un groupe de bancassurance britannique. Mais l'arrivée de nouvelles entreprises privées en 2011, a provoqué d'importantes réorganisations » selon Serge Alvarez-Fernandez, postier depuis 21 ans à Bruxelles. Le marché belge n'est pas encore totalement ouvert, mais d'autres entreprises peuvent déjà gérer l'envoi par exprès et les colis. Les principaux acteurs nouveaux sont DHL, FedEx et la TNT néerlandaise.

La situation en Angleterre est comparable à celle de la Belgique. Pete habite Londres, il travaille depuis 20 ans à la Royal Mail britannique : " La Royal Mail est toujours une entreprise publique, mais elle connaît une libéralisation graduelle ». Le courrier est livré en partie par TNT et par la Deutsche Post. Pete : " Aucune de ces entreprises n'a l'infrastructure pour la livraison à domicile. Ce qu'ils font, c'est trier les envois groupés des entreprises par région et ensuite c'est la Royal Mail qui devient leur sous-traitant ».

La Poste est toujours une entreprise publique en France. Christophe travaille depuis plus de 16 ans à la poste à Paris. " Tous les partis, y compris ceux de droite, si on veut croire leurs déclarations, s'opposent à la privatisation. Mais les partis de droite ainsi que la social-démocratie sont d'accord avec l'idée de "modernisation" de la poste ».

Aux Pays-Bas, la privatisation a eu des conséquences lourdes sur les salaires et les conditions de travail des postiers. Rob van der Post, 54 ans, postier depuis dix-sept ans chez TNT Post : " La libéralisation a ouvert le marché néerlandais à des entreprises telles que Sandd et Selekt Mail. En permettant cela, les salaires et les conditions sociales des travailleurs actuels de la Poste sont sous pression. Le gouvernement est incapable d'imposer à ces francs-tireurs le paiement de salaires normaux. TNT Post vient de lancer, contre cette concurrence, une alternative moins chère : Netwerk VSP (filiale à cent pour cent de TNT Post). Conséquence : TNT Post est en train d'utiliser les ressources financières de l'ancienne entreprise et devient débiteur sur un marché malade avec un volume en baisse. C'est la TNT qui verse maintenant des larmes de crocodile en se plaignant des pratiques des nouveaux arrivants sur le marché ».

L'État vient de perdre, juste avant Noël, une plainte en justice de la part des entreprises postales Sandd et Selekt Mail. Ces deux concurrents de TNT Post paient leurs salariés avec un salaire à la pièce. Le Secrétaire d'État des affaires économiques, Frank Heemskerk (PvdA, parti social-démocrate néerlandais) veut que cela change, parce que les salariés de ces entreprises n'ont aucun droit. Heemskerk avait obligé les entreprises postales à donner un contrat en CDI à 10 % des salariés. Ce chiffre devrait atteindre les 80 % fin 2012. Mais avec la décision de la justice, ils pourront maintenir les salaires à la pièce.

Dumping des salariés en CDI

La TNT se défait clairement des salariés à temps plein en les remplaçant par des salariés à temps partiel ou à contrat flexible (temps partiel ou contrat sur appel). Il s'agit souvent de femmes ou de jeunes, mais également de retraités récents qui obtiennent ainsi un supplément à leur petite retraite. Ce sont des travailleurs qui ne dépendent pas en premier lieu du travail à la Poste, ils s'organiseront moins et n'exigeront pas un meilleur salaire. En segmentant le travail, la TNT établit des échelles de salaire plus bas et des salaires encore moins élevés.

Rob van der Post : " TNT Post a affirmé dans les médias que, dans six ans, il n'y aura plus de travailleurs à temps plein dans l'entreprise. On déclare aujourd'hui à la Chambre que le marché de la poste est malade et qu'il y a une guerre des prix. Mais c'était quand même le but de l'ouverture du marché ! Le sort des postiers de la TNT et aussi des salariés des nouvelles entreprises de la Poste, ne s'est pas amélioré. Les ménages néerlandais voient que la distribution postale ne s'améliore pas, que l'envoi d'une lettre n'est pas moins cher ni que son acheminement est plus rapide. Avec les changements de personnel, le management augmente par tous les moyens la pression et l'intimidation des salariés. Les cadres actuels prennent de plus en plus de mesures disciplinaires, on retient par exemple une heure de salaire pour de petites " fautes ». On ne peut se rendre aux toilettes qu'avec l'accord du chef d'équipe, on nous impose l'interdiction de parler et de manger pendant les heures de travail. Et ce sont les cadres qui remplacent le médecin en décidant si tu es malade ou pas. »

En Belgique, 60 % des postiers sont encore des fonctionnaires. Mais depuis quelques années, les CDD ne sont plus transformés en CDI et ceux qui quittent l'entreprise sont remplacés par des intérimaires. Même pourcentage de fonctionnaires (60 %) en France où depuis 2002, la Poste ne recrute plus de salariés en CDI. Christophe : " Chaque année, il y a perte de postes de travail. La filiale Mediapost ne recrute que des temps partiels. Dans certaines filiales, on travaille à la pièce. Chez Colipost, les salariés n'ont plus de voiture de fonction, ils utilisent leur propre voiture. »

Rôle du mouvement syndical

Aussi bien aux Pays-Bas que dans les autres pays, les postiers font pression sur leurs syndicats pour des actions.

Pete : " La Royal Mail embauche de plus en plus de travailleurs à temps partiel. Mais la direction, malgré quelques succès initiaux, rencontre de plus en plus de résistance de la part des syndicats. La majorité des postiers travaille encore à plein temps. Des membres du grand syndicat des postiers, le CWU, sont en lutte contre des pertes d'emploi. Il y a eu des grèves spontanées, d'abord au niveau régional, puis cela s'est élargi au niveau national avec des grèves perlées. Beaucoup de gens craignent que si la Royal Mail réussit à embaucher plus de travailleurs à temps partiel, cela ouvrira la voie à une privatisation complète. »

En Belgique aussi, il y a des grèves. " La Poste veut remplacer les travailleurs actuels par des temps partiel de trois heures par jour et pour un salaire plus bas » selon Serge Alvarez-Fernandez. " Les deux syndicats, social-démocrate de la FGTB/ABVV et chrétien de la CSC/ACV, soutiennent les actions mais ils rechignent à les coordonner. Les branches flamandes des deux syndicats sont d'accord avec la nouvelle convention collective, ce qui a paralysé les actions en Flandre. »

Tout est apparemment calme en ce moment chez la TNT Post au Pays-Bas. Mais il y a de sérieux remous internes. La pression de la base sur les directions syndicales pour entrer en action augmente de plus en plus.

Van der Post : Les syndicats sont en faveur du maintien de l'emploi mais ils veulent également recruter des adhérents dans les nouvelles entreprises postales. Si les syndicats n'en prennent pas l'initiative, il n'y aura pas de grèves chez TNT Post ». La concurrence actuelle entre le syndicat des postiers chez TNT Post, affilié au syndicat des fonctionnaires, et le syndicat du secteur privé dans les nouvelles entreprises postales est un frein supplémentaire et le manque de solidarité est nuisible aux intérêts de tous les salariés de la poste.

Le parlementaire européen du SP, Dennis de Jongle se reconnaît dans la situation décrite par les postiers : " Chez TNT, on voit bien les conséquences de la privatisation d'un secteur non marchand qui aurait dû rester un service public ; après la privatisation, la TNT risque d'être coupée en morceaux qui seront des proies faciles pour les groupes de capital risque. »

Quel avenir ?

L'avenir de la Poste en Belgique reste incertain. Elle est dans l'obligation de distribuer le courrier chaque jour et sur tout le territoire. Mais selon la nouvelle loi sur la Poste, les concurrents privés ne doivent le faire que deux fois par semaine et pas sur l'ensemble du territoire. Alvarez-Fernandez : " La position économique de la Poste devient plus difficile, car dans ces conditions, la concurrence sera dure ».

En Angleterre il n'y a qu'un seul syndicat chez les postiers, l'Union des Travailleurs de la Communication (CWU). Ce syndicat s'est toujours fortement opposé à toutes les tentatives de privatisation de la Poste aussi bien de la part des Conservateurs que du New Labour. Ce dernier est officiellement contre la privatisation de la Poste, mais sa position concrète est différente. " New Labour a essayé d'obtenir une privatisation partielle de la Poste, mais celle-ci est reportée. Les conservateurs et les libéraux-démocrates sont pour une privatisation totale ».

En France, l'avenir de la poste reste incertain. Christophe : " Des partis de gauche comme le Parti Communiste, le NPA et les syndicats défendent l'idée d'un service public et s'opposent à la privatisation ». Dennis de Jong : " Il est possible que la France choisisse le statut d'une entreprise indépendante dont une majorité des actions restera aux mains de l'État. Mais il faudra quand même, suite aux directives européennes, ouvrir le marché aux concurrents ».

Avec la crise économique mondiale, on pourrait penser que le néolibéralisme serait également en crise, il n'en est rien. Une nouvelle vague de privatisations, une flexibilisation accrue et la destruction de la sécurité sociale, sont devant nous en Europe.

Il est donc très urgent que les militants syndicaux en Europe se rencontrent car tout mouvement commence par l'information des gens, par des échanges d'information au niveau européen. Est-il tellement difficile, à l'heure des réseaux Internet, de construire un tel réseau syndical au niveau de l'Europe ? Et cela, pas uniquement au niveau des directions, mais aussi au niveau des militants et des membres. Les similitudes des situations ne pourront que renforcer la volonté de lutte au niveau international. On se sentira moins seuls et la dynamique de l'action jouera au-delà des frontières. ■

* Lot van Baaren et Paul Benschop militent au sein du Parti socialiste néerlandais et de Socialistische Politiek (SAP, Politique socialiste alternative, section néerlandaise de la IVe Internationale). Nous reproduisons ici leur article paru dans le magazine du SAP, Grenzeloos n° 105 de janvier-février 2010.

traducteur
Marijke Colle (du néerlandais)

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