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L'heure de vérité se rapproche

par Isaac Johsua
Une de l'Express en octobre 2008. Photothèque Rouge/Babar
L'effondrement des Bourses, les 4 et 5 février 2010, a montré que la crise entrait dans une nouvelle phase. L'automne 2008 avait vu le paroxysme de la crise financière et, dans la foulée, sa transmission à l'économie réelle. Cependant, après une chute phénoménale en 2009 du PIB américain de - 2,4 % (sans véritable précédent depuis la grande crise), on avait cru pouvoir noter un redressement, vite baptisé " sortie de crise ». Illusion : l'économie mondiale était en état de lévitation, touchant à peine le sol, portée à bouts de bras par un soutien public d'une extraordinaire ampleur. Laissant filer les déficits, se portant au secours des banques, mettant en œuvre des plans de soutien, les déficits publics ont atteint d'incroyables niveaux : 10 % du PIB aux États-Unis, 8 % en France, plus de 12 % au Royaume-Uni. Du coup, l'endettement public a crevé tous les plafonds, atteignant 85 % du PIB aux États-Unis ou 76 % en France.

Comme dans un match de rugby on se refile un ballon qui brûle les mains, ainsi a-t-on transformé le surendettement des ménages américains en surendettement des États. Quand un débiteur s'avère incapable de faire face aux échéances, il n'y a que deux façons de s'attaquer à la dette en suspens : la transférer ou l'annuler. Annuler les dettes aurait signifié entrer dans une crise financière, puis économique, de très grande ampleur ; on a préféré, encore une fois, la fuite en avant, et la dette privée a été transformée en dette publique. Ainsi, le problème n'a pas été surmonté, mais seulement déguisé, et déplacé.

Le surendettement public est universel, mais il y a toujours des maillons faibles. Ceux-ci se nomment Grèce, Espagne, Portugal, Irlande. La Grèce (dont la dette publique devrait atteindre les 125 % du PIB en 2010) a été placée de fait sous tutelle de la Commission européenne. Mais les autres pays ne sont pas en reste et les pourcentages correspondants prévus pour 2010 s'élèvent à 85 % pour le Portugal, 83 % pour l'Irlande (44 % en 2008), 66 % pour l'Espagne (40 % en 2008).

Il était évident dès le départ que cette situation ne pouvait pas durer. Le privé (consommation des ménages, investissement des entreprises) devait prendre la relève du public, permettant à celui-ci de se retirer. Le grand problème est que le privé n'a toujours pas embrayé sur le public, et le grand changement est que commence à prévaloir dans l'establishment la crainte qu'il en soit encore ainsi pour de longs mois.

L'idée qu'en somme la crise est loin d'être terminée, et que nous ne sommes pas dans un schéma en V, ni même en W, mais sans doute plutôt en L. Or, les plans de redressement des finances publiques qui ont été présentés jusqu'ici sont tous basés sur l'hypothèse d'un redressement vigoureux de l'économie, qui permettrait de réduire les déficits plus par l'accroissement rapide des recettes fiscales que par la réduction drastique des dépenses publiques.

Si le redressement attendu n'est pas au rendez-vous, exit l'hypothèse d'une montée rapide des recettes fiscales et les gouvernements des pays qui sont dans le collimateur des investisseurs sont placés devant un dilemme redoutable. Soit ils poursuivent le soutien à l'économie, évitent son effondrement, mais entrent dans une spirale autoentretenue dont on ne voit pas la fin, car ils aggravent leurs déficits de telle sorte que ceux-ci sont de plus en plus coûteux à couvrir. Soit ils abandonnent le soutien à l'économie, retirant l'échafaudage public, mais ils risquent alors de précipiter l'économie dans les profondeurs, sans avoir pour autant la garantie d'une réduction du déficit public.

Ces pays sont tous membres de l'Union européenne, et on peut penser qu'ils auraient droit à un soutien de l'Union en tant que telle ou de certaines de ses composantes. Mais si les principales puissances économiques européennes décident d'aider ceux qui se débattent avec de l'eau jusqu'au cou, elles risquent d'être entraînées et de couler à leur tour, et ce d'autant plus qu'elles sont elles-mêmes très endettées. Si ces puissances ne le font pas et que les pays les plus directement menacés font défaut sur leur dette, elles savent que la crise sera relancée de façon spectaculaire et qu'elles sont les suivantes sur la liste.

" Les marchés » ne pensent pas, ne parlent pas, ils envoient des signaux, mais ceux-ci sont, en l'occurrence, assez clairs. " Les investisseurs » sont manifestement de plus en plus convaincus que les pays menacés ne pourront plus soutenir leurs économies très longtemps. Il faudra alors sortir de la situation " par le bas », c'est-à-dire rechercher le redressement des finances publiques surtout par la réduction des dépenses. Inutile de se faire des illusions : après avoir volé, à fonds perdus, au secours des capitalistes, c'est aux travailleurs que ces gouvernements demanderont de faire des sacrifices, par augmentation des impôts ou destruction des services publics. L'effondrement des marchés qui vient d'avoir lieu peut alors facilement être interprété comme un sévère coup de semonce, un appel aux gouvernements sur la sellette de se mettre dans les plus brefs délais à l'ouvrage, de montrer qu'ils sont capables de s'attaquer à la masse de la population pour sauver une infime minorité. Aux travailleurs d'organiser la résistance, car cette crise est celle du capital, il n'est pas question d'en payer les pots cassés. ■

8 février 2010

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