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Une mobilisation de masse en construction. Entretien avec Philippe Azéma.

par Philippe Azéma
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Philippe Azéma, un des fondateurs du Collectif des organisations syndicales, politiques et associatives de La Réunion (Cospar), est porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste de La Réunion (NPAR) et militant de la IVe Internationale.

Comment s'est formé le Collectif des organisations syndicales, politiques et associatives de La Réunion (COSPAR), à l'origine de la mobilisation actuelle ?

 

Philippe Azéma : Le COSPAR s'est formé bien sur sous l'influence de ce qui se passait en Guadeloupe. Les camarades guadeloupéens étaient en grève donc, nécessairement, ne serait-ce que par affinité sentimentale, il fallait une réaction. A l'origine deux associations travaillant sur le chômage — Agir Pour Nout Tout et Agir contre le chômage Réunion — ont pris l'initiative de convoquer les premières réunions unitaires. Au fur et à mesure toute une série d'organisations syndicales, politiques et associatives sont venues s'agréger, ce dont témoigne le sigle même de notre Collectif. Aujourd'hui on en est à une quarantaine d'organisations regroupées au sein du COSPAR.

 

Quelles sont les forces en présence à l'intérieur du COSPAR ?

 

Philippe Azéma : D'abord il y a le mouvement syndical, dont les principales composantes sont la CGTR, la CFDT, l'UNSA, la FSU — il n'y a que FO qui est absente, mais certains syndicats FO ont intégré le COSPAR. La composante syndicale est donc très large et très puissante. Il y a aussi les étudiants (UNEF), en grève tout janvier, et les lycéens (UNL), dont les mobilisations ont pesé le 29 janvier. La composante associative est très multiforme, cela va depuis l'Association des diplômés-chômeurs de la Réunion jusqu'à des associations culturelles, des associations qui travaillent sur les frais bancaires, la Confédération nationale du logement, sans parler des deux associations qui furent à l'origine du Collectif, qui sont centrées sur le chômage, la misère, l'emploi, l'insertion… Ces associations apportent beaucoup en termes de réflexion, c'est une grande richesse pour le collectif. Finalement il y a la composante politique, sept ou huit organisations, dont bien sûr le Nouveau parti anticapitaliste de La Réunion (NPAR), qui est parmi les initiateurs, le Parti communiste réunionnais (PCR), le parti socialiste — qu'on voit de temps en temps, plus rarement, mais qui a signé la plate-forme, les Verts, le Parti de gauche et d'autres petites formations.

 

Le COSPAR fonctionne en tant que collectif central, mais y a-t-il des formes d'auto-organisation à la base ?

 

Philippe Azéma : Non et c'est une faiblesse. On essaye de peser sur le collectif pour tenter de décentraliser les actions et c'est relativement difficile. Cela renvoie au déficit démocratique que connaît la Réunion. Les pratiques politiques et sociales sont dépendantes d'un " papa », d'un chef, c'est-à-dire que si les travailleurs, la population, se mettent volontiers en lutte, cela s'accompagne d'une délégation du pouvoir systématique. Cela renvoie aussi à ce qu'était la plantation, à son organisation au XVIIIe siècle, au " maître »… Le rapport à l'auto-organisation est donc très complexe, non que cela soit impossible, mais c'est difficile. On a donc une structure qui est trop centralisée et il est difficile de bouger sur ce terrain car cela tient aussi à ce qu'est notre pays. Même si certains camarades poussent dans le sens de la décentralisation des actions, d'une discussion avec la population — par exemple samedi 14 mars nous allons faire deux meetings dans deux villes — c'est un effort laborieux. Quelque part, même au sein des organisations ouvrières, cela reflète le déficit démocratique dont nous souffrons.

 

Les manifestations du 5 mars furent très importantes. Comment se sont-elles déroulées ?

 

Philippe Azéma : Au total , les deux manifestations — à Saint-Denis et à Saint-Pierre — ont regroupé 35 000 personnes. Ces chiffres dépassent les manifestations habituelles, même importantes (1). Leur composition a aussi été différente : traditionnellement on y compte un grand nombre de personnel de l'éducation nationale, beaucoup de communaux et peu de chômeurs, peu de jeunes, peu de travailleurs du privé. Le 5 mars la composition était différente, avec un poids important des travailleurs de privé, qui sont entrés en grève — pas massivement, mais de manière significative, de jeunes — beaucoup de jeunes, des gens qui souffrent — des RMIstes (2), des gens qui sont aux Assédic (3) depuis de nombreuses années, qui tournent en rond, des mères de famille complètement désarmées face à la crise. C'étaient donc des manifestations très populaires. Pour nous à la fois par le nombre et la composition il s'agissait de manifestations très importantes.

On a fait un deuxième manifestation hier, le 10 mars, mais il y avait deux fois moins de monde, car il est très difficile de mobiliser le privé, les patrons sont très vifs — on a beaucoup de petites structures (PME, entreprises artisanales, entreprises d'insertion, chantiers pour contrats aidés…) où il est très difficile de militer syndicalement, donc il n'est pas facile de mobiliser une deuxième fois au même niveau. Maintenant on travaille sur l'hypothèse du 19 mars en essayant de rééditer l'exploit du 5 mars…

 

Les médias en France ont surtout insisté sur les échauffourées…

 

Philippe Azéma : Il y a eu des échauffourées hier, en particulier à Saint-Denis. Car il y a des couches de la population, en particulier des jeunes, qui sont vraiment exaspérées, qui expriment leurs revendications non pas avec des slogans, mais avec des galets. On vit une situation de désespoir pour une fraction très importante de la population. Toute la nuit dernière il y a donc eu des incidents et on en attend d'autres cette nuit, parce que les jeunes sont révoltés. C'est une expression politique qui reflète la crise brutale qui ravage ce pays et dont la jeunesse est particulièrement victime. Cela dit, on n'en est pas à l'émeute, il faut garder les proportions, c'est une cinquantaine de jeunes qui ont affronté les gardes mobiles, rejoints par des manifestants qui avaient été gazés. Ce qu'il faut souligner, c'est qu'il y a un durcissement très sensible de l'attitude de la Préfecture, qui a fait venir ces derniers jours des renforts substantiels de gardes mobiles voulant visiblement en découdre. Ils ont pourchassé les jeunes jusqu'au quartier populaire du Chaudron, le quartier d'où sont parties les émeutes en 1991. On peut donc dire que la répression joue avec le feu.

Le durcissement de l'attitude de l'État est très sensible, y compris dans les négociations avec la Préfecture. C'est, en gros, " Fermez votre gueule !», " On vous donne un certain nombre de choses, alors vous avez intérêt à ne pas trop bouger ». Si ça continue comme ça, cela va mal se passer : la Réunion est calme, mais quand ça s'embrase, ça s'embrase très vite et très fort…

 

Comment le COSPAR envisage-t-il la suite ?

 

Philippe Azéma : Notre logique aujourd'hui, c'est de construire une mobilisation de masse. Donc de maintenir l'action des travailleurs, de la population, des RMIstes. Cela n'est pas toujours évident et y compris au sein de notre plate-forme on a des discussions difficiles.

Le point central de notre plate-forme, ce sont les minimas sociaux. On est sur une position qui consiste à dire que les bas salaires doivent bénéficier d'une augmentation immédiate de 200 euros, mais cette augmentation doit également concerner les titulaires du RMI, les jeunes étudiants, les basses retraites — il faut savoir par exemple que chez nous la moyenne des retraites agricoles est de 440 euros et qu'il y a des gens qui sont vraiment dans la merde. Nous ne voulons donc en aucun cas détacher la revendication sur les bas salaires de la revendication des minimas sociaux. Et sur ce terrain pour le moment nous sommes dans une situation de blocage.

Les négociations sont donc très difficiles. On arrive actuellement à arracher au MEDEF 50 euros, avec une intervention de l'État de l'ordre de 100 euros, les collectivités locales — contrairement à la Guadeloupe et à la Martinique — n'interviendront pas, dans la mesure ou elles estiment, et nous ne sommes pas hostiles à cela, qu'elles doivent intervenir d'abord sur leur propre personnel. Ce genre d'accord ne concernerait que le privé, ce que nous ne pouvons pas accepter, car les travailleurs du public — et en particulier 13 000 employés communaux sous-payés qui sont dans une situation détestable de soumission aux maires — doivent bénéficier de la même augmentation que les travailleurs du privé. Donc on est sur une problématique assez différente de celle de la Guadeloupe car nous nous attachons à avancer sur les minimas sociaux. Ça coince… On vient de faire une estimation " à la louche » et pour les augmenter de 200 euros à La Réunion, il faut approximativement 400 millions d'euros annuels. Donc en termes revendicatifs, on est sur une base haute.

 

Le COSPAR avait appelé à un début de grève reconductible à partir du 10 mars…

 

Philippe Azéma : Comme la mobilisation d'hier était plus faible que nous l'espérions — 15 000 personnes ce n'est quand même pas rien ! — on a eu une discussion tendue au sein du COSPAR. La position retenue collectivement n'est donc pas nécessairement tout à fait la mienne… mais je ne veux pas ouvrir des polémiques. Le choix qui a été fait c'est donc de ne pas appeler là, tout de suite, à une autre journée de grève, car les camarades ont estimé que nous n'avions pas les reins assez solides… On rebondit donc sur le 19 mars, avec des actions intermédiaires. Par exemple, cet après-midi nous avons envahi le local du MEDEF et il y a eu une série d'opérations " coup de poing » sur d'autres objectifs. Et nous préparons des meetings pour samedi et dimanche. Tout cela dans l'idée de refaire du 19 mars une journée à 30 000 manifestants.

Propos recueillis au téléphone le 11 mars 2009 par Jan Malewski

 

 

 

1. On compte environ 800 000 habitants à La Réunion. En 2003, environ 37 % de la population réunionnaise avait moins de 20 ans. Saint-Denis, la préfecture, compte 140 000 habitants. Les autres villes principales sont : Saint-Paul (100 000 habitants), Saint-Pierre (75 000), Le Tampon (70 000), Saint-André (52 000), Saint-Louis (50 000), Le Port (39 000), Saint-Benoît, 35 000 et Saint-Leu (30 000).

2. Terme employé pour les titulaires du revenu minimum d'insertion (RMI) : les personnes ne disposant pas de revenu au sein de leur famille peuvent le réclamer à partir de l'âge de 25 ans.

3. Associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, chargées aussi du versement des allocations.

 

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