Pas d'accord avec les cadres du PASOK qui proposent le gel des salaires, la fin du repos du dimanche et des rapports de travail encore plus élastiques…Alexis Tsipras, né en juillet 1974 à Athènes, a été élu président de Synaspismos lors du cinquième congrès du parti en février 2008, devenant le plus jeune dirigeant d'un parti politique représenté au Parlement. C'est lors des élections municipales de 2006 que ce jeune ingénieur est apparu sur le devant de la scène politique, lorsque la liste « Cité ouverte » de la Coalition de la gauche radicale (Syriza) a remporté 10,51 % des suffrages à Athènes. Lors des élections législatives de 2007, A. Tsipras a refusé d'être candidat, jugeant qu'il ne pouvait cumuler les mandats de député et de membre du conseil municipal. Nous reproduisons ici son interview publiée dans le plus grand quotidien grec, Eleftherotypia, le 3 janvier 2009.
Eleftherotypia : On a accusé la nouvelle génération d'être indifférente, individualiste, de manquer de rêves, et voilà qu'elle descend dans les rues. Est-ce que vous croyez que cette révolte aura une suite ?
Alexis Tsipras : En 1972 aussi on accusait la jeunesse, en lui attribuant les mêmes caractéristiques. Mais, quelques mois plus tard, elle ouvrait avec son insurrection la route des luttes sociales. Je pense que la même chose se produira maintenant. Je crois qu'une nouvelle époque vient de commencer. La nouvelle génération se met non seulement devant, mais semble aussi porter sur ses épaules toute la société. Elle demande de l'espoir, du travail, de la dignité. Elle demande de vivre et non de survivre. Le mouvement de la jeunesse peut vaincre. Certains, à droite et à gauche, tentent de l'isoler politiquement et socialement. Ils ne réussiront pas.
Eleftherotypia : Cette image d'une génération en lutte n'est-elle pas gâchée par des manifestations de violence contre des commissariats et des unités de police ? Selon vous, à quoi sont-elles dues ?
Alexis Tsipras : Les protestations contre les commissariats de police, et partout où il y avait des policiers, étaient une explosion spontanée. Nous devons chercher leur cause dans le terrible événement d'Exarchia (1). L'assassinat du jeune a fait déborder le vase. N'oublions pas combien d'autoritarisme et combien d'arbitraire subit cette génération dans chaque aspect de sa vie. C'est pour cette raison que je ne simplifierai pas la protestation sociale et l'insoumission sociale en les appelant " violence », même quand elles s'expriment de la manière la plus agressive. Et je refuserai de les assimiler à des destructions aveugles. Au contraire, il y a de la violence quand la police arrose des enfants avec des gaz chimiques parce qu'ils ont lancé des oranges amères, des bouteilles en plastique ou des ornements pris de l'arbre de Noël de la place.
Eleftherotypia : En publiant les axes de lutte de Syriza, vous parlez de nouveau de la proportionnelle intégrale mais je n'ai rien vu de votre part sur comment ce pays sera gouverné. N'est-il pas temps que vous affrontiez cette question ?
Alexis Tsipras : Nous commettrions une erreur si nous croyions que ce qui manque au gouvernement est une majorité forte, un gouvernement fort qui appliquera la même politique. La cause de l'ingouvernabilité actuelle n'est pas la faible majorité mais l'impuissance du gouvernement face à la crise sociale. On aura le même problème si le gouvernement actuel est remplacé par un gouvernement du PASOK, ou même par la célèbre " grande coalition », s'ils la tentent. Parce qu'il est impossible de faire face à la crise en poursuivant la même politique qui nous a conduit jusqu'à ici et qui a fait faillite. C'est pourquoi la gauche ne veut pas servir aujourd'hui d'alibi de gauche d'une perspective gestionnaire gouvernementale, mais veut être une force d'assaut vers l'avenir. En somme, une force qui puisse garantir des grands changements et des réformes dans la perspective du dépassement des modèles de développement économique qui ont failli et donc, pour cette raison, comme l'unique force pouvant conduire à un débouché positif de la crise.
Eleftherotypia : Dans quelques jours, vous allez présenter aussi votre projet politique alternatif. Pouvez-vous nous décrire sa structure ?
Alexis Tsipras : Il y a trois niveaux fondamentaux. Avec le premier niveau nous répondons à la question " Qu'allons nous faire avec la crise ?». Comment nous allons blinder la société, comment nous protégerons les travailleurs, les plus faibles, la nouvelle génération. Nous décrivons ces objectifs dans les " 15 points » que Syriza vient de publier, dans les propositions faites par notre groupe parlementaire sur le système financier, dans nos propositions concernant la jeunesse et la génération à 700 euros. Avec le deuxième niveau nous présentons notre stratégie de sortie de la crise : le passage obligé d'un capitalisme néolibéral insatiable à une économie des besoins et des biens collectifs. Une économie, qui défendra le plein emploi, l'environnement, les droits sociaux et aura comme priorité absolue la solidarité sociale et l'extirpation de la pauvreté. A un troisième niveau, nous prospectons la perspective de la transformation sociale. Car le monde ne peut pas changer sans qu'il ait une vision. Et notre vision c'est le socialisme fondé sur la liberté et la démocratie.
Eleftherotypia : Ce modèle de développement différent dont vous parlez, comment vous le concevez ?
Alexis Tsipras : Nous le concevons comme un modèle qui adopte des priorités fondamentales totalement différentes. Ces dernières décennies, le modèle dominant disait que l'accumulation de force et de richesse par quelques multinationales pouvait nous conduire à un monde meilleur. Il a échoué avec fracas. C'est-à-dire, il ne peut ni s'autoréguler, ni résoudre ses énormes contradictions avec un peu de keynésianisme. Nous avons donc besoin de nouveaux critères de ce qu'on considère comme le développement. Et ces critères sont : que produisons-nous, comment est distribuée la richesse produite, de quelle manière les biens publics sont-ils protégés et élargis, à quel point les gens vivent-ils dignement, comment l'environnement est-il protégé ?
Eleftherotypia : Quand le porte-parole du PASOK dit que son parti rejette un partenariat avec la droite parce qu'il ne peut pas collaborer avec ceux qui ont créé la situation actuelle, j'imagine que cela ne semble pas mauvais. Pourquoi ne pouvez-vous pas discuter avec le PASOK sur cette base ?
Alexis Tsipras : En effet, cela ne semble pas mauvais si on regarde exclusivement la droite, si on ignore totalement le fait que le PASOK a gouverné le pays pendant presque 20 ans et que l'on considère que tous les maux ont commencé en 2004, quand celui-ci est passé dans l'opposition. Pourtant, les gens savent bien que le surendettement dans les banques, les rapports élastiques de travail, la dévalorisation de la santé et de l'enseignement public sont un legs du premier cycle de la gestion " modernisatrice » de Simitis (2). Pour nous, le dialogue avec les autres forces politiques est continu et public. Le PASOK doit, et nous le souhaitons sincèrement, comprendre qu'on ne peut pas avancer avec les mêmes recettes. Qu'il change de position même maintenant. Qu'il se positionne par rapport aux 15 points que nous avons publiés. Qu'il rende publiques ses propres positions sur les questions mises à l'ordre du jour par la vie elle-même. Il ne peut pas les cacher éternellement sous la table.
Eleftherotypia : Voyons ça sous un autre angle. N'est-il pas logique que le PASOK aussi ait sa place comme partenaire dans un plan urgent de reconstruction sociale ? Ou tout au moins quelques-unes de ses forces ?
Alexis Tsipras : La question n'est pas tant qui seront ceux qui vont appliquer le plan de reconstruction sociale — ne vous inquiétez pas, nous ne serons ni suffisants ni sectaires — mais surtout qui est d'accord sur la nécessité d'un tel plan. Est-ce que nous allons nous mettre d'accord sur un plan pour l'intervention publique dans le système bancaire, la protection de la sécurité sociale, l'emploi plein et permanent, l'enseignement public et gratuit ? Est-ce que nous le considérons tous comme nécessaire ? Moi en tout cas je ne vois pas le PASOK ouvrir le débat sur ces questions. Écoutez, l'état de l'économie est critique. La grande question est donc, qui va payer la crise ? Allons-nous oser une redistribution généreuse ou appliquerons-nous des programmes du genre FMI, avec gel des salaires, sans repos du dimanche, avec des rapports de travail encore plus élastiques, comme des cadres éminents du PASOK sont en train de le proposer ? Eh bien, avec ceux-là ce n'est pas possible de se mettre d'accord. Au contraire, nous nous sommes trouvés et nous nous trouvons encore ensemble dans des luttes communes avec un tas de gens et de forces du PASOK. Je suis certain que cela va continuer. Vous savez, la vie et les problèmes sont plus obstinés que les états-majors et les lignes des partis.
Eleftherotypia : Avez-vous en tête des personnalités qui pourraient encadrer cette nouvelle entreprise ? Est-ce que Synaspismos et Syriza peuvent devenir l'axe de la construction d'un courant multicolore qui vise le pouvoir ?
Alexis Tsipras : Ce que nous voulons c'est renverser l'actuel cadre politique. Et pour réussir, nous avons besoin d'un puissant nouveau pôle à gauche du système politique. Ce pôle aura comme épicentre la Gauche radicale, mais regroupera des forces encore plus larges : des socialistes, des communistes, des écologistes, des non encartés. Et ce qui est le plus important, il intégrera les revendications sociales mûries dans un programme concret et réalisable, dans un projet politique alternatif. Aujourd'hui, Syriza est déjà un courant de résistance sociale et de véritable opposition regroupant une multitude de sensibilités. Voyez-vous, ça c'est le premier pas. On peut le proclamer tant qu'on veut, mais si on n'a pas tout ça on ne peut pas devenir un courant revendiquant le pouvoir. Et comme le dit le sage dicton : " Ça prend du temps pour que le fruit vert acquiert le goût du miel ». ■
1. Le quartier athénien d'Exarcheia fut le lieu de l'assassinat par la police du jeune Alexis Grigoropoulos, âgé de 15 ans, le 6 décembre 2008.
2. Kostas Simitis, né à Pirée en 1936, ancien président du Mouvement socialiste panhellénique (PASOK), a été Premier ministre de la Grèce de 1996 à 2004. Son gouvernement a mené l'offensive des contre-réformes néolibérales.