* 1968, fins et suites de Daniel Bensaïd et Alain Krivine (Éd. La Brèche, Paris 2008, poche, 190 pages, 12,00 €) reprend une série d'articles publiés à l'occasion du vingtième, du trentième et du quarantième anniversaire. Des commentaires polémiques avec les diverses vagues idéologiques qui tentent ou ont tenté d'ensevelir la grande grève française et le rôle d'étincelle du mouvement étudiant sous une avalanche de mots creux. Et aussi une analyse de fond, qui reste d'une brûlante actualité et dont la connaissance est indispensable pour qui veut réfléchir sur la stratégie de lutte anticapitaliste, déjà paru en 1988 dans un autre livre, aujourd'hui épuisé, Mai si ! rebelles et repentis (La Brèche, Paris 1988).
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* 68, de Paco Ignacio Taibo II (Éd. L'Échappée, Montreuil 2008, poche, 126 pages, 10,00 €) oscille entre le souvenir, le roman et l'essai pour raconter le mouvement étudiant mexicain qui secoua le pays avant les Jeux Olympiques de Mexico. Commencé contre la brutale répression il finira écrasé dans le sang deux mois plus tard. Ce sont ces deux mois, durant lesquels les étudiants de Mexico (et aussi d'autres villes universitaires, mais l'auteur était alors étudiant à Mexico) ont ébranlé le vieux système d'État clientéliste et corporatiste autoritaire, que nous fait revivre Paco Ignacio Taibo II. Il fait grimper les lecteurs sur des pylônes pour réaliser des meetings de rue improvisés, les intègre dans les brigades qui parcourent la ville et les usines, peinturlurant bus et murs, pénétrant dans les usines et sur les marchés pour organiser la solidarité et politiser " le peuple ».
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* Avec L'insubordination ouvrière dans les années 68 — essai d'histoire politique des usines, de Xavier Vigna (Presses Universitaires de Rennes, Rennes 2007, 378 pages, 22,00 €) on change de format et de genre. C'est une analyse historique des luttes ouvrières au cours d'une " vaste période de contestation dans le monde occidental des années 60 et 70 avec 68 comme pivot ». S'appuyant sur une très riche documentation — y compris les tracts, cette presse d'un jour rédigée par des non-journalistes — Xavier Vigna décrypte la grande grève de 1968, ses antécédents et ses suites jusqu'au reflux, lorsque le chômage allait vaincre la virulente combativité ouvrière à Longwy et Denain en 1979. Il met à jour les nouvelles formes de luttes (ré)apparues en 1968 — grèves avec occupation, séquestrations de la direction ou de l'encadrement — et au cours des années suivantes : sur le modèle de la grève active de Lip, qui débute en 1973, entre juillet 1974 et juillet 1975 " quatorze usines occupées produisent et vendent pour soutenir leur lutte ». Un livre riche, qui éclaire le décalage entre la combativité ouvrière et l'impressionnant conservatisme des directions syndicales — en particulier de la CGT encore largement contrôlée par le PCF et dominante. Et qui souligne l'incapacité de ces directions de proposer une stratégie qui permettrait d'avancer vers l'auto-émancipation des ouvriers, aussi bien en 1968 que dans les dix années qui suivront, tout comme leur absence de toute proposition lorsque le compromis fordiste basé sur une acceptation des conditions de travail en échange d'augmentations de salaire, commence à prendre l'eau. A lire et étudier !
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* La France des années 1968, une encyclopédie de la contestation, publiée sous la direction d'Antoine Artous, Didier Epsztajn et Patrick Silberstein (Éd. Syllepse, Paris 2008, 900 pages, 30,00 €) raconte aussi bien Mai 1968 que la large déferlante qui l'a suivi, touchant plusieurs continents, se prolongeant jusqu'à la fin des années 1970. C'est une source d'informations et d'analyses, diffuses (on regrettera que l'analyse du PCF se limite aux mouvements contestataires des années 1970 et qu'il faille lire de très nombreux articles pour saisir quelle fut la politique de sa direction) ou concentrées (l'analyse de la grève générale de mai-juin 1968 de notre défunt camarade Jacques Kergoat restera une référence). Une encyclopédie indispensable pour qui veut comprendre les évolutions de l'extrême gauche française, connaître le développement des mouvements sociaux, saisir les mouvements culturels… Des articles spécifiques présentent les révoltes " soixante-huitardes » en Allemagne, Chili, Espagne, États-Unis, Grèce, Grande-Bretagne, Italie, Mexique, Pays de l'Est, Portugal, Pologne (Solidarnosc), sans oublier les luttes révolutionnaires d'Algérie, de Cuba et du Vietnam qui marquèrent toute la période. A noter la remarquable analyse de Josette Trat sur le renouveau du féminisme après 1968. Il est impossible de résumer toute la richesse de cette encyclopédie, à lire, à préserver et à consulter régulièrement, dont la place est dans la bibliothèque de tout e) militant(e) anticapitaliste, à côté des principaux dictionnaires de référence (Robert, Larousse…) qu'il complète et enrichit.
* Et pour ceux que le bacille de la lecture n'a pas (encore) atteint, on ne peut que recommander le DVD de Chris Den Hond, Mai 68 : une histoire sans fin (production de la Formation Léon Lesoil, Bruxelles 2008, 6,00 EUR). En un quart d'heure ce petit film met en images les commentaires d'Alain Krivine, Daniel Bensaïd, Ernest Mandel et Olivier Besancenot sur ce que fut mai 1968 et ce qu'il faut poursuivre aujourd'hui. Une parfaite introduction pour une réunion débattant du nouveau parti anticapitaliste. Mais aussi un instant de détente et de réflexion devant un petit écran.
Jan Malewski
Du coté des revues
* Il faut mentionner Dissidences n° 4, Mai 68, Monde de la culture et acteurs sociaux dans la contestation (Le Bord de l'eau éditions, Nancy avril 2008, 160 pages, 18,00 €). Cette revue consacrée aux dissidences politiques, sociales et culturelles aborde des domaines habituellement peu ou mal traités dans le cadre d'ouvrage plus globaux sur mai 68. Neuf textes et des riches bibliographies pour évoquer le cinéma et Cannes, les inscriptions murales, les Cahiers pédagogiques, le courant Paysan Travailleur, la science, Socialisme ou Barbarie, l'École Emancipée, les Révoltes logiques et la science fiction. Les angles d'attaque sont assez hétérodoxes, ce qui est à mettre à l'actif de cette revue. Le traitement des sujets me semble cependant trop universitaire, il y manque un certain souffle, une certaine fragilité émancipatrice. Par ailleurs, l'utilisation de la notion de révolution appliquée à mai 68 comme celles de marxistes sans indication de définition ou de sens, me laisse perplexe. J'ai particulièrement apprécié le texte de Renaud Debailly sur " L'ouverture des possibles dans la science, du mandarinat aux usages de la science », celui de Jean-Pierre Debourdeau " La crise de l'École Emancipée (1964 - 1969) » et celui de Jean Guillaume Lanuque " Mai 68 et la science fiction française : naissance d'une littérature révolutionnaire ? ».
* Je signale également l'excellent numéro de L'École émancipée, la revue de la tendance révolutionnaire de la FSU :Numéro spécial, Mai 68, ce n'est toujours qu'un début, (Paris, 28 pages, 3,00 €). A diffuser.
Didier Epsztajn
* Annoncés également avec des dossiers sur 1968, les revues Critique Communiste et ContreTemps…