Elisabeth Roudinesco, <i>La part obscure de nous-mêmes</i>, Editions Albin Michel, Paris 2007, 18 €
Le livre se divise en cinq chapitres : " Le sublime et l'abject », " Sade envers et contre lui-même », " Sombres lumières ou science barbare ? », " Les aveux d'Auschwitz » et " La société perverse ». Il présente des analyses sur Gilles de Rais, les mystiques et les flagellants de l'époque médiévale occidentale, le nazisme, la pédophilie, le terrorisme dans l'actualité du nouveau siècle, sans oublier les obsessions du XIXe siècle avec l'enfant masturbateur, l'homosexuel et la femme hystérique.
A une époque où l'émancipation par l'exercice de la liberté humaine semble inactuelle sous la dictature du marché et de la marchandise, où l'on feint de supposer que la science, et ses techniques médicamenteuses ou répressives, nous permettront d'en finir avec la perversion, l'auteure souligne qu'avec cette éradication recherchée, nous prenons le risque de détruire l'idée même de possible distinction entre le bien et le mal, fondement de la civilisation.
La perversion, " arrachement de l'être à l'ordre de la nature », présente dans toutes les sociétés humaines est une nécessité sociale. " Elle préserve la norme tout en assurant à l'espèce humaine la permanence de ses plaisirs et de ses transgressions ».
Il reste toujours possible d'opposer à l'auteure d'autres angles d'attaques, d'autres problématiques, mais cet ouvrage affronte très nécessairement et très humainement notre devenir en tant qu'individu-e, nos constructions psychiques, en ne délaissant ni notre condition de genre ni nos orientations sexuelles diverses.
Ce beau livre est une invitation à penser. En guise de conclusion, je reproduis la fin de l'introduction d'Elisabeth Roudinesco : " Que ferions-nous sans Sade, Mishima, Jean Genet, Pasolini, Hitchcock, bien d'autres encore, qui ont donné les œuvres les plus raffinées qui soient ? Que ferions-nous si nous ne pouvions plus désigner comme boucs émissaires — c'est-à-dire pervers — ceux qui acceptent de traduire par leurs actes étranges les tendances inavouables qui nous habitent et que nous refoulons ? Que les pervers soient sublimes quand ils se tournent vers l'art, la création ou la mystique, ou qu'ils soient abjects quand ils se livrent à des pulsions meurtrières, ils sont une part de nous-mêmes, une part de notre humanité, car ils exhibent ce que nous ne cessons de dissimuler : notre propre négativité, la part obscure de nous-mêmes. »