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Christian Rialto est membre de la Direction nationale de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, section française de la IV<sup>e</sup> Internationale).
C'est pourquoi, depuis quinze ans, les peuples européens n'ont cessé de contester ces politiques menées au nom des " intérêts nationaux » comme au nom de l'Europe : mobilisations de salariés, de paysans, de retraités, de défenseurs des droits de l'Homme et de la paix ; rassemblements altermondialistes, désaveux des partis au pouvoir à chaque élection européenne, rejets référendaires en Irlande, au Danemark, jusqu'aux " non » français et néerlandais de 2005 au traité constitutionnel européen. Lors de cette dernière échéance, la bourgeoisie européenne a tenté de se saisir du besoin d'une réforme de fonctionnement liée au doublement du nombre d'États membres, pour légitimer ses politiques en les rendant constitutionnelles. Son échec a été cuisant au printemps 2005, mais il n'a hélas pas encore été prolongé par une avancée supplémentaire dans l'exigence d'une autre Europe et par une étape supérieure dans la convergence des luttes.
Sur ce plan, on ne soulignera jamais assez le rôle désastreux, joué par les directions des partis et des syndicats majoritaires à gauche dans cette incapacité du mouvement ouvrier européen à formuler une alternative de société. En France Mitterrand puis Jospin, en Grande Bretagne Blair puis Brown, en Allemagne Schröder, en Italie Prodi et d'Alema, en Espagne Gonzales puis Zapatero, au Portugal Soares puis Socrates, le chef de gouvernemet socialiste à qui revient l'honneur de présider la signature du Nouveau Traité Européen (NTE), et tant d'autres " à gauche » ont mis tout leur poids politique pour convaincre l'opinion publique qu'il n'y a d'autre politique possible que celle voulue par le patronat européen. De même, la Confédération des Syndicats européens, dont le financement par les institutions de l'Union Européenne (UE) pèse lourdement, n'a cessé de se lamenter du rejet du traité constitutionnel.
Du coup, après l'échec du projet de Constitution, l'UE a continué à fonctionner comme avant : poursuite de la pression à la libéralisation des services publics, directive Bolkestein " relookée » pour la concurrence des services marchands, Banque Centrale Européenne autiste, coordination policière exacerbée contre les immigrants… Et l'impatience des dirigeants européens pour une relance institutionnelle montait au fur et à mesure que les échéances électorales en France et Pays-Bas se rapprochaient. Dés son élection, le nouveau président français Sarkozy a entrepris de les satisfaire, en convainquant un par un les dirigeants européens, en commençant par Angela Merkel, de son approche pragmatique.
C'est ainsi que le nouveau traité, laborieusement validé à Lisbonne les 18 et 19 octobre entérine ces deux grandes tendances : Il prend acte des résistances, et donc de l'impossibilité de faire légitimer par les peuples les orientations européennes, donc il passe à la trappe le concept constitutionnel et les symboles européens. Mais il s'appuie aussi sur le feu vert donné par les gauches européennes de gouvernement à la poursuite des orientations actuelles. De l'aveu même de Valéry Giscard d'Estaing, " le texte reprend l'ensemble des avancées institutionnelles contenues dans le projet constitutionnel », mais " il n'est pas sûr que la représentation complexe » du nouveau texte " facilite la compréhension des citoyens ». C'est un euphémisme, pour un texte de 250 pages en langue de bois eurocrate ! Le même VGE confirme que " la concurrence libre et non faussée figure toujours dans le projet ». Le texte va même parfois plus loin que les traités existants, comme sur le projet de défense européenne alliée à l'OTAN, un point cher à Sarkozy. Et la Charte des droits fondamentaux est vidée de tout intérêt par rapport aux constitutions nationales.
Qu'y a-t-il donc de " simplifié » dans le nouveau traité ? Seulement une chose : les peuples ne sont pas consultés et la démocratie est bafouée. Seules des ratifications parlementaires sont envisagées, alors même qu'on a vu, ces dernières années, combien les parlements nationaux sont décalés de l'opinion des citoyens sur la question européenne. En France, le cynisme de Sarkozy est particulièrement poussé. Il a déclaré devant un groupe de parlementaires européen , " Des référendums sur le nouveau traité européen seraient dangereux et perdants en France, en Angleterre et dans d'autres pays. Il y a un gouffre entre les peuples et les gouvernements ! » (cité par The Telegraph).
Il souhaite donc un passage devant le Conseil constitutionnel dès le 14 décembre, au lendemain de la signature officielle du nouveau traité par le Conseil européen, pour que la ratification par le Parlement français soit la première en Europe, en février 2008 " car, après avoir bloqué la Constitution, vous comprendrez qu'en tant que chef de l'État, je ne verrais que des avantages à ce que la France montre l'exemple de l'adoption de nouvelles institutions ». Surtout, il fallait éviter que le traité soit encore dans les têtes au moment des élections européennes de 2009 ! Face au PS et aux Verts, qui se sont lamentés du " bricolage » du nouveau traité, lequel " ne permet pas la relance » du projet européen, le président français a eu beau jeu de rétorquer que le compromis de Lisbonne a été approuvé par des gouvernements socialistes, libéraux et conservateurs, et qu'il est " certain que toutes les forces politiques françaises en tireront les conséquences ».
Conséquences effectivement tirées, en France par la direction du Parti socialiste, comme d'ailleurs aux Pays-Bas par la direction du Parti social-démocrate, qui ont décidé de ne pas réclamer de référendum, et au contraire de voter pour le traité… " pour passer à autre chose »… Quel courage politique !
La conséquence qu'en tirent les gauches anti-libérales, aux Pays-Bas comme en France, c'est que face à ce recul inouï des principes qui veulent qu'une décision par référendum ne puisse être remise en cause que par un scrutin de même niveau, il est indispensable que les partisans du " non » de gauche au TCE retroussent leurs manches. Alors qu'hélas tant de brillants intellectuels prompts à voir les dénis démocratiques loin de chez eux, les ignorent devant leur porte, ces courants de gauche ont retrouvé la voie de l'unité pour au contraire appuyer là ou cela fait mal aux eurocrates, et proclamer partout : Le Nouveau traité est un décalque du précédent sur le fond, il est illisible intentionnellement sur la forme, et illégitime dans son mode d'adoption.
Il s'agit bien de lancer une campagne de dénonciation du coup de force en cours et d'exiger un référendum comme démarche démocratique élémentaire. Ainsi, même s'il est par malheur adopté en 2008, il portera une tâche indélébile qui en affaiblira grandement la portée.
Mais au delà que cette campagne, nous devons utiliser tous les moyens pour favoriser l'émergence d'une réelle alternative à l'Europe du Capital et des flics. Nous devons utiliser tous nos moyens pour démontrer l'absurdité des politiques européennes menées, qui s'appuient sur les caprices des marchés monétaires et boursiers, qui favorisent directement ou indirectement les pires offensives réactionnaires et le recul des libertés, de la Pologne à l'Angleterre en passant par la France… mais empêchent ouvertement le développement social. Et nous devons y opposer la possibilité d'une orientation européenne alternative, sociale et contre le chômage, respectueuse de l'environnement, démocratique et pour l'épanouissement culturel, pour la solidarité entre les peuples et pour la paix, une orientation anti-capitaliste, c'est-à-dire qui s'attaque à la logique mortifère du profit, en mobilisant les forces d'espoir des jeunes et de tous les exploités et les opprimés de ce continent.