Entretien avec Alekos Alavanos, président de Synaspismos et du groupe parlementaire de Syriza (Coalition de la Gauche Radicale)
Alekos Alavanos est président du groupe parlementaire de Syriza (Coalition de la Gauche Radicale) et président de la plus forte organisation qui compose cette coalition, Synaspismos. Yorgos Sapounas, militant de Kokkino, a réalisé cet interview pour <i>Inprecor</i>. Les notes sont de la rédaction d'<i>Inprecor</i>.
Alekos Alavanos : Nous nous sommes battus des années durant ayant en tête les vrais problèmes des gens. Nous avons voulu briser la vitrine de la réalité virtuelle et nous nous sommes mis aux côtés de l'étudiant et de l'étudiante qui allaient manifester chaque jeudi. Aux côtés de " jeunes à 400 euros » pleins d'insécurité qui sont en train d'initier leur vie active. Aux côtés des chômeurs et des licenciés de leur boulot, des maîtres d'école et des professeurs qui se sont battus pour des salaires décents. Aux côtés des travailleurs, des paysans et des retraités qui se sentent oubliés, aux côtés des immigrés qui se sentent exploités, culpabilisés, pourchassés.
Si tu as tous ces gens en tête il te faut te battre contre les politiques dominantes et surtout, contre le gouvernement, essayer de désenclaver ce monde qui, pour des raisons désormais historiques, avait cru à cette social-démocratie qui est incapable d'offrir une nouvelle perspective, se contentant de singer le néolibéralisme.
Si on a tous ceux-là en tête, alors on est obligé de rendre visible l'alternative de gauche, mettant en avant des valeurs, avec courage et confiance en soi, en prenant des risques. Nous avons fait un premier pas, les citoyens nous ont fait confiance et maintenant nous devons leur prouver qu'ils ont fait le bon choix.
Dans cette entreprise, la contribution de toutes les composantes de Syriza — qui ont compris que le besoin d'une gauche unitaire et radicale utile aux luttes quotidiennes du peuple, est bien plus important que la pureté idéologique ou la vérité absolue — est inestimable.
Yorgos Sapounas : Étant donné la dynamique politique des dernières élections, quel devrait être désormais l'objectif de Syriza ? Certains parlent d'une formation politique de masse, de quelque chose comme un FLN du XXIe siècle…
Alekos Alavanos : Heureusement ou malheureusement, nous sommes au XXIe siècle et, tout en respectant et connaissant notre passé, il nous faut chercher des outils pour faire ouvrir nos portes à tout ce monde qui résiste au dominant, qui ne se satisfait pas de l'existant, qui veut changer le lendemain. C'est ce monde que nous voulons avec nous, pour débattre avec lui et pour nous influencer mutuellement, afin de bâtir ensemble la gauche de la contestation et de l'espoir. Pour que tout ça soit fait, il nous faut aussi peiner, revoir nos schémas organisationnels, notre démocratie, notre discours. Ce monde ne viendra pas vers nous pour qu'on lui enseigne la vérité mais pour qu'on change ensemble la réalité, avec esprit visionnaire, dans la bonne humeur et la créativité.
Yorgos Sapounas : Quelles sont à ton avis les conditions pour que Syriza gagne les paris politiques de l'avenir ?
Alekos Alavanos : Le peuple est désenchanté de la politique, des politiciens et de leurs engagements d'œuvrer pour son bien, pendant que les conditions de sa vie se détériorent. Nous avons nous aussi commis des erreurs en tant que gauche. Alors, on n'a plus besoin de grandes paroles. On a besoin d'établir, sur la base des problèmes d'aujourd'hui, les priorités qui vont composer un nouveau projet politique radical que nous allons servir de façon crédible. Un projet politique compréhensible par tous, qui présuppose la participation des gens à sa réalisation. Un projet qui mettra dans son épicentre l'homme et la protection de la nature, qui proposera des luttes de masse sur la base des contre-propositions et des revendications combatives. Un projet qui fera concurrence à l'individualisme et à la privatisation de la vie, c'est-à-dire au noyau du néolibéralisme, qui obtiendra des victoires et changera les rapports de force par la lutte collective.
Yorgos Sapounas : Syriza regroupe dans ses rangs plusieurs forces et collectivités de gauche. La direction du KKE refuse obstinément d'y collaborer et se dit hostile à Syriza. Des forces d'extrême gauche adoptent aussi des attitudes négatives, bien que nous collaborons avec certaines d'entre elles dans le cadre du mouvement altermondialiste (par exemple avec celles appartenant à la coalition Enantia). Quelle doit être l'attitude de Syriza envers ces forces ?
Alekos Alavanos : Nous, nous avons choisi comme arme l'unité et comme adversaire le néolibéralisme. Je crois que si nous continuons comme nous avons travaillé jusqu'à maintenant, notre unité va se renforcer. A l'occasion des dernières élections nous avons réussi à nous élargir aux organisations de gauche mais aussi aux courants socialiste et écologique. Nous allons continuer sur le même chemin avec comme objectif la collaboration de toutes les forces qui combattent le néolibéralisme et ses desseins. Si certains insistent à voir l'ennemi à l'intérieur de la gauche (1), je considère qu'ils commettent une erreur et que tôt ou tard ils s'en apercevront.
Yorgos Sapounas : Avant mais aussi après les élections, une partie de la presse ainsi que la direction de PASOK ont exercé des pressions sur Syriza qui était accusé d'être trop négatif envers l'éventualité d'une alliance électorale avec le PASOK. Le manifeste de Syriza exclut catégoriquement la gouvernabilité avec le centre-gauche. Pour quelles raisons ?
Alekos Alavanos : Je crois qu'il n'y a aujourd'hui personne dans la gauche qui pourrait envisager une collaboration gouvernementale avec le PASOK. Comme je le disais aussi avant les élections, si on allait collaborer avec le PASOK je ne pourrais plus regarder dans les yeux mes compatriotes et j'aurais peur d'aller même au supermarché de mon quartier. Pour la gauche, toute participation à un gouvernement avec le PASOK est totalement impensable, car un tel gouvernement referait des lois contre la sécurité sociale, de l'article 16, du travail non assuré des jeunes et des lois qui tuent les forêts. Cependant, aujourd'hui nous avons un gouvernement de droite et c'est contre ce gouvernement que nous devons organiser notre action. Le nouveau paysage surgi des élections offre à la gauche la possibilité de devenir la force d'opposition hégémonique. Il ne nous reste qu'à le prouver en pratique.
Yorgos Sapounas : Après les élections, le PASOK est entré dans une profonde crise. Quelle doit être l'attitude de Syriza envers PASOK ? Plus généralement, tout le monde constate la profonde crise de la social-démocratie européenne. Cette crise peut-elle être dépassée ou est-elle structurelle ? Et qu'est ce qu'elle signifie pour la gauche ?
Alekos Alavanos : Je crois que le PASOK ainsi que toute la social-démocratie européenne sont entrés dans une profonde crise parce que les engagements sur lesquels ils ont été construits sont aujourd'hui lettre morte. Leur incapacité d'élaborer un quelconque projet hégémonique de justice sociale est manifeste dans plusieurs pays où la social-démocratie se contente d'opter pour le modèle d'une prétendue meilleure gestion du néolibéralisme. Cependant, à la base du PASOK il y a tout un monde qui a cru à des idéaux et qui a lutté pour une meilleure société. La gauche doit en tenir compte. Elle ne peut pas considérer les supporters de la social-démocratie comme étant pareils à ceux de la droite, mais comme ses alliés en puissance, pouvant se retrouver ensemble dans la rue pour se battre contre l'offensive conservatrice. Surtout maintenant, quand le gouvernement est en train de dévoiler de manière agressive ses intentions dans une série des questions, dont la plus importante est peut-être celle de la sécurité sociale, et qu'un parti d'extrême-droite vient d'entrer au parlement, les batailles que nous devons livrer doivent s'adresser à l'ensemble des démocrates, à tous ceux qui croient à une société démocratique, solidaire et juste.
Yorgos Sapounas : Quel est, selon toi, le bilan des collaborations gouvernementales de la Gauche avec la social-démocratie (par exemple aujourd'hui celui de Rifondazione italienne ou celui le PC français dans les années 1990) ?
Alekos Alavanos : En Europe, durant la précédente décennie, la gauche et la social-démocratie ont collaboré et parfois ont conclu des alliances qui ont eu souvent des conséquences négatives. Je crois que chacun a tiré sa leçon de ces expériences, mais il ne serait pas bon de tout confondre. Par exemple, le PS français n'est pas la même chose que le PASOK et la gauche française n'est pas identique à la gauche grecque. En plus, le cas italien est très à part parce qu'il est marqué par le phénomène spécifique du berlusconisme et par une différente tradition de collaborations. Puisque nous n'avons pas dû affronter les mêmes situations, nous ne devons pas faire preuve d'arrogance ni juger des entreprises avant qu'elles ne soient terminées et que soient visibles leurs résultats finaux. On pourrait dire beaucoup de choses des traits particuliers de chaque collaboration et peut-être de ce que la gauche aurait pu gérer différemment, mais on n'a pas seulement ces paradigmes en Europe. Par exemple, ce qui se passe en Allemagne est beaucoup plus important dans la conjoncture actuelle et nous devons suivre cette expérience en cours très attentivement.
Yorgos Sapounas : Qu'est-ce que tu crois que Syriza doit faire pour empêcher d'aboutir la nouvelle tentative de l'UE d'imposer aux peuples d'Europe une nouvelle version du traité constitutionnel ? Vois-tu des possibilités pour que le " peuple du Non » se coordonne et quel serait le rôle que Syriza pourrait y jouer ?
Alekos Alavanos : Nous considérons que face à ce problème, comme face à tant d'autres, il est absolument nécessaire pour les forces de gauche et les mouvements sociaux de collaborer entre eux au niveau européen. Comme tu sais, nous avons été présents à tous les processus soit du mouvement altermondialiste, à partir de la manifestation de Prague, soit du Forum Social Européen, et plus spécialement à l'initiative pour l'élaboration de la " Charte », soit dans le cadre du Parti de Gauche Européenne (2) en tant que Synaspismos. Je crois que la première priorité est que la société grecque s'ouvre à ces processus, et je dois avouer que nous n'avons pas pu faire dans ce domaine tout ce que nous avons voulu. Et tout ça bien que l'organisation très réussie du quatrième Forum Social Européen, à laquelle nous avons contribué avec toutes nos forces, ainsi que l'organisation du 1er congrès du Parti de la Gauche Européenne, y ont aidé considérablement. Nous en avons encore beaucoup à faire.
Yorgos Sapounas : Cette interview sera publiée par la revue de la IVe Internationale, qui participe à la Gauche anticapitaliste européenne et dont certaines sections sont membres ou observateurs du Parti de la Gauche Européenne. Comment vois-tu les rapports entre les courants et les formations de la gauche européenne ?
Alekos Alavanos : Je crois que la collaboration de toutes les forces de gauche, en correspondance avec ce qu'on est en train de faire en Grèce avec Syriza, peut aider tout le monde en Europe aussi. Par exemple, notre collaboration avec le Bloc de gauche du Portugal ou avec le Parti de la Liberté et de la Solidarité turque nous a tous beaucoup aidé. Je comprends très bien les besoins de chaque courant de gauche en Europe mais je considère que la collaboration de tous, non seulement dans le cadre du mouvement mais aussi au niveau politique, est un processus très utile à nous tous et surtout, aux combats que nous devons livrer ensemble.
2. Le Parti de la gauche européenne regroupe pour l'essentiel les organisations issues de la tradition eurocommuniste, dont en particulier le Parti de la Refondation Communiste d'Italie (actuellement engagé dans le gouvernement Prodi de centre-gauche et en crise, cf. Inprecor n° 5426/527 et n° 528/529), Die Linke d'Allemagne (cf. Inprecor n° 528/529), le PCF, la Gauche unie d'Espagne… Le second congrès de ce parti européen, tenu en novembre 2007 à Prague, a élu à sa tête à l'unanimité Lothar Bisky, d'Allemagne, ancien dirigeant du PDS et aujourd'hui dirigeant de Die Linke aux côtés d'Oskar Lafontaine. Il a remplacé Fausto Bertinotti, dirigeant du PRC d'Italie, actuellement président de la Chambre des députés de son pays, qui a engagé le PRC dans la collaboration avec le gouvernement Prodi.