Édouard Diago, militant de la Ligue communiste révolutionnaire (section française de la IVe Internationale) et collaborateur de Rouge et d'Inprecor, a séjourné à plusieurs reprises au Venezuela et est actif dans la campagne de solidarité avec la " révolution bolivarienne ".
Un des événements majeurs du dernier Forum Social de Porto Alegre fut sans aucun doute la présence de Hugo Chavez, invité officiellement par le Mouvement des Sans Terre (MST) du Brésil. C'est en Président auréolé de deux victoires populaires récentes (le référendum révocatoire et les élections régionales) qu'il venait faire état de ses convictions politiques et idéologiques ainsi que des réalisations sociales de son gouvernement. Lors de sa précédente visite à Porto Alegre en 2003, le Venezuela était agité par le grand lock-out patronal et pétrolier qui faillit le mettre à genoux (le pays ne produisait plus qu'un dixième de sa production normale de pétrole). Chavez venait alors en quête d'un soutien de la gauche internationale — polarisée par la victoire de Lula au Brésil — qu'il eut du mal à obtenir.
Tentons de cerner un peu mieux ce chef d'État atypique grâce aux extraits de son discours prononcé au Gigantinho devant 15 000 militants enthousiastes :
" Bien des choses se sont passées en deux ans, tant de choses qui me permettent de dire et de partager avec vous la justesse de cette expression de Léon Trotski quand il disait que toute révolution avance sous les coups de la contre-révolution. (…) Les Yankees nous ont tapé dur : sabotage économique, médiatique, social, terrorisme, bombes, violences, sang et mort, coup d'État, manipulation des institutions, pression internationale. On a voulu transformer le Venezuela en pays sous tutelle. (…) Nous avons résisté, résisté, résisté, jusqu'au moment de passer à l'offensive. "
Et d'appeler à une " conspiration mondiale… une véritable conspiration anti-impérialiste, anti-néolibérale, anti-hégémonique ", dont Porto Alegre serait un des symboles : " ce FSM est l'événement politique de la plus grande importance qui a lieu tous les ans ", opposé aux sommets diplomatiques dont Chavez aime à souligner que " pendant que les présidents vont de sommet en sommet, les peuples vont d'abîme en abîme ".
Il égrène alors ce qui a été mis en œuvre au Venezuela : le contrôle des changes " pour protéger le pays de la spéculation financière et des capitaux voyageurs qui ont ruiné plus d'un pays ", " la récupération de notre industrie pétrolière ", " les 4 milliards de dollars investis dans l'éducation, la santé, le micro-crédit, le logement ", " les 500 000 bourses de 100 dollars par mois ". " Ah ! Les néolibéraux disent que l'on jette l'argent pas les fenêtres. Non ! Avant, ils volaient cet argent, aujourd'hui nous le redistribuons, nous donnons du pouvoir aux pauvres pour qu'ils vainquent leur pauvreté ".
La révolution, en 2004, est " une accélération et un approfondissement du processus avec comme objectif une société des égaux, où il n'y aura plus d'exclus ".
En parlant de ce qui a été fait plutôt que de ce qu'il faudrait faire, Chavez pose l'expérience bolivarienne comme un exemple à suivre pour la gauche latino-américaine : " la santé, l'éducation, l'eau, l'énergie électrique, les services publics sont des droits de l'homme et ne peuvent être offerts à la voracité du capital privé. " Chavez fait-il du socialisme sans le savoir, à l'image du Bourgeois Gentilhomme de Molière ? Pour la première fois, il affirme des convictions socialistes : " Nier leurs droits aux peuples est le chemin de la barbarie. Le capitalisme, c'est la barbarie. J'en suis un peu plus convaincu chaque jour (…). Beaucoup d'intellectuels disent qu'il faut transcender le capitalisme, mais j'ajoute qu'on ne peut le transcender dans le cadre du capitalisme, non. Il faut le transcender par la voie du socialisme ( …) , le véritable socialisme. L'égalité ! La justice ! (…) En démocratie, (…) mais pas celle que Mister Superman veut nous imposer depuis Washington. "
Mais les défis sont aussi à relever au sein même de la révolution bolivarienne. " Le Venezuela d'aujourd'hui est plus fort que jamais (…) c'est une patrie fortifiée, même si nous ne crions pas victoire. (…) Le Che disait qu'une révolution ne peut être fâchée avec l'efficacité. Nous avons besoin d'efficacité révolutionnaire (…) lutter contre les vieux vices comme la corruption, l'absence de morale révolutionnaire, et la lutte contre la bureaucratie qui doit être le combat de tous les jours des révolutionnaires afin que le bureaucratisme ne nous entrave pas ".
Chavez s'est réjouit du fait que la ZLÉA (Zone de libre échange des Amériques, FTAA en anglais) ne soit pas entrée en vigueur : " en 2000, nous avons commencé notre campagne contre la ZLÉA, j'étais le seul chef d'État à m'y opposer, parce que la ZLÉA n'est autre qu'un projet colonialiste. Where is the FTAA, Mister ? The FTAA is dead. " Et cet échec traduit la faiblesse de l'adversaire : " Si quelqu'un croit que l'adversaire est invincible, alors il l'est. Mais l'impérialisme nord-américain n'est pas invincible, le Vietnam l'a montré, et aujourd'hui la résistance du peuple d'Irak face à l'invasion. " Mais Chavez reste fidèle à son " ami Lula " et à l'axe qu'il identifie de l'Argentine à Cuba en passant par l'Uruguay, le Brésil et le Venezuela. Ainsi, il a aussi tenu à se démarquer des critiques faites au gouvernement Lula : " je ne peux faire de commentaires sur la situation interne de tel ou tel pays (…) mais durant les deux premières années de mon gouvernement, beaucoup me critiquaient parce que nous n'allions pas assez vite, que nous n'étions pas assez radicaux. (…) Il y a des phases dans les processus. (…) Même avec le risque que vous fassiez des bruits bizarres, cela m'est égal, je veux dire que j'aime Lula, c'est un homme bon, d'un grand cœur, c'est un frère et un camarade. " Avant de conclure par l'espoir de " voir s'ouvrir le chemin vers le grand rêve d'une Amérique Latine unie ".
Six ans après son accession au pouvoir, Hugo Chavez tient un discours toujours plus radical, ce qui constitue en soi une exception historique. En parlant de perspective socialiste, il souffle sur les braises d'un mouvement social vénézuélien encore prêt à en découdre avec la droite pro-impérialiste. La récente expropriation de Venepal (entreprise papetière) est un signe de plus que Chavez n'est pas devenu un obstacle à la transformation sociale au Venezuela. Les courants révolutionnaires de l'UNT (Union nationale des travailleurs, nouvelle centrale syndicale vénézuélienne) ne s'y sont pas trompés en lançant une campagne — nationale et internationale — pour de nouvelles expropriations.