La revue française Inprecor (n° 510 d'octobre 2005) présente une contribution de plus de François Sabado, qui analyse et cherche à orienter la gauche brésilienne. Dans son article Sabado ignore les principes de base de l'internationalisme révolutionnaire une relation fondée sur la solidarité entre les révolutionnaires de diverses nations et sur le respect des processus de construction nationale dans chaque pays et agit de manière fractionnelle.
Le " mauvais internationalisme »
Dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) de France et de la IVe Internationale, Sabado renverse ainsi la tradition d'une relation fructueuse entre la LCR (représentant la IVe Internationale) et Démocratie Socialiste (1), fondée sur le respect mutuel, l'échange d'expériences et la recherche de la construction d'un internationalisme pluraliste, établie surtout au cours des années 1980. Il s'agissait alors de corriger les erreurs énormes que la IVe Internationale a commises à d'autres moments sous d'autres latitudes dans notre région.
Bien que ce ne soit pas le lieu pour le faire, il faut rappeler le bilan général du travail de la IVe Internationale en Amérique latine. Un coup d'oeil rapide sur le continent dévoile un tableau désolant. Presque toutes les organisations politiques membres ou sympathisantes qui existaient il y a deux décennies ont disparu, se sont divisées ou sont affaiblies. Leurs militants n'ont pas été remplacés par une nouvelle génération alors que nous sommes dans une conjoncture beaucoup plus favorable qu'au cours des années 1990. (La trajectoire de la DS brésilienne constitue une exception dans ce cadre).
Sabado reprend les vieux vices consistant, sous prétexte d'internationalisme, à mener une lutte fractionnelle dans un autre pays (soutenant un groupe minoritaire qui a rompu avec la DS). Au Brésil, son analyse et ses propositions s'écartent du mouvement politique et social réel qui lutte pour le dépassement du néolibéralisme. Sous prétexte de critiquer les limites et les contradictions de ce mouvement, il rompt avec lui et il le remplace par un schématisme typique des sectes.
Démocratie socialiste poursuivra sur l'orientation définie démocratiquement par ses militants lors de ses Conférences nationales et dans son activité en général. Nous acceptons et développons d'innombrables débats internationalistes, à partir du moment où ils sont dans le cadre d'un internationalisme sans parti-guide (ou section-guide) et sans fractionalisme.
et ses idées peu claires
Les lectrices et lecteurs qui veulent connaître l'opinion de Démocratie socialiste sur les conjonctures politiques des dernières trois années peuvent lire directement les textes que nous avons publiés sur notre page web : www.democraciasocialista.org.br .
Ici, dans cet article, nous allons nous limiter à clarifier certains de nos points de vue pour les lectrices et lecteurs d'Inprecor qui ont lu l'article mentionné et à corriger certaines informations, car beaucoup de ce qu'affirme le texte de Sabado est incomplet, quand ce n'est pas de la fiction pure.
1. Sabado caractérise le gouvernement Lula en tant que continuation néolibérale du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso (FHC). Cette position a été discutée et mise en échec lors de deux conférences successives de Démocratie socialiste, en novembre 2003 (VIIe Conférence) et en avril 2005 (Conférence extraordinaire). Les résolutions adoptées peuvent être consultées sur la page web mentionnée.
Sabado n'ignore pas ce fait, mais il n'en tient pas compte pour une raison simple : son intervention dans le " débat » n'a pas pour but de développer les positions élaborées par la DS ni de collaborer avec elles. Son intervention relève de la poursuite, par d'autres moyens, d'activités fractionnelles contre notre courant.
2. Pour Sabado la DS est une " gauche gouverniste », qui lutte pour une " réorientation illusoire » du Parti des travailleurs (PT). Ici aussi il adopte les positions d'un petit cercle d'ex-membres de la DS, qui ont pris part à la Conférence extraordinaire, ont été démocratiquement mis en échec sur leurs positions et n'ont pas assumé les résolutions approuvées par une ample majorité.
Ils n'ont pas participé à la campagne de Raul Pont pour la présidence du PT. Ils ont soutenu la campagne de Plinio de Arruda Sampaio. Les membres de ce groupe ne sont pas " l'aile gauche de la DS ». Ils ont abandonné la DS entre le premier et le second tour des élections internes pour la présidence du PT et se sont affilié au PSOL. Comme tout le monde le sait, mais cela vaut la peine de le répéter parce que notre Conférence la plus récente l'a affirmé ainsi, Démocratie socialiste est une tendance interne du Parti des travailleurs. Et seul le collectif de ses militants, dans ses instances démocratiques, a le droit de définir qui est membre de la DS.
3. Le bilan de l'élection interne du PT (du PED processus d'élections directes) présenté par Sabado est complètement confus et il omet des informations précieuses avec l'intention de renforcer l'idée que le conflit au sein du PT serait illusoire. Il dit que le secteur majoritaire détient 60 % de la Direction nationale. Mais comment ?! Il ne connaît pas le PT et ne perçoit pas que la crise que le PT vit a permis une importante réorganisation interne. L'ancien " camp majoritaire » ne tient que 42 % de cette instance et il est profondément fracturé avec bien moins de capacité de cohésion que dans un passé récent. Raul a obtenu 48 % des votes au second tour !!!
Sabado ne valorise pas la participation de 315 000 électeurs lors du premier tour des élections internes du PT. Chères lectrices et chers lecteurs, connaissez-vous une expérience similaire dans une autre partie du monde ? Confronté à sa plus grande crise, sans moyens financiers pour faire campagne comme cela avait eu lieu en 2001, faisant face à une impressionnante campagne de démoralisation contre le parti menée par la presse de droite, 315 000 sont allé voter et ont fourni un message clair qu'ils voulaient un PT avec une autre orientation.
Le second tour de l'élection interne du PT a été aussi un phénomène impressionnant. Raul a confirmé son leadership au sein du PT et pour d'amples secteurs sociaux, pour les intellectuels critiques, avec des positions nettes en faveur de la réorientation du PT et du gouvernement. Ce fut une campagne publique de grande intensité. Vous pouvez lire le manifeste des intellectuels en soutien à Raul un vaste éventail d'alliances de la gauche. Vous pouvez lire le soutien de Leonardo Boff, de Marilena Chaui, de Luis Fernando Verísimo, de Paul Singer, d'Emir Sader, entre beaucoup d'autres. Vous pouvez lire les manifestations de soutien venant des bancs de députés et de sénateurs du parti. La candidature de Raul a uni des forces au sein du PT et dans la société démocratique avec des possibilités réelles de vaincre. Nous avons perdu de justesse !
Et le peu qui nous a manqué pour vaincre fut dans les rangs des secteurs qui ont soutenu la candidature de Plinio à la présidence du parti et qui ont annoncé leur sortie du PT à la veille du second tour, à commencer par Plinio lui-même, les camarades de l'Action populaire et socialiste (APS), les députés Orlando Fantazzini et João Alfredo (ce dernier avait soutenu Raul au premier tour). Ils sont sorti avant que l'affrontement ne se termine, favorisant ainsi l'autre candidat.
Sabado ne mentionne pas ce fait. Pourquoi ? Parce que pour affirmer que le conflit au sein du PT est illusoire il ne peut reconnaître que Raul pourrait être aujourd'hui président national du parti. Il est bon aussi de savoir qu'il y a aussi eu des gens qui sont sorti du PT et qui en étant dehors ont fait une campagne ouverte contre Raul. Ils disaient que sa victoire serait la pire des choses qui pourrait arriver. Un président de gauche pour le PT ? Quelle horreur ?! Une perle de plus des délires sectaires.
4. Faisons encore quelques précisions. Sabado affirme que João Alfredo est sorti de la DS avec 2/3 des membres du courant dans l'État de Ceará. D'où tient-il une telle information ? Il est vrai que de nombreux militants du secteur jeune sont sorti. Mais il est nécessaire de dire que sont restés au sein de la DS tout le secteur syndical et les militants qui exercent des fonctions dans la municipalité de Fortaleza. Pour renforcer son " information » (mensongère) précédente, il affirme que l'État de Ceará serait le second en nombre de militants au sein de la DS. A nouveau : d'où sort-il cette information ? Quoi qu'il en soit il ne fait pas partie des traditions de la DS de faire des " compétitions » ou un " ranking » entre nos régionales. Notre préoccupation actuelle c'est de soutenir le secteur de Ceará qui se maintient au sein de la DS, aider à son organisation pour faire face aux défis que nous affrontons à la mairie de Fortaleza et dans les conflits politiques dans cet État. C'est ce qui importe.
Sabado affirme que l'APS est sortie du PT et est allée vers le PSOL. Il est vrai que la direction de ce courant a fait un tournant complet vers le PSOL. Mais de nombreux militants précieux de ce courant sont restés au sein du PT, certains ont rejoint la DS et nous sommes en discussion avec de nombreux autres pour qu'ils le fassent dans les délais les plus brefs.
Sabado informe que le PSOL a deux sénateurs. Le chiffre n'est plus actuel. le sénateur d'Acre, Geraldo Mesquita, a laissé le PSOL après avoir été accusé d'avoir embauché des parents (le népotisme est un cancer de la politique brésilienne) et d'avoir reçu des avantages financiers illégaux. Et quand il mentionne la création du PSOL il oublie le troisième député fondateur de ce parti : il s'agit de João Fontes, un politicien conservateur de Sergipe qui s'est fait élire grâce au PT. Sans aucune explication publique un beau jour il a abandonné le PSOL et est apparu affilié au PDT.
Sabado informe que le député fédéral Orlando Fantazzini, ex-militant de la DS, est allé au PSOL avec " plusieurs centaines de militants ». Il faut ajouter que s'il a eu un tel contingent, il ne s'agissait pas de militants de la DS. Avec lui sont sortis de la DS les fonctionnaires de son cabinet et une dizaine de militants !
Sabado informe que Jorginho, dirigeant national de la Centrale unique des travailleurs (CUT) est passé au PSOL. Mais il ne dit pas que de la direction de son syndicat d'origine, celui des travailleurs de la fabrique de chaussures de Franca (São Paulo), sur un total de 30 membres, deux seulement l'ont accompagné et que dans cette ville seulement neuf personnes ont quitté le PT.
5. Sabado insiste sur sa vieille thèse selon laquelle il devrait y avoir une confluence entre les militants de la gauche du PT et ceux du PSOL. Cette thèse existe seulement de l'autre côté de l'Atlantique. Ici, sous la ligne de l'équateur, il n'existe que le péché. Le principal objectif du PSOL c'est la destruction du PT et en particulier de la gauche du PT. Il n'y a pas de collaboration possible et il n'est pas vrai que le PSOL ait pris des initiatives dans un sens unitaire.
6. Et, une fois de plus, les élections de 2006. Pour Sabado l'affrontement de 2006 opposera Lula à Heloísa Helena ! En un acte magique le chroniqueur a fait disparaître toute la droite brésilienne ! En tant que nouveau spécialiste du Brésil, Sabado doit lire les quotidiens et les revues du pays. Il doit avoir perçu qu'il y a une véritable campagne de la droite, dont l'avant-garde est constituée par le PSDB et le PFL, de concert avec les moyens de communication de masse, visant non seulement le renversement de Lula mais aussi la mise en cause du PT en tant que parti légal.
Malgré le fait que Sabado insiste sur le fait que le gouvernement Lula est néolibéral, qu'il représente les intérêts du capital financier, etc. etc., les banquiers et les grands entrepreneurs, leurs partis politiques et leurs moyens de communication de masse ne le pensent pas. Comme l'affirme le banquier et le président du PFL, Jorge Bornhausen, cette crise (du PT) doit servir (à ceux de la droite) " pour être débarrassé de cette race durant les prochaines 30 années ». Et par " cette race » il entend le PT et avec lui dans le viseur de la droite ont trouve le MST (Mouvement des travailleurs sans terre) et les autres mouvements sociaux.
Seuls le sectarisme et le schématisme empêchent quelques groupes de voir qu'au centre de la politique brésilienne aujourd'hui il y a un conflit entre la gauche et la droite. Cette myopie les conduit à prioriser l'attaque contre le PT et avant tout contre la gauche du PT, dans un gauchisme insensé. Dans l'histoire du mouvement ouvrier et socialiste il y a eu d'autres moments où le gauchisme inconséquent a aidé la stratégie de la droite. En ce qui nous concerne, la DS, nous travaillons avec ardeur pour éviter que les tragédies d'hier ne se répètent aujourd'hui en tant que farce.
Un internationalisme pour le XXIe siècle
Finalement, nous voulons profiter de ces brefs commentaires sur un cas de " mauvais internationalisme », infesté de vices du XXe siècle, pour récupérer ce dont nous avons vraiment besoin : un débat sur un " internationalisme pour le XXIe siècle », qui reprend les valeurs et l'héritage des quatre Internationales, tout en faisant le bilan de leurs erreurs. Qui identifie les nouveaux acteurs politiques existants aujourd'hui ainsi que ceux qui ont perduré (depuis la crise générale des gauches des débuts de la décennie passée), mais qui, par dessus tout, sera capable de propulser un internationalisme ouvert et pluriel, étroitement lié aux luttes politiques en cours. Ce qui dans notre région est conçu comme une lutte chaque fois plus âpre entre un pôle de résistance à l'impérialisme états-unien (avec à sa tête le processus révolutionnaire vénézuélien et pour lequel le PT est un allié stratégique) et les initiatives du gouvernement Bush pour la région.
Sur le plan de la " société civile mondiale » le militantisme de la DS dans les mouvements sociaux a eu un rôle important dans la construction des espaces et des articulations internationaux tel le Forum social mondial, l'Assemblée des mouvements sociaux, la Campagne continentale contre la ZLÉA (Zone de libre échange des Amériques), l'Alliance sociale continentale, la Marche mondiale des femmes, la Coordination des centrales syndicales du Cône Sud, les forums des travailleurs en économie solidaire, entre autres initiatives qui ont signifié d'importantes avancées sur notre continent dans la lutte contre la mondialisation néolibérale, contre l'impérialisme, contre la guerre, contre le patriarcat capitaliste etc. Le grand impact des récentes actions du Sommet des peuples (impulsé par l'Alliance sociale continentale) à Mar del Plata, contre Bush et contre la ZLÉA a témoigné de la justesse de ce pari stratégique. Il y a maintenant une mobilisation intense sur tout le continent autour de la préparation du Forum social mondial de janvier 2006 à Caracas, qui sera un point de repère de ce processus.
Néanmoins sur le plan de la politique partidaire il n'y a pas aujourd'hui d'articulations correspondantes au processus en cours dans la société civile. Nous sommes devant le défi de construire des espaces internationaux et régionaux des gauches politiques et partidaires (ou de reformuler les espaces existants, tel le Forum de São Paulo), qui seraient capables de dialoguer avec ces processus de la société civile mondiale. Les gauches révolutionnaires, dont la IVe Internationale, sont appelés à relever ce défi. Les militants de la DS se consacrent à cette tâche. (Mais, attention à ne pas répéter un " mauvais internationalisme » usé, qui éloignera irrémédiablement de ce chemin ceux qui répètent les erreurs du passé !).
1. Démocratie socialiste (DS) est une tendance de la gauche du PT qui regroupe en son sein les militants s'identifiant à la IVe Internationale. Depuis l'élection de Lula et la formation de son gouvernement dont fait partie en tant que Ministre de la réforme agraire Miguel Rosetto, dirigeant de la DS des divisions politiques sont apparues au sein de la DS et plusieurs centaines de ses militants l'ont quittée pour construire le PSOL avec Heloísa Helena, sénatrice de la DS, exclue du PT pour son refus de voter les contre-réformes du système des retraites. Le Comité International de la IVe Internationale, après une année de discussion, a adopté en février 2005 une orientation différente de celle de la majorité de la DS (cf. Inprecor n° 504 d'avril 2005), considérant en particulier qu'il " ne fait plus de doute que l'occupation de postes au gouvernement Lula, soit au niveau ministériel, soit à d'autres fonctions avec des responsabilité politiques, est contradictoire avec la construction d'une alternative au Brésil en cohérence avec nos positions programmatiques ». Le CI s'est par ailleurs prononcé " pour le maintien de relations avec toutes les composantes de la IVe Internationale au Brésil toutes les composantes restant membres de plein droit de l'Internationale avec l'objectif de favoriser le dialogue, les relations et l'unité d'action de toutes ces composantes dans la perspective d'une alternative politique au gouvernement Lula ».