La fin de l'ETA

par José Ramón Castaños

José Ram¾n Casta±os "Troglo", militant de la Charte des droits sociaux (GOGOA) et signataire des accords de Lizarra, a été un des fondateurs de l'ETA-VI (une scission majoritaire de l'ETA lors de sa sixième assemblée en 1971)

Il y a de nombreuses raisons pour penser que la déclaration de " cessez-le-feu permanent », faite le 22 février dernier, soit le commencement de la fin de l'ETA. La nouvelle n'a surpris personne et nous l'attendions tous depuis que l'on a su que la substitution des attentats mortels par des attentats de " basse intensité » (il n'y a pas eu d'attentats mortels depuis 3 ans) répondait à un désir inavoué de faciliter un travail de réflexion avec le gouvernement socialiste, réalisé semble-t-il par l'intermédiaire du prêtre irlandais Alec Reid et en étroite collaboration avec l'église basque des deux côtés des Pyrénées.

Parler du commencement de la fin pour une organisation ayant 50 ans d'histoire peut paraître démesuré mais c'est pourtant ce qui ressort de l'analyse des termes employés dans la déclaration et des causes qui l'expliquent. Parmi celles-ci, il faut prendre en compte le bilan terrifiant de la violence sur la conscience démocratique de la majorité basque et la souffrance que celle-ci a produit. Au cours de son histoire, l'ETA a réalisé 72 enlèvements et a provoqué la mort de 817 personnes (339 civils et 478 policiers ou militaires), dont seulement 45 correspondent à la période de la dictature franquiste. Les 772 autres sont morts après le rétablissement d'un système démocratique. Parmi les civils qui sont morts, 20 d'entre eux étaient des militants ou des dirigeants politiques du Parti populaire (PP) ou du Parti socialiste espagnol (PSE) — 12 entre les années 2000 et 2002. Cela dit, pour compléter le tableau sur la violence, il ne faut pas oublier que l'Etat espagnol a assassiné 145 militants de l'ETA (une bonne partie d'entre eux avec du " terrorisme d'État » à travers le sigle GAM) et qu'à ces meurtres il faut ajouter 10 suicides dans les prisons espagnoles, des milliers de cas de dénonciation suite à des tortures ; plusieurs milliers de personnes qui sont passées par les prisons ou l'exil et encore 510 personnes qui sont emprisonnées aujourd'hui en Espagne et 150 en France. Le cumul de ces violences met aussi en lumière l'énorme disproportion entre la " petite amplitude » d'un problème national qui pourrait se résoudre dans un système démocratique par des méthodes démocratiques, et la " grande amplitude » d'une violence qui est devenue insupportable pour un petit pays de 25 000 kilomètres carrés et de 3 millions d'habitants. Cela explique en partie pourquoi la décision a été unanime dans l'ETA et entre l'ETA et Batasuna. Cela explique aussi, soit dit en passant, ce qu'a déclaré Egiguren (président du PSE et personnage clé dans les négociations avec l'ETA), " le désir de paix et de réconciliation est si fort que les plaies des violences se cicatriseront bientôt ».

A la différence des trêves précédentes, cette dernière déclaration de cessez-le-feu prend un caractère permanent, c'est-à-dire définitif. L'ETA n'a pas annoncé sa disparition, mais il va sans dire qu'une organisation armée qui annonce le silence de ses armes de façon " permanente », cesse en réalité d'être opérationnelle et donc commence à cesser d'exister. Pour renforcer cette hypothèse, on peut noter que l'adjectif " permanent » est associé à " inconditionnel ». Même si la déclaration de l'ETA n'en parle pas explicitement, le plus significatif est qu'elle annonce ce " cessez-le-feu » sans exiger au préalable quoi que ce soit de personne. Ceci est un changement décisif par rapport à ce qui s'était fait auparavant où l'ETA avait rompu les négociations d'Argel avec Felipe Gonzàles car celui-ci ne voulait pas reconnaître l'autodétermination, et rompu les trêves postérieures des années 1998-2000 car le pacte d'Estella pour la souveraineté et l'autodétermination n'acceptait pas le contenu et les rythmes qu'elle voulait imposer. Les choses aujourd'hui sont d'une tout autre nature. L'ETA a décidé de rendre les armes sans qu'il y ait contrepartie de concessions politiques. La solution au problème des relations entre l'Euskadi et l'État espagnol reste entre les mains d'une assemblée de partis politique sans exclusive, ce qui revient à accepter les procédés démocratiques pour trouver une solution au conflit, c'est-à-dire renoncer à diriger la politique par la menace de la violence, exiger la non-ingérence externe de l'État espagnol et se soumettre à une consultation citoyenne de la proposition ou des propositions qui seront issues de l'assemblée des partis.

L'annonce du " cessez-le-feu » est ressentie comme une libération. Dans la masse sociale du nationalisme basque, il n'existe plus aujourd'hui l'enthousiasme qu'avait suscité la précédente trêve. Cette dernière trêve est précédée par le dégoût de la société envers une organisation armée qui a brisé les espérances de paix et de démocratie en assassinant les dirigeants de l'opposition pour " socialiser la douleur ». Le sentiment de soulagement que l'on perçoit est accompagné d'une profonde tristesse. La tristesse de savoir que les souffrances causées par l'ETA n'avaient pas de justification possible et de plus n'ont servi à rien. Le dernier " cessez-le-feu » arrive tard, très tard. Pour nous débute à partir d'aujourd'hui une énorme tâche de réélaboration d'une nouvelle éthique politique à partir de laquelle on pourra recomposer un nouveau mouvement de gauche afin de continuer la lutte pour ce qui reste en suspens : la libération des prisonniers des deux côtés de la frontière, la création d'institutions politiques qui mettent en relation un territoire basque avec l'autre, l'autodétermination et la souveraineté politique des territoires basques qui le désirent. C'est du moins l'enjeu que nous nous fixons.

traducteur
Jack Radcliff (de l'espagnol)