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Échos du Ve Congrès du Mouvement des travailleurs ruraux Sans Terre

par

Julien Terrié (militant français de la LCR, membre des amis du MST http://amisdessansterre.blogspot.com/ ) et Tárzia Medeiros (militante brésilienne du PSOL et de la marche mondiale des femmes) ont été invités au Ve congrès national du MST, tenu à Brasilia du 11 au 15 juin 2007.

17 500 délégués, dont 40 % de femmes, toutes et tous élu(e)s par les militants des terres conquises où encore en occupation dans 24 États du Brésil sont venus discuter des futures tâches politiques du Mouvement des travailleurs ruraux Sans Terre (MST) et, surtout, de l'attitude du mouvement envers le gouvernement Lula. Car le MST, qui a obtenu des victoires significatives face au libéralisme (20 millions d'hectares gagnés aux latifundistes en 22 ans de lutte pour la terre), tenait cette année son premier congrès depuis l'élection de Lula.

En 2000, pour son IVe congrès, le MST avait opté pour le slogan " Réforme agraire : pour un Brésil sans latifundio " (sans grandes propriétés). Cette année le nouveau slogan — " Réforme agraire, pour la justice sociale et la souveraineté populaire " — tient compte de la dimension politique inégalée au Brésil qu'a pris le MST depuis 2000.

L'attitude du MST jusque là était de soutenir un gouvernement qui, au moins sur le terrain de la réforme agraire qu'il avait promis de réaliser, pouvait être en conflit avec la classe dominante... L'analyse peut paraître un peu optimiste aux vues de la teneur des dernières campagnes de Lula. Pourtant le MST a considéré que les premières années de gouvernement petiste contribueraient à l'accumulation de force pour le Mouvement. Ce fut en effet le cas : une vague d'occupation massive en 2003, appelée Avril Rouge, a lancé des familles encore hésitantes dans la lutte pour la terre. Ces travailleurs sans terre espéraient une victoire possible cette fois-ci avec le soutien de Lula.

Par ailleurs, avec un conflit moins ouvert face au pouvoir, le MST a concentré ses efforts sur la formation de cadres. Un pas énorme a été fait en ce qui concerne l'organisation interne, avec l'ouverture de l'École Nationale Florestan Fernandez à São Paulo, une véritable usine de formation politique de masse. Et le résultat s'est fait sentir rapidement au travers de trois événement majeurs :

— La contribution du MST à l'organisation du FSM de Porto Alegre en 2005, avec la venue de Hugo Chávez et la conclusion d'accords bilatéraux entre le MST et le gouvernement vénézuélien dans le cadre de l'Alternative bolivarienne pour l'Amérique latine (ALBA) sur la formation en agronomie et le soutien politique et humain du MST au Frente Nacional Ezequiel Zamora, mouvement pour la réforme agraire au Venezuela.

— La marche pour la Réforme Agraire de mai 2005. 12 000 Sans Terre ont marché sur 300 kms pour demander à Lula l'application de sa promesse d'installation de 400 000 familles Sans Terre (seulement 85 000 l'ont été en réalité aujourd'hui selon le MST)

— Enfin, ce Ve congrès du MST qui vient de se terminer, le plus gros congrès jamais organisé par un mouvement paysan au Brésil. Avec un niveau politique et une quantité d'activités parallèles (culturelles, échanges internationaux, marche de 25 000 personnes vers le palais présidentiel) qui confirment le statut de force politique majeure du MST.

Cette attitude permettait de juger le gouvernement sur ses actes, ce qui a facilité l'adhésion de la base des Sans Terre (très favorable à Lula comme la majorité des pauvres brésiliens) aux nouvelles thèses du MST.

Caractérisation du gouvernement Lula

Mais les faits sont têtus et cette position ne pouvait tenir qu'un temps. Après avoir soutenu Lula pour sa réélection l'an dernier, (une défaite de Lula aurait mis les mouvements populaires dans une situation encore plus défavorable) le Mouvement se devait de prendre ses responsabilités et produire publiquement une analyse sur la conjoncture brésilienne qui ne souffre aucune ambiguïté.

" Quelle devrait être notre position si le président que nous avions soutenu empêchait la réforme agraire, s'il donnait la gestion de la banque centrale du Brésil à l'ancien président de la banque de Boston, s'il soutenait notre pire ennemi l'agrobusiness qui détruit l'environnement et exploite les travailleurs ruraux, s'il participait à l'attaque impérialiste contre Haïti, s'il privatisait les richesses du peuple brésilien ? (...) Nous devons aujourd'hui résister à toutes les formes de capitalisme et lutter contre ceux qui nous les imposent " a déclaré Gilmar Mauro, membre de la direction nationale du MST pendant le débat sur l'analyse de conjoncture.

Pour la première fois, le Mouvement juge non seulement que le gouvernement Lula n'a pas pris l'espace qu'il avait pour transformer la société brésilienne, mais qu'il accompagne l'implantation du libéralisme au Brésil.

Dans l'analyse de conjoncture le Mouvement a laissé une partie de l'introduction à Nalu Faria (Coordinatrice internationale de la Marche des femmes, membre de la Tendance Démocratie socialiste du Parti des travailleurs). Cette dernière a défendu la thèse gouvernementale, affirmant que le niveau de vie a augmenté avec Lula et que les réformes prévues (grands travaux, réforme syndicale et réforme de la sécurité sociale — toutes rejetées massivement par les mouvements sociaux) allaient dans le sens du progrès social au Brésil. Inutile de dire qu'elle a été courtoisement mais énergiquement remuée par les délégués Sans Terre déjà convaincus par l'accusation nécessaire du gouvernement Lula.

Réforme Agraire, réforme transitoire

João Pedro Stedile a fait la démonstration de l'impasse de la Réforme Agraire dans le cadre actuel. Le soutien de Lula à l'agrobusiness est la conséquence de sa capitulation face au libéralisme. " L'agrobusiness est le mariage entre les multinationales omnipotentes sur l'ensemble du marché agricole (semences, toxiques, marché intérieur, marché international, expertises...) et les capitalistes agricoles brésiliens ". Dans ce cadre-là, c'est la monoculture des produits pour le marché mondial (soja, canne à sucre), et surtout avec la perspective des agrocombustibles (que le MST refuse d'appeler biocarburants), avec le moins de main-d'oeuvre possible, qui s'impose.

Alors qu'à la fin de la dictature, le capitalisme industriel avait eu besoin des paysans, donc d'une réforme agraire, pour assurer les matières premières et le marché intérieur, le nouveau modèle initié par l'ancien président F. H. Cardoso et promu par Lula a l'avantage pour la classe dominante de ne pas avoir besoin de paysans. D'où l'impossibilité de l'application de la réforme agraire dans le cadre actuel et l'appel du MST à unir toutes les forces sociales brésiliennes pour construire un projet populaire, dans le cadre de l'Assemblée Populaire (1), à la recherche de la transformation socialiste. La réforme agraire est donc vue par le MST comme une réforme transitoire, impossible dans le système actuel.

Le MST a toujours joué un rôle central dans la recomposition des mouvements sociaux et le dynamisme de la lutte des classes au Brésil ces 20 dernières années. Son nouveau positionnement face au gouvernement Lula va considérablement influencer les autres mouvements sociaux et doper l'Assemblée Populaire, la rendant plus crédible pour organiser la résistance. Au niveau politique, une partie du PCdoB et surtout le PSOL (2), deviennent des partenaires politiques importants pour l'avenir. Mais comme dit le MST dans la carte finale du congrès : " Les vraies transformations sont obtenues par le peuple organisé, nous nous engageons à ne jamais perdre l'espérance " !

Brasilia, le 16 juin 2007

1. Le MST a manifesté officiellement sa volonté de créer cette union dans le cadre de l'assemblée populaire — avec l'Intersymdicale, la Conlutas, les pastorales liées à la théologie de la libération plus critique envers le gouvernement… — ce qui est un signe fort car jusque là le MST intervenait de manière privilégiée au travers de la Coordination des mouvements sociaux (CMS), au sein de laquelle des secteurs de la CUT inféodés au gouvernement jouent un rôle important.

2. La délégation du PSOL devait être conduite par Plínio Arruda Sampaio, qui n'a pu y assister et a été remplacé au dernier moment par João Alfredo, ancien député et militant de la IVe Internationale.

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