 
Le 19 juillet 1979, le peuple nicaraguayen a triomphé de la dictature du clan Somoza, marquant le début de la révolution sandiniste, qui allait durer près de 11 ans. À l’occasion du 46e anniversaire de cette révolution, les derniers vestiges de celle-ci ont été piétinés et enterrés lors d’une cérémonie aussi bizarre que pompeuse, entièrement en vase clos et à laquelle le peuple n’avait pas été convié.
Le couple présidentiel Daniel Ortega et Rosario Murillo y a fait défiler, le 19 juillet 2025, plus de 36 000 étudiants et 4000 policiers et militaires. Ils ont été rassemblés sur la Plaza de la Fe et disposés par blocs de 150 personnes strictement ordonnés (voir photo) pour célébrer les dictateurs en dirigeants absolus du Nicaragua.
Le déroulement de cet événement de quatre heures était entièrement destiné à présenter Rosario Murillo comme étant la coprésidente à égalité de rang, au côté de Daniel Ortega.
Cependant, les chants « Daniel-Daniel-Daniel » ont clairement montré qui reste le véritable dirigeant du pays. Ortega a commencé son discours par ces mots : « Ici, nous sommes tous Daniel ». Le commandant, qui n’a jamais participé à la lutte armée de libération et qui, en 1979, était totalement inconnu au Nicaragua, s’assimile ici au FSLN, à la révolution sandiniste et à tout le peuple nicaraguayen. Cela n’est qu’une manifestation supplémentaire de sa mégalomanie et de la conviction qui est la sienne d’accomplir une mission divine au Nicaragua.
Répression et purges politiques
Le message principal de son discours était une menace ouverte contre toute expression d’opposition ou toute de critique : « Pour avoir la paix, nous devons avoir de la force et un esprit combatif. Si nous voulons défendre la paix, nous devons toujours être prêts à faire la guerre aux conspirateurs ! » Il a appelé les structures paramilitaires des quartiers, qui lui restent fidèles, à maintenir la « vigilance révolutionnaire » face à tous les « terroristes, conspirateurs et traîtres à la patrie, car ils sauront que lorsqu’ils seront découverts, ils seront capturés et jugés ».
Le développement de la répression étatique au cours des derniers mois et de ces dernières années prouve que ces paroles ne sont pas vides de sens. L’année 2025 a été aussi marquée par le fait que les mesures de persécution politique ont visé de plus en plus de fonctionnaires de la haute et moyenne administration publique. Faisant suite aux rumeurs persistantes sur la mauvaise santé présumée d’Ortega, on assiste actuellement à une véritable vague de purges, qui a commencé il y a plus d’un an et qui touche désormais y compris les personnes les plus proches du couple présidentiel.
Par exemple, Bayardo Arce, l’un des neuf commandants de la révolution qui ont dirigé la révolution sandiniste et le dernier du groupe à être resté allié à Ortega, a été arrêté le 26 juillet 2025 pour corruption et placé en résidence surveillée. Il a sans doute été l’un des principaux bénéficiaires de l’appropriation privée de biens publics par les hauts cadres du FSLN depuis des décennies. Il a ainsi acquis plusieurs entreprises, notamment dans le commerce du riz, un des aliments de base du Nicaragua. Mais, malgré la corruption endémique du pays, il n’est pas parvenu à devenir un capitaliste prospère ; son activité a entraîné des dettes d’impôts de plusieurs millions de dollars qui ont abouti à l’expropriation de ses entreprises.
Le 14 août, l’officier de sécurité Nestor Moncada Lau a connu un sort similaire. Il a été impliqué dans divers attentats terroristes, a organisé la répression militaire de manifestations pacifiques. Il figurait dans les dossiers comme étant le père d’au moins un des enfants illégitimes de Daniel Ortega, a été pendant des années chef de la sécurité du secrétariat du FSLN et, en tant que l’un des proches les plus proches d’Ortega, il connaissait aussi en détail tous les scandales au sein du palais présidentiel. Quelques semaines auparavant, le 19 juin 2025, Roberto Samcam, éminent critique du régime en exil au Costa Rica, avait été assassiné par des tueurs à gages. Samcam, un officier supérieur à la retraite, connaissait parfaitement les rouages internes de l’armée nicaraguayenne et avait analysé dans de nombreux articles et livres la dynamique interne de l’appareil répressif orteguiste, y compris la participation de l’armée à la répression d’État.
Ce ne sont là que trois exemples d’une vague de persécutions qui n’épargne personne et qui a déjà touché plusieurs milliers de personnes, du citoyen ordinaire au haut fonctionnaire.
Il est évident que le régime cherche à s’assurer que Rosario Murillo s’installe à la succession Ortega de la manière la plus douce possible. C’est pourquoi, jour après jour depuis des mois, des personnalités occupant des postes clés au sein du régime, dont la loyauté inconditionnelle envers Murillo ne pouvait être totalement garantie, ont été les unes après les autres démises de leurs fonctions et remplacées par d’autres marionnettes.
Comme beaucoup de ces personnes étaient de hauts fonctionnaires du régime, il est plus que probable qu’elles se soient énormément enrichies. Cependant, la véritable raison qui a motivé leur persécution n’est pas liée à des affaires de corruption, pratiques profondément enracinées dans toutes les institutions nicaraguayennes, mais dans le fait qu’Ortega-Murillo doutent de leur obéissance aveugle.
Les circonstances de la mort d’Humberto Ortega, frère de Daniel, soulignent l’importance qu’attache le régime à la succession familiale. Humberto était également l’un des neuf commandants de la direction nationale du FSLN, stratège de la lutte insurrectionnelle victorieuse et chef de l’armée sandiniste, qui est resté jusqu’à sa mort une figure influente de la politique nicaraguayenne. Le 19 mai 2024, le site argentin infobae a publié une interview dans laquelle l’ancien général remettait en question les capacités de leadership de Rosario Murillo et défendait la nécessité de parvenir à un compromis avec l’opposition. En représailles, en l’espace de quelques heures, sa maison a été encerclée par la police, tous ses moyens de communication lui ont été retirés, il a été placé à l’isolement total et s’est vu refuser les soins médicaux dont il avait besoin du fait de ses problèmes de santé. Une semaine plus tard, Ortega l’a publiquement condamné en tant que « traître ». Le 9 juin, Humberto a envoyé un dernier appel à l’aide urgent depuis un téléphone portable secret à la rédaction du journal électronique Confidencial. Il a été admis à l’hôpital militaire le 11 juin, mais dans ces conditions son état de santé s’est détérioré, jusqu’à ce qu’il décède le 30 septembre 2024.
Les manifestations d’avril 2018
Les vagues actuelles de répression et de purges institutionnelles trouvent leur origine dans les manifestations massives d’avril 2018, au cours desquelles la population a manifesté pacifiquement contre la répression politique et l’enrichissement démesuré de la famille Ortega-Murillo. Lorsque la police et les paramilitaires fidèles à Ortega ont réprimé les manifestants avec une violence de plus en plus forte, des barricades ont été érigées dans les quartiers résidentiels pour empêcher les forces répressives d’y entrer. Le régime a réagi avec une brutalité extrême. Plus de 2000 personnes ont été emprisonnées au cours des mois suivants et plus de 300 ont été assassinées, certaines par des snipers de l’armée. L’État autoritaire, qui avait jusqu’alors permis un certain niveau de liberté d’information, d’enseignement, de croyance religieuse et de débat politique, s’est transformé en une dictature ouverte qui a supprimé toute activité indépendante et non contrôlée par l’État.
À partir de ce moment, d’innombrables mesures ont été prises pour réduire une fois pour toutes le peuple au silence. Toute une série de lois ont été adoptées pour donner une apparence légale aux mesures répressives du gouvernement. Les manifestations ont été interdites, même lorsqu’elles consistaient simplement à brandir le drapeau national, bleu et blanc. Peu à peu, tous les partis qui ne se sont pas soumis à la dictature ont été déclarés illégaux. Les élections de 2021, boycottées par près de 80 % de la population, ont été une véritable fraude. Depuis lors, le nouveau parlement a approuvé à l’unanimité presque toutes les résolutions, sans aucune voix contre.
Les deux représentants les plus connus du groupe ethnique miskitu, Steadman Fagoth Müller et Brooklyn Rivera, ont été arrêtés et sont depuis deux ans «portés disparus ». Plus de 4 000 organisations non gouvernementales – dont des universités, des églises, des associations professionnelles, la Croix-Rouge, des associations de femmes et des organisations de défense des droits humains – ont été interdites et leurs biens confisqués. En 2023, 222 prisonniers politiques ont été expulsés vers les États-Unis et plus de 300 personnes ont été déchues de leur nationalité nicaraguayenne, de leurs titres professionnels, de leurs biens et de leurs pensions.
Toute l’élite politique et culturelle du pays est désormais en exil. Vilma Núñez, 86 ans, présidente du CENIDH (Centre Nicaraguayen des Droits Humains), est la seule personne de cette organisation qui refuse encore de quitter le Nicaragua. En raison de son âge avancé et de sa notoriété internationale, le régime ne semble pas vouloir se risquer à la toucher. Elle vit actuellement dans un isolement quasiment complet et sans aucun statut juridique.
La crise du système
Le 18 février 2025, une nouvelle constitution a été promulguée par le biais d’une procédure inconstitutionnelle. Elle modifie de fond en comble la structure de l’État, supprime la séparation des pouvoirs et subordonne ces instances – désormais appelées « organes » et non plus « pouvoirs » –à la présidence. En outre, elle remplace les fonctions de président et de vice-président par deux coprésidents, un homme et une femme, concentrant ainsi tout le pouvoir absolu entre les mains d’Ortega et de Murillo. La constitution créée par la révolution sandiniste, qui garantissait les droits fondamentaux, la séparation des pouvoirs et le pluralisme politique, a été détruite dans ses fondements -mêmes.
Les six premières années de la révolution, Ortega a coordonné la Junta de Gobierno Revolucionaria (Junte révolutionnaire), avant de devenir le président démocratiquement élu du pays, en exerçant ces fonctions sous le contrôle du Parlement et de la direction du FSLN. Au contraire, Ortega et Murillo gouvernent aujourd’hui de manière dictatoriale et sans aucune légitimité démocratique. Ils ont même aboli ce qu’il restait de la constitution républicaine créée par la révolution sandiniste.
Le Nicaragua est au plus bas, économiquement, politiquement et socialement. Un capitalisme de copinage a détruit l’économie. Les principales sources de revenus sont désormais l’exportation d’or, extrait de manière destructrice pour l’environnement par des multinationales privées, et les envois de fonds des familles émigrées, principalement aux États-Unis. La défiance et la peur dominent actuellement l’état d’esprit de la population du pays. La société est rongée par des vagues continuelles de répression et de purges politiques. L’opposition organisée, implantée entièrement à l’étranger, faible et fragmentée, n’est pas en état de renverser la dictature. Cependant, les contradictions internes au régime engendrent des mesures gouvernementales de plus en plus absurdes qui y produiront inévitablement des conflits internes et des fractures. Beaucoup considèrent l’implosion du système comme l’hypothèse la plus probable de son effondrement et une partie croissante de la population espère que cela se produira bientôt.
Lisbonne, 7 octobre 2025



 
 

