La mobilisation massive de la jeunesse à Madagascar a fait tomber le régime de Rajoelina. Ce soulèvement est en rupture avec les révoltes précédentes qui, depuis 1972, étaient sous la domination de fractions bourgeoises utilisant les populations comme masse de manœuvre pour renverser leur compétiteur et prendre la place. L’affranchissement de ce processus pousse à une politisation du mouvement, rapide et profonde. Ne plus être sous la domination politique d’une fraction de l’élite dirigeante implique la nécessité, pour les dirigeants de cette lutte, de proposer une alternative politique à leur lutte. Un bref aperçu de la situation sociale et économique du pays est ainsi nécessaire pour mieux appréhender certaines exigences du mouvement de la Gen Z.
Un pouvoir qui se plie aux exigences des multinationales minières
La grande île est dotée de richesses géologiques : on y trouve de l’or, des pierres semi-précieuses comme le rubis, mais surtout des minerais essentiels pour l’industrie de haute technologie, qui devient au fil du temps un enjeu majeur pour les pays riches. Quelques mois avant les élections présidentielles de 2023, la Banque mondiale avait conditionné un prêt de 200 millions de dollars à la réforme du secteur minier. Aussitôt, le président Rajoelina avait réformé le code minier, renforçant ainsi une politique extractiviste.
Aujourd’hui, le secteur minier est en pleine expansion, notamment autour des terres rares. L’entreprise canadienne NextSource Materials possède la mine de Molo, connue pour être un des plus grands gisements de graphite d’excellente qualité. Rio Tinto, le géant minier australien, extrait le titane et le zirconium. Energy Fuels, une entreprise américaine, s’est positionnée sur le projet Toliara avec comme objectif d’importer les minerais pour les traiter aux États-Unis, dans l’État de l’Utah.
À chaque fois, ces opérations impliquent l’expulsion des paysans de leurs terres, les privant de leurs ressources et endommageant gravement l’environnement. Les mobilisations paysannes contre ces spoliations sont sévèrement réprimées, et ceux qui sont considérés comme les leaders sont incarcérés.
Pauvreté et insécurité
L’exploitation du sous-sol ne profite nullement aux populations, même dans une faible mesure. En octobre 2025, la Banque mondiale publiait les chiffres concernant la situation sociale et économique de la grande île. Ils sont accablants. Près de la moitié de la population des villes était sous le seuil de pauvreté ; quant à celle des campagnes, elle représentait les trois quarts. 58 % des Malgaches n’ont pas accès à l’eau potable et 62 % ne bénéficient pas de l’électricité.
Derrière ces chiffres se cache une forte disparité liée à la situation géographique. Dans le sud du pays, les problèmes de malnutrition sont récurrents, allant parfois jusqu’à la famine dénommée « Kéré ». La dernière grande crise date de 2020 : près de 750 000 en ont été victimes. Ces crises sont la conséquence du dérèglement climatique mais aussi de défaillances des pouvoirs publics depuis des décennies, qui se traduisent par une absence de service public, une faiblesse des infrastructures dont la plupart sont peu ou pas entretenues. Cet abandon de l’État a aussi des conséquences sécuritaires. De véritables bandes de criminels pillent les villages et terrorisent les populations.
Si le vol de zébus a toujours existé, il était plus un acte symbolique de jeunes garçons permettant de prouver leur courage, leur ingéniosité aux yeux de leur communauté. Cette sorte d’acte initiatique s’est dénaturée en spoliation de cheptel, pratiquée par les voleurs de zébus ou Dahalo, qui désormais alimentent les trafics de viande. Cette évolution négative débouche sur des agressions contre les populations rurales qui se trouvent dépouillées de tous leurs biens. Ces violences récurrentes et en hausses déstructurent totalement l’économie et le mode de vie des habitants dans les campagnes.
Affairisme et captation
À cela s’ajoute la criminalité en col blanc. Très rapidement, les mobilisations de la jeunesse, dans leur revendication, ont pointé la corruption des élites. En effet, des hommes d’affaires comme Ylias Akbaraly, considéré comme l’homme le plus riche de l’île, ont été cités dans le cadre des Panama Papers pour fuite de capitaux et constitution de sociétés écrans installées dans des paradis fiscaux. Il a été mis en cause pour des montages financiers illégaux lors de la construction de la tour Orange, pour les évasions fiscales sans pour cela être inquiété par la justice.
L’autre personnage qui a été la cible dès le début des manifestations est Maminiaina Ravatomanga, deuxième fortune du pays. Sa proximité avec Rajoelina lui a permis de capter une grande partie de la richesse de Madagascar. Il a été accusé d’avoir utilisé les hommes de son entreprise, l’Académie de sécurité, lors de la répression des premiers jours de manifestation. Il a réussi à instituer un quasi-monopole dans le domaine de l’import-export. Parti juste après la prise de pouvoir par les militaires, il est actuellement sous le coup de procédures judiciaires à l’île Maurice, pays où il s’est réfugié.
Une corruption qui n’épargne pas les membres du gouvernement : à titre d’exemple, on peut citer la construction de l’autoroute entre Antananarivo et Toamasina pour un coût de près d’un milliard de dollars pour 260 kilomètres. Certains ont dénoncé l’absence d’appel d’offres pour ces travaux, dont l’intérêt est discutable, sauf qu’il favorise le transport routier, secteur où la société Sodiat, appartenant à Ravatomanga, est quasiment en situation de monopole. Ces travaux ont occasionné des expropriations de paysans sans compensations et pollué les rizières à cause des coulées de boue. La réponse du pouvoir a été, pour un salaire de misère, d’obliger les paysans à réparer les dégâts.
La mobilisation populaire contre la corruption a touché même le football, où anciens joueurs et fans se sont retrouvés pour exiger un changement dans les structures. Au-delà de l’aspect moral, cette corruption a des conséquences directes et néfastes sur la vie quotidienne des populations. C’est le cas notamment pour la société nationale Jirama, qui distribue l’eau et l’électricité et qui a été la cause première des manifestations à cause des délestages de plus en plus fréquents et longs.
Le cas emblématique de la Jirama
Cette société est peut-être le concentré de tous les moyens de corruption possibles et imaginables. On trouve des achats sans appel d’offres et surévalués, des détournements de fonds opérés par les dirigeants, des surfacturations systématiques, des fournitures de carburant frelaté qui a endommagé les générateurs d’électricité, l’absence de paiement des factures par des entreprises en échange de pots-de-vin. Ravatomanga, qui a siégé au conseil d’administration de la Jirama jusqu’en 2014, est accusé de détournement de fonds au préjudice de cette société.
A cette situation s’ajoute le manque de maintenance et d’investissement tant au niveau de la distribution de l’eau que de l’électricité, ce qui a fortement pénalisé les populations. Cette société est devenue, au fil du temps, le symbole des turpitudes des dirigeants passés et actuels du pays.
Des élites concurrentes sans assises sociales
Comment expliquer les crises récurrentes que connaît ce pays ? Des universitaires ont mis en évidence une corrélation entre la progression du PIB et les coups d’État1. L’idée est que les différentes fractions de la bourgeoisie de la Grande Île se disputent le pouvoir pour profiter de la manne financière qu’offre la croissance.
Cette dernière est caractérisée par un isolement profond des élites, qui ne cherchent nullement à construire une base sociale minimale assise sur une politique clientéliste favorisant un segment de la population. L’analyse sociologique de l’appréhension par cette élite du peuple malgache révèle une forte unanimité à « naturaliser », selon l’expression de l’auteur de cette étude, la pauvreté de la population. Cette caste élitaire développe en parallèle la nécessité qu’elle guide et dirige le peuple. S’il existe des nuances dans le positionnement des élites, toutes, sans exception, ne se soucient guère d’une mise en place d’une politique visant à lutter contre la pauvreté des populations2.
Ces affrontements entre les différentes factions de cette bourgeoisie pour s’approprier la rente plongent le pays dans une crise économique nécessitant parfois de longues périodes pour renouer avec une croissance qui occasionnera de nouveau une crise pour l’accaparement du pouvoir. Ce cycle entraîne une paupérisation et un recul du PIB que l’on ne rencontre nulle part ailleurs, à l’exception des pays en guerre. Ces coups de force prennent leur racine dans la situation sociale désastreuse, qui pousse une partie des populations à suivre tel ou tel dirigeant d’une fraction de ces élites qui exploite politiquement la misère. Ces soubresauts s’échelonnent à travers le temps : en 1972, 1991, 2002, puis 2009.
Si on analyse la dernière crise, celle de la prise de pouvoir par Rajoelina en 2009, on constate la forte opposition d’une partie des élites et du président de l’époque Marc Ravalomanana. À la tête de l’empire TICO, il était accusé d’utiliser sa fonction présidentielle pour marginaliser ses concurrents et faire prospérer son empire économique. Le patronat local, à travers le Syndicat des industries malgaches (SIM), n’eut de cesse de critiquer des mesures gouvernementales favorisant son groupe, comme les détaxations sur les produits de première nécessité ou les amnisties fiscales.
Rajoelina était le maire de la capitale Antananarivo ; en protestant contre l’interdiction gouvernementale d’apposer des panneaux publicitaires lumineux de sa société, il s’est retrouvé à la tête de la fronde. Profitant d’un mécontentement populaire grandissant qui s’est cristallisé sur l’accaparement des terres arables par la société sud-coréenne Daewoo, Rajoelina s’est emparé du pouvoir. Le pays fut en butte à des sanctions financières qui ont fortement impacté les populations.
L’ombre de la France
Certains ont vu dans ce coup d’État la main de la France. Certes, on ne prête qu’aux riches, mais pour le coup cette crise est avant tout malgache, même si la prise de pouvoir par Rajoelina a été vue d’un bon œil par Paris. Ravalomanana était tourné vers le monde anglo-saxon, alors que Rajoelina, bien plus francophile il a même obtenu la nationalité française en 2014.
Ce qui explique certainement que, à nouveau, les autorités françaises ont joué le rôle d’Europe Assistance pour les dictateurs déchus. Hier, elles exfiltraient Blaise Compaoré, tombé lors de la révolution du Burkina Faso en 2014. Aujourd’hui, c’est Rajoelina qui a bénéficié d’un avion militaire français pour sa fuite. Concomitamment, deux Français, Philippe Marc François, ancien officier militaire français, et Paul Maillot Rafanoharana, ancien conseiller du président, emprisonnés à Antananarivo pour complot et tentative de coup d’État, ont été libérés.
Ces interférences de l’Hexagone dans les affaires internes de la Grande Île renforcent le sentiment de beaucoup de Malgaches, qui ont toujours soupçonné Rajoelina d’être bien trop complaisant avec l’ancienne puissance coloniale. Cela se vérifie sur la question des îles Éparses, que la France refuse de restituer à Madagascar en dépit du droit international, de l’histoire et de la continuité géographique. Le massacre colonial de 1947, où des dizaines de milliers de Malgaches ont été assassinés pour mater la rébellion des indépendantistes, n’a pas disparu de la mémoire collective. Un souvenir d’autant plus pénible que le comportement de la plupart des membres de l’importante communauté française à Madagascar est empreint de mépris, de grossièreté et d’arrogance vis-à-vis des populations.
Les mobilisations de 2025 opèrent une rupture dans le sens où les jeunes dans la rue n’ont pas joué le rôle d’une masse de manœuvre sous la direction politique d’un dirigeant d’une fraction de l’élite. D’ailleurs, aucun parti de l’opposition n’était présent lors des manifestations ; tout au plus certains ont exprimé un soutien de circonstance. C’était une mobilisation autonome et auto-organisée dont la plupart des porte-paroles étaient bien décidés à ne pas reproduire les erreurs de 2009 et à se laisser déposséder de leur lutte.
L’adoption de documents exprimant leur principale revendication témoigne d’une volonté de la Gen Z tout autant d’être indépendante et présente dans le débat politique.
La radicalisation du mouvement de contestation
On le sait, la mobilisation a débuté pour protester contre les incessants délestages d’électricité et d’eau. Deux conseillers de l’opposition de l’administration communale d’Antananarivo, Alban dit « Babà » Rakotoarisoa et Clémence Raharinirina, prennent individuellement la décision de protester devant le Sénat contre les coupures. Ils sont embarqués aussitôt et sans ménagement par les forces de l’ordre.
Cette scène filmée deviendra virale sur les réseaux sociaux et déclenchera des manifestations appelées par la Gen Z, un terme souvent utilisé par les médias pour désigner une cohorte démographique de personnes nées entre le milieu des années 1990 et 2010. Le terme Gen Z apparaît pour la première fois dans une situation conflictuelle lors des mobilisations du printemps 2024 contre la loi de finances du Kenya. D’autres mobilisations en Asie viendront renforcer l’idée d’une entité d’une jeunesse rebelle avec la référence d’une tête de mort souriante coiffée d’un chapeau de paille avec un turban rouge porté par le héros du manga « One Piece », en lutte avec ses compagnons contre un ordre politique injuste et violent.
Le pouvoir a répondu par une répression féroce qui, loin de décourager les manifestants, va amplifier la contestation s’étendant dans toutes les principales villes. Les réponses de Rajoelina ne font qu’accroître la colère lorsqu’il a affirmé que la mort d’un jeune étudiant, largement diffusée sur Internet, n’était qu’un pillard, ou étaient en décalage avec ce qu’attendait la rue. Le limogeage d’un ministre de l’Énergie, puis celui du Premier ministre, non seulement ne calment pas la contestation mais au contraire sont perçus comme un lâchage par le camp présidentiel, car le Premier ministre Christian Ntsay était la pierre angulaire de plusieurs réseaux de différentes régions de soutien de Rajoelina.
Très rapidement, la politisation du mouvement s’opère ; à la protestation contre les coupures d’énergie s’ajoute la lutte contre la corruption cause de l’inefficience du système de distribution, puis vient l’exigence de la démission de Rajoelina et enfin la remise en cause profonde du système politique de la Grande Île.
Les animateurs de la Gen Z ont su tisser des liens avec la société civile, à travers notamment l’organisation Transparency International Madagascar, évidemment particulièrement concernée par la corruption à la Jirama, et le mouvement syndical, essentiellement Solidarité syndicale Madagascar, qui n’a pas hésité à appeler à une grève générale.
Beaucoup sentaient le régime chancelant. À l’intérieur même des forces armées, le bien-fondé de la répression était questionné. La présidence a mis sur le devant de la scène l’armée en nommant un général à la primature. Comme une réponse, le corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques (CAPSAT) se range dans le camp de la mobilisation populaire. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce positionnement.
Contrairement aux casernes localisées à la périphérie, le CAPSAT est situé à l’intérieur de la capitale ; donc les soldats du rang partagent les difficiles conditions de vie des populations. Traditionnellement, ce service a toujours eu un rôle déterminant dans les crises. Rappelons qu’il avait porté Rajoelina au pouvoir lors de la crise de 2009. Enfin, on ne peut ignorer une certaine frustration de la part des soldats du CAPSAT de voir leur collègue de la gendarmerie, artisans de la répression, recevoir une prime substantielle de 500 000 ariary, l’équivalent de presque la moitié d’un mois de solde.
La prise de pouvoir par la hiérarchie du CAPSAT n’était nullement préméditée, elle n’a fait que remplir un vide. Les caciques du régime, l’ex-Premier ministre et l’homme d’affaires Maminiaina Ravatomanga, avaient pris la fuite, le président du Sénat Richard Ravalomanana avait démissionné et Rajoelina était introuvable et pour cause : il volait vers Dubaï. Ce coup de force d’ailleurs fut, lors des premiers jours, quelque peu chaotique. Le colonel Randrianirina annonça sa prise de pouvoir et la dissolution du Sénat, de la Commission Électorale Nationale Indépendante et de la Haute Cour de Justice. Dans le même temps, cette dernière, qui tout au long du règne de Rajoelina n’a eu de cesse de tordre la Constitution pour délivrer des rendus favorables à la présidence, avalisait la légalité du contrôle de l’armée.
La stratégie peu à peu s’est affinée avec comme première préoccupation, que cette prise de pouvoir n’apparaisse surtout pas comme un coup d’État, mais comme une action conforme à la Constitution. Un narratif aidé par la décision de l’Assemblée nationale qui, par un vote quasiment unanime, destituait le président Rajoelina, donc avec les voix des députés de la coalition présidentielle Isika Rehetra Miaraka amin’i Andry Rajoelina (IRMAR). Un autre exemple de la versatilité de la part des élites de ce pays.
Tentative de restaurer l’ordre ancien
Un puissant lobbying s’est mis en place par les différentes factions de la bourgeoisie, une fois le pouvoir pris par les militaires. Déjà, lors du rassemblement pour la commémoration des martyrs tombés lors des mobilisations, les premiers rangs de la scène étaient occupés par la hiérarchie militaire, les dirigeants des partis politiques d’opposition, les représentants des différentes églises du pays et enfin, derrière, au troisième rang, des représentants de la jeunesse. Un symbole de la tentative de reprendre le cours habituel des choses en ne changeant que l’équipe gouvernementale.
La nomination par le colonel Randrianirina, devenu président de la refondation de la République de Madagascar, du Premier ministre Herintsalama Rajaonarivelo, est significative tant sur la forme — en aucun cas les forces vives de la contestation n’ont été consultées — que sur le fond, le personnage étant connu pour être un soutien de Rajoelina et un proche de Maminiaina Ravatomanga.
Parmi la population et la Gen Z, il y a un certain attentisme, mais ces derniers savent que ce gouvernement n’opérera pas une rupture radicale. Les animateurs de la Gen Z ont produit deux documents qui synthétisent leur volonté politique : le premier est un projet politique pour le pays. Ils se définissent comme : « Notre mouvement est un mouvement révolutionnaire. Nous réclamons une démocratie populaire et aspirons à un futur égalitaire et, surtout, prospère pour l’ensemble du peuple malgache et les générations futures ». Le second est une sorte de feuille de route de la transition.
Dans le second document intitulé « Proposition de feuille de route pour une transition souveraine et populaire », le préambule indique :
« Cette feuille de route pour une Transition Populaire et Souveraine (TPS) s’inscrit dans une volonté de rupture totale avec le système actuel, marqué par l’inégalité, la corruption, la dépendance extérieure et la confiscation du pouvoir par une minorité. Elle propose une refondation de l’État fondée sur la souveraineté nationale, la justice sociale et la participation directe du peuple dans la prise de décision et le mode de gouvernance qui lui convient. » et réaffirme un principe considéré comme cardinal par la Gen Z : « il ne s’agit plus de réformer un appareil défaillant, mais de rebâtir un nouvel ordre politique à partir des forces vives du pays : sages (olobe), paysans, travailleurs, femmes, jeunes, techniciens et militaires patriotes. »
L’idée générale de ces deux documents est d’affirmer la nécessité d’un contrôle des populations sur les instances de pouvoir, quel que soit leur niveau, l’importance de la révocabilité des mandats avec une rotation des personnes occupant des postes de décision. La mise en place de comités populaires locaux dont les fonctions seraient de « remonter les priorités locales (Récolter les doléances et les remonter jusqu’au CTCM) dans le but de constituer la base de données pour les États généraux. Surveiller l’exécution des décisions prises dans leur localité et mises en œuvre par l’exécutif. Proposer les délégués aux États généraux ou à l’Assemblée constituante. Contrôler les organes judiciaires pour garantir l’impartialité des décisions. ».
Dernièrement, lors d’une conférence de presse, sous une banderole affirmant « La refondation de la nation du peuple par le peuple pour le peuple », les animateurs de la Gen Z ont réitéré leur critique sur les conditions de nomination du Premier ministre, ils ont dénoncé également des tentatives d’usurpation de jeunes manipulés par les partis politiques pour tenter de parler au nom de la Gen Z. Cette dernière s’est d’ailleurs structurée avec des porte-parole clairement identifiés, avec une volonté de représenter l’ensemble des communautés de l’île et ainsi pouvoir plus efficacement intervenir dans le débat politique. L’évolution de la Gen Z la place actuellement entre une structure de mobilisation large et une organisation politique avec un programme qui s’affine au gré de l’évolution politique du pays, comme en témoigne un animateur de la Gen Z :
« Si, au début, on a été des agitateurs, on entre maintenant dans une phase où l’on fait de la politique… Parce que si on veut vraiment changer les choses, on n’a pas le choix ».
La volonté d’offrir une alternative politique
À Madagascar, l’absence d’organisation de la gauche radicale reste un handicap pour alimenter le débat sur les tâches immédiates et sur les mesures à prendre qui ouvriraient la voie vers la rupture radicale souhaitée. Dans le même temps, on ne peut que constater une vivacité de la réflexion collective de la Gen Z, qui a réussi à éviter les écueils des manipulations de la part des différentes factions des élites, ainsi qu’une glorification puérile qui ferait de la jeunesse la sauveuse de la nation. Au contraire, elle a adopté une stratégie payante : celle d’unifier les populations dans la lutte contre le pouvoir.
À la différence d’autres mouvements de jeunes sur le continent, comme « Y’en a marre » au Sénégal, la Lucha en République démocratique du Congo ou le « Balai citoyen » au Burkina Faso, la volonté de la Gen Z d’être présente dans l’espace politique, comme ce fut le cas aussi pour les comités de résistance animés par la jeunesse au Soudan, démontre une maturité dans la compréhension des rapports de force. Ne pas se restreindre à la seule sphère de la société civile évite de donner carte blanche aux politiciens de l’ancien monde et offre la possibilité de construire une réponse politique alternative. Ce n’est pas le moindre mérite de cette Génération de militants et militantes.
Publié le 5 décembre 2025 par Contretemps web
- 1
Mireille Razafindrakoto, François Roubaud, Jean-Michel Wachsberger, L’énigme et le paradoxe : Économie politique de Madagascar. IRD éditions, 2017.
- 2
Wachsberger, Jean-Michel, « Le peuple des élites. Représentations élitaires et ordre moral à Madagascar ». Participations, vol. 37, n° 37, 2023. p. 221-247.