Loi lgbtiphobe en Géorgie : joue-la comme poutine ?

par Goto Van Kern
Paris, 2021-06-26. Marche des fiertés. Photographie de Martin Noda / Hans Lucas

Le 17 septembre, le parlement géorgien a voté une loi LGBTphobe, “sur les valeurs familiales”, très inspirée de la nouvelle version de la loi russe contre “la propagande homosexuelle”, révisée en 2022.

Cette loi a été votée à 84 voix pour et 0 contre après que l’opposition ait appelé au boycott du vote. Ce texte interdit “la propagande des relations homosexuelles et de l’inceste” à la télévision et dans les écoles ainsi que les rassemblements et manifestations qui feraient “la promotion des relations homosexuelles”.

Bizarrement, la presse francophone est muette sur le fait que la loi bannit également les transitions de genre, l’adoption pour les couples de même genre et les personnes transgenres et met fin à la reconnaissance vis-à-vis des mariages des couples de même genre formés à l’étranger1 .

Ceci est dans la droite continuité de la complicité passive des autorités avec les LGBTIphobes, la police ayant assisté sans intervenir face aux attaques violentes contre la Pride de Tbilissi de 2023 par des milices homophobes orthodoxes.

En 2021, une autre attaque avait eu lieu contre des locaux d’organisations LGBTI lors de la Pride. L’Église orthodoxe géorgienne (qui est la religion d’État dans le pays) avait appelé ce jour-là à organiser des prières publiques contre “ce grave péché.” Une cinquantaine de journalistes avaient alors été brutalisés et un cameraman était décédé quelques jours plus tard.

La classe dominante géorgienne est traversée d’aspirations contradictoires qui s’expriment au niveau politique : d’un côté, la présidente Salomé Zourabichvili (qui a alors tenté d’utiliser son droit de veto sans succès face à cette loi) représente une frange cherchant à se rapprocher de l’Union Européenne à l’instar d’autres pays comme l’Ukraine ou la Moldavie, une ambition qui est même inscrite dans la Constitution géorgienne. De l’autre, le parti majoritaire au parlement, “Rêve géorgien” qui, depuis 2021 (peu de temps après sa victoire aux élections législatives), semble avoir retourné sa veste, en passant d’une doctrine sociale-libérale, pro-UE et OTAN, pour se tourner vers le bloc russe. La Russie a par ailleurs plusieurs bases militaires sur le territoire géorgien pour soutenir les séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud.

“Rêve géorgien” a été fondé par l’oligarque Bidzina Ivanichvili , 624e fortune mondiale selon le classement de Forbes, ayant fait fortune dans la métallurgie et la finance suite à l’effondrement de l’URSS. Son parcours politique est plus que mouvementé mais il est probablement l’un des hommes les plus puissants et influents du pays. Il est récemment revenu sur le devant de la scène en tant que président de son parti après avoir intrigué dans les coulisses pendant de longues années.2

Ce revirement politique à 180° du parti peut faire penser à une influence peu subtile du Kremlin à travers la figure d’Ivanichvili. La stratégie homophobe de “Rêve géorgien” semble en effet avoir un double intérêt : à la fois pour cultiver un électorat réactionnaire orthodoxe très opposé aux droits LGBTI (91% de la population considère l’homosexualité comme un comportement “injustifiable”) mais aussi comme une stratégie de pourrissement pour éloigner la Géorgie de l’Union Européenne.

Le parti s’est également illustré pour avoir récemment fait passer une loi encore une fois très similaire à l’arsenal législatif russe sur “l’influence étrangère”, soulevant un tollé et des mobilisations fortes à travers le pays. La loi impose aux ONG ou médias recevant plus de 20% de leur financement de l’étranger de s’enregistrer en tant qu' »organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère » et de se soumettre à un strict contrôle administratif.

“Rêve géorgien”, en faisant franchir au pays un certain nombre de lignes rouges, est bien parti pour empêcher le pays d’intégrer le bloc de l’UE/OTAN, ou à tout le moins, de ralentir son adhésion à un moment critique pour un régime poutinien qui se vit comme une forteresse assiégée. 

L’avancée des droits LGBTI en Géorgie avait été timide mais néanmoins initiée en 2014, notamment à travers la promulgation d’une série de lois anti-discrimination, sans doute dans l’objectif d’intégrer l’Union européenne.

Le retour de bâton s’est fait en 2019, avec la création de milices homophobes sponsorisées par un homme d’affaires du nom de Levan Vassadze, le bien nommé « Conseil des vrais hommes » qui avait pour ambition de perturber la semaine des fiertés dans la capitale ou, dans leur vocable fleuri, « éradiquer le péché et l’hérésie ». Leur mode opératoire consistait à se constituer en groupes de 10 ou de 100 personnes, avec un chef à la tête de chaque entité, et de se doter de signes distinctifs : un brassard blanc et une matraque. Il s’agit donc bien de milices fascistes qui, malgré que le ministère de l’Intérieur ait lancé une procédure pénale pour « création de groupes illégaux et participation à ces groupes ». Levan Vassadze ne semble pas avoir eu de problèmes avec la justice puisqu’il a annoncé se lancer en politique 2 ans plus tard avec son parti fasciste Eri. Son projet électoral a heureusement fait long feu, après avoir recueilli 651 votes à une élection locale. Cependant, les perturbations aux Prides de 2021 et 2023 portent indéniablement le sceau de Vassadze.

Le lendemain de l’adoption de cette loi sur “les valeurs familiales”, un transféminicide a eu lieu sur la personne de Kesaria Abramidzé, actrice et influenceuse transgenre. Le suspect principal, l’ex-petit ami également accusé de harcèlement par la victime peu de temps avant les faits, a été appréhendé par les autorités. Cet assassinat est la suite logique d’une loi qui déshumanise les personnes LGBTI en les mettant sur le même pied que les personnes coupables d’inceste.

Dans son état des lieux sur le pays, Amnesty International souligne l’inaction complice qu’a déjà eu la justice géorgienne avec les violences sexistes. Dans l’affaire Gaidukevich c. Géorgie, la Cour européenne des droits de l’homme a statué que le gouvernement avait violé le droit à la vie et l’interdiction de la discrimination en négligeant de protéger une victime de violence domestique et en ne menant pas d’enquête sur son suicide présumé.

Cis ou trans, les féminicides menacent toutes les femmes et il est certain que les féministes géorgiennes devront faire preuve de vigilance et serrer les rangs face au traitement juridique de cette affaire.3

La réaction de l’Union européenne à l’adoption de la loi sur “les valeurs familiales” a été rapide mais pas très intelligente. Outre les grands discours toujours un peu creux des diplomates condamnant avec plus ou moins de fermeté l’adoption de la loi LGBTIphobe, des mises en garde contre le pays ont été proférées, l’UE menaçant la Géorgie de suspendre les accords de libre circulation qui avaient été conclus. Ces sanctions diplomatiques vont justement mettre en danger les personnes LGBTI qui vont devoir fuir le pays, les discriminations risquant bien de ne pas s’arrêter là et le droit à l’asile en UE étant de plus en plus mis à mal.

Malgré le tournant pro-russe après les élections de 2020 qui aurait pu être vécu comme une trahison, les sondages indiquent qu’une large majorité de Géorgien.ne.s soutient le parti pour les prochaines élections fin octobre. Il semble donc que l’homophobie et l’autoritarisme soient en Géorgie une stratégie électorale gagnante pour “Rêve géorgien.” Et la situation va s’aggraver, le parti ayant annoncé vouloir “punir” ses adversaires en bannissant les partis d’opposition4 .

Pour accueillir les réfugié.e.s de Géorgie, ouvrons les frontières plutôt que de les verrouiller davantage !

Publié par la Gauche anticapitaliste

 

Le dernier numéro

Auteur·es