Des recettes réactionnaires à la crise écologique

par Joana Bregolat i Campos
Il faut retirer les griffes du système capitaliste de nos corps-territoires. Manifestation du 14 juin 2024, Genève.

Face aux contradictions mises en évidence par la crise écosystémique, le capital intensifie conflits, répression et exploitation. L’extrême-droite formule des propositions qui approfondissent cette dynamique.

Quel est l’intérêt de dire la vérité sur le fascisme – qui est condamné – si rien n’est dit contre le capitalisme qui l’engendre?

Bertolt Brecht

Le changement climatique est déjà une réalité qui impacte nos vies au quotidien. Il avance de pair avec les phénomènes météo­rologiques extrêmes qui nous accablent et se normalise par la répétition successive, inégale et combinée de ses effets. 

Il n’est plus exceptionnel d’entendre parler de graves périodes de sécheresse dans la région méditerranéenne, de la raréfaction des ressources fossiles et des matières premières stratégiques dans le nord de la planète, de la perte de sols fertiles pour la production agroalimentaire ou de l’augmentation des incendies de sixième génération dans le monde entier. L’apparition quotidienne de ces éléments ne se fait pas dans l’abstrait ou de manière isolée, mais se combine et se nourrit d’autres phénomènes tels que les pénuries, l’inflation ou la spirale guerrière. Elle s’inscrit dans un contexte de crise et d’instabilité qui a son fondements dans le mode de production capitaliste.

Ce scénario nous expose à un long cycle de turbulences, de catastrophes et de changements auxquels le capital est loin d’être préparé par sa politique économique à court terme, mais qui, à son tour, ouvre sur un moment de transition par rapport à l’ordre actuel des choses. Ceci a des implications politiques claires que nous, écosocialistes, devons être en mesure d’aborder.

Nos «Années folles»

Les contradictions mises en évidence par la crise écosystémique constituent un défi pour le processus d’expansion constante de l’accumulation du capital. Confronté à un impératif de croissance et à un besoin infini de profit, celui-ci se heurte aux limites biophysiques de la planète. Dans cette contradiction, le fragile équilibre qui sous-tend les fondements du régime d’accumulation du capital est mis à nu et il devient plus clair que sa limite réside dans les sources de sa richesse. Comment en effet aspirer à une croissance infinie sur un temps, des ressources, des vies et des territoires finis? Face à ce constat, le capital propose une restructuration de ses circuits d’extraction de la valeur.

Des exemples de ce processus de restructuration peuvent être trouvés dans l’intensification du taux d’exploitation du travail, de la nature et des forces de reproduction ; dans le renforcement des pratiques rentières, de la spoliation et de la dépossession dans les espaces clés de la reproduction sociale comme le logement, l’alimentation, les produits de base, etc. ; ou encore dans l’intensification des conflits géopolitiques et impérialistes – qui ne se produisent pas seulement avec l’arrivée des sociétés transnationales, mais aussi dans les territoires où, après les occupations, les pratiques génocidaires et la répression, les ressources sont spoliées. 

Ces différents éléments qui agissent comme des mécanismes pour assurer la reproduction du capital modifient les bases sur lesquelles notre réalité sociale est construite. Cela transforme les relations de genre, les configurations raciales, les régimes sexuels et les structures qui les soutiennent et affaiblissant les pratiques démocratiques, les droits et les libertés. Ainsi, la restructuration du capital en ces temps de transition s’accompagne d’une reconfiguration des relations sociales dans le cadre d’une plus grande contestation et de contrôle à caractère réactionnaire, conservateur et libéralisateur. 

Les changements que nous observons dans cette période de transition ne sont pas synchronisés, ni immédiats et ne s’expriment pas de la même manière partout, mais ils montrent une tendance croissante dans les propositions de résolution de la crise écologique. Elles avancent des recettes qui impliquent un creusement des inégalités, une intensification de la violence marchande et une montée de l’autoritarisme dans l’approche de la question écologique.

La terre et la nation

Max Ajl dans A People’s Green New Deal (2021) a recensé les réponses réactionnaires face à la crise écologique. À travers une analyse critique des fondements idéologiques de diverses propositions, il souligne que, dans l’archipel de l’extrême-droite, des réponses sous forme de nationalisme vert et de racisme fossile existent. Ajl a ainsi mis en évidence un changement de comportement de l’extrême droite qui, loin de se concentrer uniquement sur la négation de la crise écologique et des impacts du changement climatique, ose formuler des propositions qui approfondissent les dynamiques impérialistes et incitent à l’ouverture de nouvelles frontières de l’accumulation.

Dans cette lignée, parmi les recettes réactionnaires, on trouve des projets et des propositions face à la crise écologique qui se focalisent sur la question de la sécurité nationale. Il s’agit de réponses qui considèrent la dégradation écologique comme une menace pour l’identité nationale, les convictions et les conditions de vie, et qui proposent donc une accélération des processus de sécurisation, de contrôle et de fermeture des frontières. Il s’agit de propositions qui reproduisent l’idée qu’il y a des corps qui comptent et d’autres qui ne comptent pas, des mort·es qui méritent d’être pleuré·es et d’autres non, des territoires qui peuvent être exploités, violés et détruits et d’autres qui doivent être sanctifiés.

Une politique écologique raciste, xénophobe et anti-immigration est déployée sous la maxime «si vous voulez protéger la nation, vous devez protéger la terre, l’environnement». Le RN en France, le FPÖ en Autriche ou Aliança Catalana en Catalogne reprennent cette position dans leurs programmes et campagnes électorales, prônant la défense de la nature à partir d’un patriotisme vert.

Ce pari réactionnaire va de pair avec la promotion de propositions qui proposent la résolution de la crise écologique par l’ouverture de nouvelles frontières d’accumulation. On retrouve ici toutes les propositions qui font de l’adaptation, de l’atténuation ou de la transition de nouveaux marchés verts transnationaux dans lesquels investir, ainsi que les différents mécanismes de marché, les bulles spéculatives et les processus de financiarisation de la nature, de la biodiversité et du climat sous la forme de marchés à terme et de marchés du carbone, d’obligations vertes, de politiques compensatoires pour les services écosystémiques ou d’échanges dette-nature. 

Des propositions qui reproduisent le comportement à court terme du capital et favorisent l’intensification des conflits, l’intensification des taux d’exploitation et des pratiques de recherche de rente, sans remettre en cause le fait qu’elles sont aussi à l’origine de l’aggravation de la crise écologique. Des recettes néolibérales configurées par un écologisme réductionniste qui dit que ce qui est détruit peut toujours être substitué et contenu, et agit selon la maxime que tout est commercialisable.

Le cadre qui engendre ces prescriptions face à la crise écologique dépasse les limites de l’extrême-droite et imprègne les discours, les programmes et les propositions des forces de droite conservatrices, libérales et sociales-démocrates. Il pénètre dans les mouvements écologistes et paysans et pose un défi interne à nos collectifs: que les discours racistes, xénophobes et anti-immigration sont aussi produits dans les rangs écologistes et que les rêves hyper-individualistes et marchands du capitalisme vert sont aussi partagés dans les rangs écologistes.

Ainsi, la force des recettes réactionnaires ne dépend pas seulement de la montée de l’extrême-droite dans nos territoires – qui se développe et s’étend chaque jour – mais aussi de sa capacité à ébranler la machine infernale en période de transition et à faire croire que ce n’est qu’à l’intérieur des marges du capital que l’on pourra surmonter ce que la crise écologique nous réserve aujourd’hui. 

Dans le conflit, une note d’espoir

Si l’intensification et l’avancée de la crise écologique constituent un défi pour les propositions écosocialistes et de classe, la montée de l’extrême-droite mondiale et l’expansion de ses recettes réactionnaires impliquent un degré supplémentaire de complexité. La normalisation de plus en plus avérée de la barbarie dans les guerres, les génocides, les pillages et aux frontières augmente le niveau d’urgence et la nécessité de briser l’hégémonie d’un capitalisme sauvage qui vit en tournant le dos à sa propre survie. Il est donc essentiel de reconnaître que dans tout processus de reconfiguration des relations sociales médiées par le capital, ce ne sont pas seulement des réponses réactionnaires qui émergent: dans leurs ruptures, des propositions alternatives de formation de la vie émergent également.

Face à un capital qui, depuis des années, construit divers instruments politiques pour assurer à tout prix la continuité de ses objectifs, il existe une vaste généalogie de luttes pour la défense de la terre, de la santé et de la vie qui font école. Le fait est que la restructuration du capital n’a jamais été exempte de conflits et que nous avons appris d’eux. 

Nous savons qu’il n’y a pas de recette magique pour la crise écologique ou de moyens faciles pour retirer les griffes du système capitaliste de nos corps-territoires. Mais nous savons que, dans chaque confrontation, dans chaque expérience de lutte, nous nous reconnaissons les un·es les autres et nous semons la voie de l’auto-­organisation de classe comme un outil-clé de la contestation. Nous apprenons l’attention, l’affection et le soutien mutuel entre nous, et nous synthétisons de nouvelles propositions capables de briser les chaînes qui nous lient. Et nous tissons des ponts transfrontaliers en détectant un ennemi commun, ce qui nous renforce dans la certitude qu’il n’y a pas de frein d’urgence s’il n’est pas pour nous tou·tes.

C’est peut-être dans ce tou·tes que se trouve la question centrale d’une proposition qui se situe en dehors des recettes réactionnaires. La force et la radicalité d’une proposition écosocialiste et de classe sont condensées dans une politique irrévérencieuse, un engagement révolutionnaire construit sur la solidarité, l’internationalisme et l’anti-impérialisme, et qui fait de la diversité, de la pluralité et de la démocratie ouvrière un terrain fertile pour la dispute politique.

Article paru en castillan dans la revue Lab Sindikazua. Traduction: Juan Tortosa pour SolidaritéS.

 

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