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Élections législatives : une droite renforcée mais pas invincible

par Andreas Sartzekis

En mai 2023, les élections législatives ont certes donné la victoire à Nouvelle Démocratie (ND), le vieux parti de la droite grecque fondé par Konstantinos Karamanlis et dirigé ces dernières années par Kyriakos Mitsotakis, fils du politicien réactionnaire dont l’action avait enclenché le coup d’État des colonels appuyés par la CIA (1967-1974). Comme le règlement valant pour ces élections ne permettait pas à ND de former seule un gouvernement stable (majorité à 151 député∙es), de nouvelles élections ont eu lieu en juin, donnant cette fois une « prime » de 50 député∙es au parti vainqueur. Elles ont confirmé qu’après 4 ans de gouvernement ultralibéral, Mitsotakis repartait pour 4 ans de casse des acquis et des droits, ce qu’il tente d’appliquer sans attendre, avec cet été un projet de loi interdisant les piquets de grève, menaces de prison à la clé…

Cette victoire, qui était le résultat le plus probable, a néanmoins stupéfait, surtout par l’écart creusé avec le parti de gauche Syriza que certains sondages donnaient au printemps au coude à coude avec la droite, ce qui ne paraissait pas forcément impossible vu la fréquence et l’ampleur de luttes intervenues pendant 4 ans. Par exemple, les impressionnantes manifestations et rassemblements, avec 24 heures de grève générale, en réaction à la catastrophe ferroviaire de Tèmbi en mars, qui faisait clairement apparaître les dangers mortels de la politique libérale. Les résultats électoraux se sont traduits par des évolutions et des écarts inattendus : alors qu’en juillet 2019, Syriza arrivait en tête dans toute la région athénienne, toute la Crète et trois autres régions, ND est cette fois arrivée partout en tête, sauf dans la région de Rhodopis. Dans les banlieues populaires, où Syriza dominait largement, c’est ND qui arrive en tête, même si elle perd de nombreuses voix entre mai et juin. Beaucoup au sein du « peuple de gauche », y compris dans la gauche radicale et révolutionnaire, ont du coup théorisé sur l’enracinement et l’emprise quasi définitive de la droite ayant conquis les classes moyennes grâce à une stabilisation du capitalisme grec, et/ou surfant sur une société grecque qualifiée de réactionnaire et raciste. Si évidemment on peut comprendre de telles hypothèses après 10 ans de mémorandums ayant « cassé » et visant à casser le tissu social et à la suite de 4 ans de gouvernement ND sur une ligne ultralibérale et raciste, il semble plus fécond – après 2 mois d’été caractérisés par l’incapacité de ND à organiser la lutte contre les incendies et par des mobilisations pas du tout anecdotiques pour le droit démocratique aux plages – de revenir sur les élections de mai-juin en posant les trois questions suivantes :

• Le succès électoral de ND marque-t-il un changement durable du rapport de forces, avec possibilité sérieuse d’une très longue période de la droite au pouvoir ?

• L’écroulement électoral de Syriza annonce t’il la fin de ce parti (sur lequel bien des discussions ont traversé la gauche radicale et révolutionnaire en Europe et au-delà) ?

• Les mauvais résultats du reste de la gauche (à nuancer seulement pour le KKE, PC grec) permettront-ils une réflexion de fond et une relance qui pourrait rompre avec la tendance mortelle au sectarisme et offrir un débouché politique aux luttes en cours et qui s’annoncent ?

Dans ce premier article, nous recensons des éléments pour répondre à la première question. Pour répondre aux deux autres, dans un prochain numéro, nous reviendrons sur les très nombreuses luttes des années 2019-2023. Et puisqu’en octobre auront eu lieu les élections municipales et régionales, cela permettra d’y voir peut-être un peu plus clair dans une situation très compliquée pour toute la gauche et donc d’essayer d’apporter une réponse plus précise aux deux dernières questions, en lien avec les principaux enjeux sociaux qui se profilent dans différents secteurs.

 

 

janvier 2015

septembre 2015

juillet 2019

mai

2023

juin

2023 

 

participation

64 %

56,2 %

57,8 %

61,7 %

53,7 %

Syriza

nombre de voix (en milliers)

2 245

1 926

1 781

1 184

930

 

pourcentage

36,34 %

35,46 %

31,53 %

20,07 %

17,83%

ND

nombre de voix (en milliers)

1 718

1 526

2 251

2 407

2 115

 

pourcentage

27,8 %

28,1 %

39,8 %

40,8 %

40,5 %

 

 

 

ND vs Syriza : résultats aux législatives de 2015 à 2023

Pour commencer, abordons déjà le bilan des élections et par là même des 4 ans de gouvernement Mitsotakis, en observant à travers quelques données électorales les résultats de ND et de Syriza entre janvier 2015 et juin 2023.

On peut énoncer quelques remarques sur ce tableau, sachant par ailleurs qu’en 8 ans, le nombre d’électeurs et électrices a peu varié, entre 9,8 et 9,9 millions (ce pourrait être le cas dans les années à venir, après le vote cet été d’une loi accordant le droit de vote à des descendant∙es de Grec∙ques établis il y a bien longtemps à l’étranger !). Tout d’abord, contrairement à une analyse largement partagée à l’extrême gauche, rien n’était joué après le reniement par Tsipras du résultat du référendum de juillet 2015 sur l’acceptation ou pas des diktats de la troïka : malgré une campagne démentielle de toute la droite et la social-démocratie européennes, le non l’avait emporté avec 61,31 % et une participation de 62,15 %. On se souvient de ce revirement historique : le soir même de ces résultats porteurs de rupture, Tsipras annonçait qu’il se plierait aux diktats, ce qui entraîna une crise profonde dans Syriza, avec départ du ministre Varoufakis et de l’aile gauche et formation du parti LAE (Unité Populaire) qui n’obtint que 2,86 % en septembre 2015, 0,28 % en juillet 2019 et aucun∙e député∙e. Malgré la colère et la déception des travailleur∙es et des jeunes en raison des engagements non tenus par Tsipras, le vote populaire pour Syriza s’est maintenu à un très haut niveau aux législatives convoquées par Tsipras en septembre 2015.

On verra dans l’article à venir comment caractériser les résultats et l’actuelle situation de la gauche, et de Syriza en particulier, mais déjà un constat saute aux yeux : entre janvier 2015 et juillet 2019, (où la droite, comme elle le déclarait, « ferme la parenthèse ») Syriza au gouvernement perd environ 500 000 voix ; entre juillet 2019 et juin 2023, Syriza dans l’opposition perd environ 800 000 voix. Le total d’environ 1,3 million de voix indique que Syriza a aujourd’hui perdu plus de la moitié de ses voix de janvier 2015. On peut donc déjà affirmer que face à une droite tristement connue et usant sans vergogne du discours raciste, considérant que jamais plus la gauche ne doit revenir au gouvernement, avec dans ses hauts cadres des militants fascistes fraîchement recyclés, l’opposition concrète et reconnue aux mesures revanchardes et anti-ouvrières d’une droite de combat n’a pas été perçue comme venant de Syriza.

Une seconde remarque quant aux résultats récents de la droite : ce qui s’est passé pour Syriza entre janvier et septembre 2015 (baisse de la participation, diminution d’environ 300 000 voix avec maintien du pourcentage) s’est produit pour ND entre mai et juin 2023. La différence, c’est que pour Syriza, cela s’est produit en 9 mois, avec dans la période différents gros reculs dont le refus de prendre en compte le référendum de juillet. Pour ND, cela intervient en moins d’un mois, sans que ND ait eu le temps de prendre de nouvelles mesures anti-démocratiques ! Voilà déjà un signe qui montre que contrairement à ce que redoutent de nombreux militant∙es de gauche et ce que tente de faire croire l’appareil médiatique au service de Mitsotakis, cette victoire n’est pas aussi triomphale que le trompettent la majorité des médias, et elle n’aura pas forcément les effets décourageants durables. Et la véritable incompétence du nouveau gouvernement Mitsotakis cet été face aux tragiques incendies puis aux catastrophiques inondations de septembre, a déjà cassé l’image de toute-puissance que le clan au pouvoir a tenté d’imposer grâce entre autres à un réseau quasi mafieux de médias aux ordres, qui font de la Grèce le bon dernier des pays européens en matière de liberté de la presse. En ce début septembre, un des pires « journalistes » d’une des toutes-puissantes chaînes privées tente d’expliquer que, non, même s’il a critiqué à l’antenne l’absence de secours organisés face aux terrible inondations, il n’a pas réellement demandé la démission de Mitsotakis : un tel épisode, impensable quand on connaît la soumission de ces vedettes du petit écran, permet de comprendre que la nouvelle législature de ND ne commence pas comme un triomphe indiscutable.

 

2019-2023, des éléments de bilan de la droite : une politique économique à la chilienne

Aux élections internes de ND en 2015, le favori était un représentant « classique » de la droite, Vangelis Meïmarakis. Pourtant, c’est Kyriakos Mitsotakis, fils de l’ancien Premier ministre conservateur et membre d’une famille trustant les postes politiques, qui de manière un peu surprenante a été désigné, sur une ligne plus « radicale » : ultra-libéralisme, dans la foulée des mémorandums, et alliances internes avec les courants issus de l’extrême droite, dont des anciens députés du parti fascisant Laos dans les années 2010. Aussi, après sa victoire en 2019, c’est une politique à la chilienne tendance Orban que « Koulis » (surnom donné à cet ancien étudiant d’une fac privée américaine et dont la qualité du doctorat a été mise en doute) va immédiatement engager, avec un succès ravissant le patronat et les institutions bourgeoises internationales.

Cette politique est basée avant tout sur les privatisations et les cadeaux au privé : dans l’énergie (société publique DEÏ  tentatives de privatiser le service des eaux), les ports et aéroports (le grand port d’Igoumenitsa vient d’être vendu à la société italienne Grimaldi), dans l’environnement (installation forcenée d’éoliennes moins par souci écolo que pour offrir des marchés au patronat. Volonté de confier au privé la gestion des forêts, après les incendies de l’été 2023). Le Covid, au lieu de permettre la réorganisation de la santé publique en lui fournissant des moyens, a été l’occasion d’attaques renforcées contre l’hôpital public sous la conduite ces derniers mois d’un ministre d’extrême droite (à Salonique, 40 % des salles d’opération sont fermées faute de personnel, les listes d’attente pour des opérations atteignent deux ans). Les attaques ont fusé contre le service public d’éducation : dès juillet 2019, la nouvelle ministre, réactionnaire ultralibérale, s’en prenait à l’université, avec la volonté et de réprimer et d’arriver sinon à privatiser la fac publique, au moins à donner les mêmes droits au privé. De manière générale, c’est le droit aux études et à la liberté pédagogique qui a été violemment attaqué pendant ces 4 ans, avec une claire intention de marchandisation scolaire et de contrôle idéologique, avec comme symbole la disparition des cours de sociologie au profit du latin…

L’Union européenne félicite bien sûr Mitsotakis pour la relance de la croissance, la note du pays est rehaussée par des agences de notation capitaliste, les investisseurs se frottent les mains… même si cela a été permis en partie par les subventions de l’UE (sans oublier des fonds laissés par le gouvernement Syriza). Mais derrière ce tableau se cachent des réalités inquiétantes, notamment parce que le quart du PIB repose sur les recettes du tourisme, aux emplois d’autant plus précaires que 60 % des recettes se font de juin à août et que cela concerne avant tout 5 des 13 régions du pays. De plus, les évolutions climatiques et l’incapacité du pouvoir face aux incendies, ainsi que le désagrément du surtourisme pourraient bien très vite réduire le flot touristique, alors que c’est l’une des principales cartes économiques voulues par Mitsotakis qui n’hésite pas à faire transformer les centres-villes en vitrines touristiques, avec de dures conséquences pour le logement. Certes, le chômage global est en recul : 10,8 %, mais il reste très élevé chez les jeunes (23,2 %) et surtout, les conditions et perspectives d’emploi sont très inquiétantes. Les emplois précaires se sont multipliés (tourisme, restauration, livraisons diverses…), et le nouveau ministre du travail, l’ancien député fasciste Georgiadis, fait tout pour casser le code du travail : lois antisyndicales et, cet été, projet de porter le temps de travail hebdomadaire à 6 jours, 13 heures par jour, avec possibilité d’avoir deux emplois. À noter que ce ministre a osé présenter ce projet esclavagiste comme répondant à une demande des travailleurs  Nul doute que la droite réélue va tenter de poursuivre cette offensive anti-ouvrière parfaitement assumée, à laquelle de nombreuses luttes ont répondu les quatre années précédentes, sur fond de licenciements et d’accidents du travail en raison des pressions patronales à la rentabilité maximale. Sur le front de l’inflation, malgré les mesures démagogiques et vaines du « panier de la ménagère », et en l’absence d’une hausse concrète des salaires, la cherté de la vie est au centre des préoccupations : on estime qu’un Grec sur deux n’est pas parti en vacances, et la plupart des vacanciers ont fortement réduit leurs dépenses (comme aussi la plupart des touristes). Et une question centrale est et restera celle de l’endettement, avec l’accaparement par les banques des logements des personnes endettées, ce qui donne lieu à de fortes mobilisations locales.

 

La Grèce de Mitsotakis : le meilleur des mondes… policiers

Ces quatre ans ont vu aussi se renforcer un véritable état policier, avec une répression anti-sociale systématique et souvent très violente, comme on l’a vu entre autres pendant la période des interdictions de sortie groupée et donc de manifestations lors du Covid. L’attention donnée aux policiers (connus pour leur vote majoritaire pour l’extrême droite) a choqué lors des incendies de l’été : pendant que les pompiers étaient transportés par bateau et y dormaient à même le sol, les policiers voyageaient en avion, ce qui indique aussi la priorité donnée par le gouvernement dans la lutte contre les feux  Aussi grave voire davantage, Mitsotakis à peine élu en 2019 a placé ses hommes de confiance à des postes clé de la sécurité et a développé un vaste système d’écoutes, le scandale éclatant à l’automne 2022 dans une sorte de Watergate à la grecque : Mitsotakis espionnait même ses ministres  C’est aussi l’application d’un véritable racisme d’État, avec entre autres des meurtres policiers de jeunes Rroms et les pratiques de refoulement des bateaux transportant des réfugié∙es, cause de nombreuses victimes, dont certainement les centaines de noyés près de Pylos en juin. Ce même racisme a encore été assumé par Mitsotakis fin août lorsqu’il a affirmé malgré les dénégations des experts que des réfugiés étaient à l’origine de feux de forêt… Cette politique raciste, mise en avant pour les élections de mai-juin 2023, renforce non seulement l’extrême droite dans ND, mais aussi les différents groupes fascisants.

On doit insister sur le rôle des médias dans l’appui à cette politique et à la victoire de ND. En effet, la plupart sont possédés par de grands groupes appartenant à des armateurs et les chaînes privées de télé ont non seulement des programmes à vocation crétinisante mais leurs « informations » étaient basées sur deux pivots : encenser l’action du gouvernement et de Mitsotakis en particulier (on n’a pas idée de la flagornerie des journaux de droite, comparant Mitsotakis à Moïse!), répandre des fake news, et répondre à la consigne du ministre de l’Intérieur, devenu le numéro 2 du nouveau gouvernement, l’ancien dirigeant fasciste Voridis : tout faire pour que plus jamais la gauche, et Syriza en particulier, ne revienne au gouvernement. Consigne très bien suivie puisque la presse aux ordres a pendant 4 ans martelé que tout ce qui n’allait pas, c’était la faute de Syriza, y compris la tragédie ferroviaire de Tèmbi, dont le responsable suprême était clairement le ministre des Transports Karamanlis (neveu du fondateur de ND) : effet bourrage de crâne réussi puisque ce sinistre personnage a été réélu en tête de ND dans sa circonscription. Et si le scandale des écoutes n’est pas devenu le Watergate obligeant Mitsotakis à la démission, c’est en grande partie du fait des silences et des contre-vérités martelés par les médias aux ordres.

 

La Grèce brûle, Mitsotakis aux abonnés absents

Mais à côté de ces deux « réussites » (privatisations et État policier), ND a prouvé – et cela la différencie d’autres droites libérales au pouvoir – son incompétence à assurer des missions fondamentales de l’État, en particulier face aux phénomènes climatiques. De l’aveu de Mitsotakis lui-même, qui déclarait fin août qu’on n’y peut rien, que c’est la faute au changement climatique. Résultat : des milliers de personnes bloquées jusqu’à 24 heures autour d’Athènes en janvier 2022 à cause de chutes de neige annoncées sans aucune prévention des difficultés. Les feux, de plus en plus fréquents en raison du changement climatique, n’ont entraîné aucune réorganisation (seulement, mis en scène par Mitsotakis, des engagements sans frais du type : « cet été, nous sommes parfaitement préparés »). Pourtant l’incendie dramatique de Mati en 2018, avec une centaine de morts, avait été et reste exploité sans vergogne par la droite contre Syriza. Résultats : en 2021, le nord de l’île d’Eubée a été ravagé par les flammes et cet été, c’est environ le centième de la Grèce qui a brûlé (à Rhodes : 1/15e de l’île), causant au moins 26 morts, des dégâts matériels considérables, des pertes très graves pour la faune et la flore. La région d’Evros est totalement sinistrée, avec la perte du joyau qu’était la forêt de Dadia. Ce qui a transformé ces feux en désastres : manque de moyens matériels et humains (pompiers), politique basée sur la seule évacuation des villages et villes menacés (et souvent dans le chaos comme sur l’île de Rhodes en juillet), et surtout une absence de prévention anti-feux due à la casse du service public d’entretien des forêts, dénoncée depuis longtemps par les spécialistes. Enfin, dans la seconde semaine de septembre, de terribles inondations se sont produites dans le nord du pays : à ce jour au moins 15 morts, des villages privés d’eau potable et d’électricité depuis plusieurs jours, ainsi qu’une catastrophe pour la région agricole grecque la plus productive. Leur gravité provient en bonne part de l’absence de travaux de drainages et d’entretien sérieux (responsabilité des conseils régionaux, dominés par la droite) et de l’incapacité d’organiser des secours à la hauteur de la catastrophe. Là encore, la responsabilité politique de la droite, dénoncée à juste titre comme criminelle, est flagrante : en janvier 2021, Mitsotakis déclarait, quelque temps après de terribles inondations dans la région de Karditsa, actuellement de nouveau cruellement touchée, que des travaux d’infrastructures allaient être effectués afin que plus jamais on ne connaisse pareille catastrophe. Rien n’a été fait depuis…

 

Des failles dans la victoire de ND

On peut donc estimer à la lumière de ces éléments que si les quatre ans de ce gouvernement ont satisfait certains secteurs, c’est avant tout ceux du patronat et d’une partie de l’électorat d’extrême droite. Quant aux « classes moyennes », si une bonne partie d’entre elles ont voté pour ND, ce n’est pas sur la base d’une confiance solide : des sondages au printemps 2023 indiquaient que 82 % des sondé∙es trouvaient inexistantes les mesures de soutien aux ménages contre la vie chère, que 66 % étaient mécontents des mesures face à l’augmentation du prix de l’électricité et que 67 % étaient mécontents des résultats du travail gouvernemental. Les sondages effectués lors du vote de juin confirment cette tendance d’une absence de conviction vis-à-vis de l’action de Mitsotakis : 20 % des électrices et électeurs ont fait leur choix le jour du vote, se décidant alors à 51 % pour la droite et 13 % pour Syriza. Dans les explications du vote pour ND, seulement 28 % le justifient par l’action gouvernementale, quand 25 % y voient le rôle des médias et 43 % les faiblesses de la gauche.

Bien sûr, il serait inconsidéré de parler d’une fragile victoire de la droite, d’autant que d’autres données inquiètent, comme celles concernant le vote des jeunes de 17-24 ans : alors que Syriza était donné gagnant dans cette tranche d’âge, ND y a obtenu 33,1 % en mai puis 28,8 % en juin, Syriza faisant de son côté 24,1 % en mai puis 19,2 % en juin. Et les voix perdues par ND en juin se retrouvent en grande partie dans le score obtenu par le parti néonazi Spartiates, obtenant en juin 7,8 % des voix des jeunes. Pourtant, il semble important, face à un réel fatalisme sur la force imbattable de la droite, de bien prendre en compte tous les éléments ci-dessus et de rappeler qu’en juin, ce n’est jamais qu’environ un∙e électeur sur cinq qui a voté pour ND. Alors que bien des militant∙es et sympathisant∙es de gauche se désespéraient cet été devant la force de ND à 41 %, et que Mitsotakis comptait bien sûr imposer ses mesures en abusant de ce score-étiquette, la situation a changé en cette mi-septembre et on entend désormais le rappel de ce 1/5 comme un signe de reprise de confiance, qui pourrait devenir dans quelque temps : Mitsotakis peut et doit être battu  On n’en est pas encore là…

 

Une extrême droite toujours aussi dangereuse

L’événement antifasciste le plus important des 4 ans écoulés est à l’évidence la condamnation le 8 octobre 2020 des chefs et des cadres de l’organisation criminelle nazie Chryssi Avgi (Aube Doréé), obtenue grâce à la pression du mouvement anti-fasciste, des avocat∙es des victimes, sans oublier le rôle ferme de la présidente, dans un tribunal encerclé par 30 000 manifestant∙es de toute la gauche antifasciste. Mais même ce jour-là, tout le monde en était conscient : l’envoi en prison des assassins nazis, même s’il neutralisait pour un temps les troupes de choc racistes, ne réglait en rien le problème sur le fond : d’abord parce que ND, comme on l’a vu ci-dessus, avait intégré au plus haut niveau des fascistes mal recyclés, dont, en tant que ministre de la privatisation de la santé, le fils de l’idéologue nazi en Grèce, lui-même avocat défenseur de son père et qui justifiait la libre circulation en Grèce du national-socialisme. Élément stratégique, cette intégration a renforcé comme on l’a vu la violence répressive et la concentration du pouvoir dans les mains de Mitsotakis, contrôlant et faisant tout surveiller après avoir pris en main la direction des services secrets. Et le nouveau gouvernement donne la part encore plus belle à ce courant puisque Voridis, connu autrefois comme « le fasciste à la hache », est désormais le ministre numéro 2 dans l’ordre hiérarchique.

Cette bienveillante complicité avec l’extrême droite, liée aux attaques contre les réfugié∙es et qui a fait du racisme une composante de la politique de ND, a donc aussi permis que se (re)structurent différents groupes fascistes, sur les bases traditionnelles de l’extrême droite : racisme, nationalisme, fondamentalisme religieux.

Si en juillet 2019, Chryssi Avgi (CA) – alors toujours légale malgré les meurtres commis dont celui de Pavlos Fyssas en 2013 – n’obtenait « que » 2,93 % et manquait les 3 % nécessaires pour avoir des députés, un nouveau parti Elleniki Lyssi (EL, Solution grecque) obtenait 3,7 % et 10 députés. À sa tête un charlatan nationaliste et fondamentaliste. Et si le groupe n’est pas organisé en sections d’assaut comme CA, le fonds de commerce raciste reste le même. En mai 2023, malgré une présence avant tout parlementaire, il obtenait 4,45 % puis 4,44 et 12 députés en juin. Mais, résultat de l’encouragement gouvernemental au racisme, un nouveau parti, nationaliste et ultra-orthodoxe, a aussi obtenu 2,92 % en mai. Ce groupe, implanté surtout dans le nord du pays et développé entre autres sur la revendication d’« une seule Macédoine, la Macédoine grecque », a récidivé en juin, obtenant alors 3,70 % et 10 députés. Le pire dans cette horreur est venu d’une initiative d’un chef de CA, l’assassin nazi Kassidiaris, qui a réussi depuis la prison à susciter la formation d’un groupe se situant dans la continuité de CA, les Spartiates, obtenant 4,68 % et 12 députés, avec souvent plus de 5 % dans les banlieues populaires. Si les premières prestations parlementaires de ces Spartiates relèvent du comique troupier (le chef a exclu puis repris les 11 autres députés ), s’ils ont courageusement annulé un rassemblement prévu devant la menace d’une manifestation antifasciste, il n’empêche que la situation est accablante et dangereuse.

L’extrême droite hors ND obtient en effet environ 13 % (mieux que le précédent succès de l’extrême droite en mai 2012 : environ 10 % pour CA et LAOS), et les scores combinés des votes ND et fachos donnent 53,5 %, à comparer aux 35 % de juin et septembre 2015, et aux 46,5 % de juillet 2019… Les effets de cette nauséabonde situation ne se sont pas fait attendre : d’un côté, on a vu cet été un des chefs de EL appeler à la constitution de milices armées contre les réfugiés accusés de mettre le feu, avec approbation du dirigeant  d’autre part un jeune Pakistanais qui partait dans la nuit pour travailler sur un marché a été assassiné cet été. La police a voulu faire croire à un règlement de comptes entre migrants, jusqu’à ce que des jeunes nationalistes soient arrêtés. La police a voulu alors faire croire que le motif était le vol, mais tout le monde a compris qu’un assassinat raciste avait eu lieu. On voit là à quel point le pouvoir et les institutions encouragent le racisme comme un axe fort de sa politique, et cela indique une des tâches clé de l’opposition ouvrière et démocratique pour la période qui s’est ouverte.

On verra dans le prochain article que la mobilisation antiraciste a été de 2019 à 2023 un des axes importants des mobilisations – nombreuses et diverses mais qui n’ont pas réussi à faire tirer par la gauche les leçons qui auraient permis en toute logique de chasser le gouvernement de « Koulis ». La double question pour la nouvelle période est assurément celle de la relance massive du mouvement social et celle de la construction de perspectives politiques radicales et crédibles à gauche.

 

Athènes, 12 septembre 2023

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