De Rafael Correa à Guillermo Lasso en passant par Lenin Moreno

par Éric Toussaint
Rafael Correa. <a href="https://flic.kr/p/bJy7VH">Flickr</a>

Le résultat électoral du 11 avril 2021 est un jour sombre pour le camp populaire. Pour comprendre comment une partie importante du camp populaire a refusé d'appeler à voter en faveur d'Arauz pour battre le candidat de droite Lasso, il convient d'analyser la politique suivie par Rafael Correa après sa réélection en 2010.

Le 11 avril 2021, lors du deuxième tour des élections présidentielles, Guillermo Lasso (52,4 %), le candidat de la droite, a devancé Andres Arauz (47,6 %), le candidat soutenu par Rafael Correa et une partie de la gauche. Lasso a été élu grâce à la division de la gauche car une partie importante de celle-ci, qui a perdu toute confiance dans Rafael Correa, a appelé à voter nul. Les voix du camp populaire, qui était clairement majoritaire au premier tour des élections de février 2021, se sont divisées et cela a permis à un ancien banquier d'être élu président.

La situation est grave car une occasion de rompre avec la politique néolibérale brutale de Lenin Moreno a été perdue. L'ex-banquier Lasso, quoique critique par pur électoralisme des positions de Lenin Moreno, va poursuivre le même type d'orientation néfaste : l'approfondissement de politiques néolibérales, la soumission aux intérêts privés du grand capital, en particulier du puissant secteur bancaire équatorien, du secteur importateur-exportateur et la soumission à la superpuissance nord-américaine.

Fiche Equateur

Comment est-il possible qu'une partie importante des voix du camp populaire ne se soit pas reportée sur Andres Arauz pour éviter l'élection de Guillermo Lasso ? Cela s'explique par le rejet qu'a suscité dans une partie de la gauche - notamment dans la CONAIE, la Confédération des nations indigènes de l'Équateur - la politique de Rafael Correa en particulier à partir de 2011.

La victoire de Lasso n'était pas du tout garantie car, au premier tour des élections, les deux forces politiques sorties victorieuses du scrutin étaient d'une part le mouvement politique soutenu par Rafael Correa avec 42 députéÃes et d'autre part Pachakutik, le bras politique de la CONAIE avec 27 éluÃes, qui a obtenu le meilleur résultat parlementaire de toute l'histoire du mouvement indigène. Au niveau des élections présidentielles, le résultat du premier tour des présidentielles était clairement favorable au camp populaire car l'addition du résultat d'Andres Arauz (un peu plus de 32 %) et celui de Yaku Perez (un peu moins de 19 %) donnait une majorité à laquelle on pouvait ajouter une partie du candidat arrivé en quatrième position qui se présentait comme social-démocrate et qui avait obtenu près de 14 %. Lasso, l'ex-banquier, venait certes en deuxième position avec 19 % mais avec un avantage très limité face à Yaku Perez, le candidat présenté par Pachakutik aux élections de février 2021, et 13 points de moins qu'Andres Arauz. Yaku Perez et la CONAIE ont d'abord dénoncé ce qu'ils ont appelé une fraude électorale massive. Puis Yaku Perez a passé un accord de soutien mutuel avec Guillermo Lasso quelques jours après le deuxième tour, accord qui a été rompu rapidement par Lasso. Ensuite la CONAIE a appelé avec différentes forces de gauche à voter nul au second tour en refusant de reporter leurs voix sur Andres Arauz pour battre Guillermo Lasso. Sur cette question, la CONAIE et Pachakutik se sont divisés car un secteur de droite dans Pachakutik a appelé a voté en faveur de Lasso tandis que le président de la CONAIE, Jaime Vargas, avait appelé à voter pour Andres Arauz avec le soutien d'une majorité d'organisations indigènes de la partie amazonienne de l'Équateur membres de la CONAIE. Malgré les voix discordantes qui annonçaient qu'elles voteraient pour Lasso contre celles qui appelaient à voter pour Arauz, la CONAIE réaffirma ensuite l'appel à voter nul qui finalement a atteint 16,3 % le jour des élections.

L'élection de Lasso comme président ouvre une nouvelle étape dans l'application d'une politique encore plus favorable au grand capital équatorien, aux multinationales étrangères, à une alliance entre les présidents de droite en Amérique latine et à la poursuite, voire au renforcement, de la domination des États-Unis sur le continent. Le résultat électoral du 11 avril 2021 est un jour sombre pour le camp populaire. Pour comprendre comment une partie importante du camp populaire a refusé d'appeler à voter en faveur d'Arauz pour battre Lasso, il convient d'analyser la politique suivie par Rafael Correa après sa réélection en 2010.

Rappel sur la politique suivie par Correa entre 2007 et 2010

Commençons par un rappel concernant la présidence de Rafael Correa de 2007 à 2010 (1). L'Équateur a offert l'exemple d'un gouvernement qui adopte la décision souveraine d'enquêter sur le processus d'endettement afin d'identifier les dettes illégitimes pour ensuite en suspendre le remboursement. La suspension du paiement d'une grande partie de la dette commerciale, suivie de son rachat à moindre coût, montre que le gouvernement ne s'est pas cantonné aux discours de dénonciation. Il a procédé en 2009 de fait à une restructuration unilatérale d'une partie de sa dette extérieure et a remporté une victoire contre ses créanciers privés, principalement des banques et des fonds d'investissement des États-Unis. En 2007, le gouvernement de l'Équateur au début de la présidence de Rafael Correa est entré en conflit avec la Banque mondiale, le représentant permanent de la Banque mondiale a été expulsé. Entre 2007 et 2010, pendant la présidence de Correa, il faut ajouter qu'une série de politiques positives importantes ont été initiées : une nouvelle Constitution a été adoptée d'une manière démocratique ce qui a annoncé d'importants changements qui par la suite n'ont pas débouché sur une authentique et profonde concrétisation ; l'Équateur a mis fin à la base militaire étatsunienne de Manta sur la côte Pacifique ; l'Équateur a tenté de mettre en place une banque du Sud avec l'Argentine, le Venezuela, le Brésil, la Bolivie, l'Uruguay et le Paraguay ; l'Équateur a quitté le tribunal de la Banque mondiale.

Le tournant de Rafael Correa à partir de 2011

Ensuite 2011 a marqué un tournant dans la politique du gouvernement équatorien sur plusieurs fronts, tant sur le front social qu'aux niveaux de l'écologie, du commerce et de la dette. Les conflits entre le gouvernement et une série de mouvements sociaux importants comme la CONAIE d'une part, les syndicats de l'enseignement et le mouvement étudiant, d'autre part, se sont envenimés. Rafael Correa et son gouvernement ont avancé dans des négociations commerciales avec l'UE au cours desquelles ils ont multiplié les concessions. Au niveau de la dette, à partir de 2014, l'Équateur a recommencé à augmenter progressivement le recours aux marchés financiers internationaux. Sans oublier les dettes contractées auprès de la Chine. Sur le plan écologique, le gouvernement de Correa a abandonné en 2013 le projet de ne pas exploiter le pétrole dans une partie très sensible de l'Amazonie. Correa a pris également des positions patriarcales et réactionnaires sur la question de la dépénalisation de l'avortement et sur les LGBTQI.

L'abandon de l'Initiative Yasuní-ITT en 2013

L'Initiative Yasuní-ITT avait été présentée en juin 2007 par Rafael Correa. Elle consistait à laisser sous terre 20 % des réserves de pétrole du pays (environ 850 millions de barils de pétrole), situées dans une région de méga-biodiversité, le parc national Yasuní, au nord-est de l'Amazonie (2). Comme l'explique Matthieu Le Quang : " Pour compenser les pertes financières de la non-exploitation, l'État équatorien demandait aux pays du Nord une contribution financière internationale équivalente à la moitié de ce qu'il aurait pu gagner avec l'exploitation (3,6 milliards de dollars calculés à partir des prix du pétrole de 2007). Cette politique était ambitieuse notamment dans ses objectifs de changer la matrice énergétique d'un pays qui, bien qu'exploitant et exportant son pétrole, n'en est pas moins un importateur de ses dérivés et en restait dépendant pour la génération d'électricité. » (3) Matthieu Le Quang poursuit : " Une décision forte du gouvernement équatorien était d'avoir inscrit l'Initiative Yasuní-ITT dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, c'est-à-dire d'avoir mis l'accent sur la non-émission de gaz à effet de serre qu'engendrerait la non-exploitation du pétrole. » En août 2013, Rafael Correa, qui avait été réélu pour la troisième fois à la présidence en février avec plus de 57 % des voix dès le premier tour, a annoncé la fin de ce projet. Il a justifié sa décision par la faiblesse bien réelle des engagements pris par différents pays pour financer la non-exploitation du pétrole de Yasuni-ITT.

Fondamentalement, pendant la présidence de Rafael Correa il n'y a pas eu de début d'abandon du modèle extractiviste-exportateur. Ce modèle consiste en un ensemble de politiques qui visent à extraire du sous-sol ou de la surface du sol un maximum de biens primaires (combustibles fossiles, minerais, bois…) ou à produire un maximum de produits agricoles destinés à la consommation sur les marchés étrangers afin de les exporter vers le marché mondial - dans le cas de l'Équateur il s'agit de la banane, le sucre, la palme africaine, les fleurs, le brocoli (4). Il faut ajouter l'exportation de crevettes d'élevage et du thon (pêché de manière industrielle). Ce modèle a de nombreux effets néfastes : destruction environnementale (mines à ciel ouvert, déforestation, contamination des cours d'eau, salinisation-appauvrissement-empoisonnement-érosion des sols, réduction de la biodiversité, émission de gaz à effet de serre…), destruction des milieux naturels de vie de populations entières (peuples originaires et autres) ; épuisement des ressources naturelles non renouvelables ; dépendance à l'égard des marchés mondiaux (bourses de matières premières ou de produits agricoles) où se déterminent les prix des produits exportés ; maintien de salaires très bas pour rester compétitif ; dépendance à l'égard des technologies détenues par les pays les plus industrialisés ; dépendance à l'égard d'intrants (pesticides, herbicides, semences transgéniques ou non, engrais chimiques…) produits par quelques grandes sociétés transnationales (la plupart provenant des pays les plus industrialisés) ; dépendance à l'égard de la conjoncture économique et financière internationale.

François Houtart (1925-2017) qui a suivi de près le processus en cours en Équateur et qui soutenait la politique de Rafael Correa n'avait pas manqué d'exprimer des critiques et les avait communiquées au gouvernement. Un peu avant son décès, il écrivait à propos de la politique agricole : " Ces politiques sont également à court terme. Elles ne tiennent pas compte des changements naturels et de leurs effets à long terme, de la souveraineté alimentaire, des droits des travailleurs, de l'origine de la pauvreté rurale. Elles accentuent un modèle d'agro-exportation présenté comme un objectif, sans en indiquer les conséquences. » Il précisait : " En tant qu'auteurs, nous nous sommes demandé dans notre rapport s'il était possible de construire le socialisme du XXIe siècle avec le capitalisme du XIXe siècle. (…) Une fois de plus dans l'histoire, c'est le monde rural et ses travailleurs qui paient le prix de la modernisation. Ce fut le cas du capitalisme européen au XIXe siècle, de l'Union soviétique dans les années 1920, de la Chine après la révolution communiste » (5).

Rafael Correa et les mouvements sociaux : une relation conflictuelle

Le gouvernement de Rafael Correa a montré une grande difficulté à prendre en compte les apports d'un certain nombre d'organisations sociales de premier plan. L'orientation de Rafael Correa et de la direction d'Alianza País, son mouvement politique, a consisté à contourner le plus souvent possible la plus grande organisation indigène, la CONAIE, le plus grand syndicat enseignant (l'Union nationale des éducateurs, UNE), le syndicat de l'entreprise Petroecuador (l'entreprise pétrolière nationale) et un nombre considérable d'organisations sociales. L'ensemble de ces organisations ont été régulièrement attaquées par le pouvoir exécutif qui les accuse de se mobiliser sur des bases corporatistes, dans le but de défendre des privilèges. De plus, Rafael Correa n'a pas pris en compte la revendication historique, portée principalement par la CONAIE, d'intégration de la composante indigène dans le processus de prise de décision sur toutes les grandes questions touchant les orientations du gouvernement. De son côté, la CONAIE, qui lutte pour que les principes généraux de la Constitution soient retranscrits sous forme de lois (6), n'hésite pas à se confronter à Rafael Correa. À plusieurs reprises, le gouvernement a essayé de faire approuver des mesures sans organiser préalablement un dialogue avec les organisations des secteurs sociaux concernés. Cette orientation n'est pas sans rappeler la politique du gouvernement Lula au Brésil, lorsque celui-ci a entrepris une réforme du système de retraites d'orientation néolibérale en 2003 (au même moment où, en France, le gouvernement de droite conduit par Jean-Pierre Raffarin mettait en œuvre une réforme similaire). Lula a mené campagne pour sa réforme en attaquant les acquis des travailleurs de la fonction publique présentés comme des privilégiés.

Parmi les contentieux les plus graves opposant le pouvoir exécutif aux organisations sociales équatoriennes viennent en premier lieu le projet de loi sur l'eau, d'une part, et la politique d'ouverture de Rafael Correa aux investissements privés étrangers dans l'industrie minière et pétrolière, d'autre part (7). Lors d'une assemblée extraordinaire tenue les 8 et 9 septembre 2009 à Quito, la CONAIE n'a pas épargné la politique du gouvernement Correa qu'elle a stigmatisé comme néolibérale et capitaliste. La CONAIE " exige de l'État et du gouvernement qu'ils nationalisent les ressources naturelles et qu'ils mettent en œuvre l'audit sur les concessions pétrolières, minières, aquifères, hydrauliques, téléphoniques, radiophoniques, télévisuelles et des services environnementaux, la dette extérieure, le prélèvement des impôts et les ressources de la sécurité sociale », ainsi que " la suspension de toutes les concessions (extractives, pétrolières, forestières, aquifères, hydroélectriques et celles liées à la biodiversité) » (8). Après le 30 septembre 2009, la CONAIE est passée à l'action en organisant des rassemblements et des blocages de routes et de ponts contre un projet de loi sur l'eau. Des mobilisations contre le gouvernement face auxquelles le président Correa a réagi en s'opposant d'abord à toute négociation, puis en jetant la suspicion sur le mouvement indigène en affirmant que la droite, et en particulier l'ex-président Lucio Gutiérrez, s'activait en son sein. Finalement, la CONAIE a obtenu une négociation publique au plus haut niveau : ainsi, 130 délégués indigènes ont été reçus au siège du gouvernement par le président Correa et plusieurs ministres, et ont finalement obtenu que le gouvernement fasse machine arrière sur plusieurs points, notamment avec l'instauration d'un dialogue permanent entre la CONAIE et l'exécutif, et avec des amendements sur les projets de loi sur l'eau et sur les industries extractives.

Un autre conflit social a également éclaté avec la mobilisation des enseignants, sous l'égide de l'UNE, le principal syndicat de la profession (9), contre le gouvernement. Là aussi, le conflit a finalement débouché sur un dialogue. En novembre et décembre 2009 s'est développé un troisième front social avec le mouvement de protestation dans les universités contre un projet de réforme qui visait notamment à réduire l'autonomie universitaire, qui est considérée, en Amérique latine, comme une avancée sociale irréversible et un gage d'indépendance à l'égard des pouvoirs politiques.

Globalement, le gouvernement de Rafael Correa a rapidement montré de sérieuses limites dès lors qu'il s'agissait de définir une politique en prenant en compte le point de vue des mouvements sociaux sans épreuve de force.

En 2010 et en 2014, il y a eu d'importantes mobilisations sociales contre la politique du gouvernement Correa. Les revendications mises en avant par les organisations qui, autour de la CONAIE, ont appelé à la lutte en juin 2014 en disent long sur l'orientation du gouvernement : Résistance à l'extraction minière et pétrolière, à la criminalisation de la protestation sociale, au nouveau Code du travail ; une autre politique de l'énergie et de l'eau ; droit des communautés indigènes et, en particulier, le refus de fermetures des écoles communautaires (10) ; refus de la réforme de la Constitution permettant une réélection indéfinie ; refus de la signature d'un accord de libre-échange avec l'Union européenne.

En décembre 2014, Rafael Correa a voulu faire expulser la CONAIE de ses locaux ce qui a amené le CADTM comme de nombreuses organisations équatoriennes et étrangères à exiger du gouvernement qu'il renonce à cette décision. Le gouvernement a reculé. Fin 2017, le gouvernement de Rafael Correa a voulu retirer la personnalité juridique à une organisation écologiste de gauche appelée Acción Ecológica. Il a fallu là aussi une vague de protestation nationale et internationale pour que finalement les autorités renoncent à cette atteinte aux libertés.

Conclusion sur la présidence de Rafael Correa

Dès le début de son premier mandat, Rafael Correa a composé son gouvernement en prenant soin d'y faire coexister des ministres de gauche et des ministres liés plus ou moins directement à différents secteurs de la classe capitaliste traditionnelle équatorienne, ce qui l'a amené à des arbitrages perpétuels. Au fil du temps, Correa a fait de plus en plus de concessions au grand capital qu'il soit national ou international.

Malgré une rhétorique favorable au changement du modèle productif et au socialisme du XXIe siècle, Correa, en dix ans de présidence, n'a pas engagé une modification profonde de la structure de l'économie du pays, des relations de propriété et des relations entre les classes sociales. Alberto Acosta, ex-ministre de l'énergie en 2007, ex-président de l'Assemblée constituante en 2008 et opposant à Rafael Correa depuis 2010 écrit avec son collègue John Cajas Guijarro que : " l'absence de transformation structurelle fait que l'Équateur reste une économie capitaliste liée à l'exportation de matières premières et, par conséquent, liée à un comportement cyclique à long terme lié aux exigences de l'accumulation transnationale de capital. Ce comportement cyclique de longue date est dû aux contradictions inhérentes au capitalisme, mais il est également fortement influencé par la dépendance à l'égard de l'exportation massive de produits primaires presque non transformés (extractivisme). En d'autres termes, l'exploitation capitaliste - tant de la main-d'œuvre que de la nature - selon les exigences internationales, maintient l'Équateur "enchaîné" à une succession de hauts et de bas qui trouvent leur origine tant à l'intérieur qu'à l'extérieur » (11).

Lenin Moreno ou le retour de la politique néolibérale et de la soumission aux intérêts de Washington

En 2017, à la fin du mandat présidentiel de Rafael Correa et au moment où Lenin Moreno (qui était le candidat soutenu par Correa) lui a succédé comme président, la dette dépassait le niveau atteint 10 ans plus tôt. Rapidement Lenin Moreno a fait de nouveau appel au FMI. Cela a provoqué de très fortes protestations populaires en septembre-octobre 2019, qui ont obligé le gouvernement à capituler face aux organisations populaires et à abandonner le décret qui avait provoqué la révolte.

Rappelons par ailleurs que le gouvernement de Rafael Correa avait offert l'asile à Julian Assange dans l'ambassade de l'Équateur à Londres à partir de juin 2012. Correa a résisté à la pression de la Grande-Bretagne et de Washington qui exigeaient que Assange leur soit livré. Lenin Moreno s'est déshonoré en livrant Assange à la justice britannique en avril 2019 et en lui retirant la nationalité équatorienne que le gouvernement de Correa lui avait octroyée en 2017.

En 2019, Lenin Moreno a reconnu Juan Guaido comme président du Venezuela alors que celui-ci appelait à une intervention armée des États-Unis pour renverser le gouvernement du président élu Nicolás Maduro.

En 2020, Lenin Moreno a passé un nouvel accord humiliant pour l'Équateur avec le FMI et en 2021 il essaye de faire adopter une loi afin de rendre la Banque centrale complètement indépendante du gouvernement et donc encore plus soumise aux intérêts des banques privées.

Sa popularité s'est réduite au néant : dans les derniers sondages, Lenin Moreno obtenait à peine un taux d'approbation de 4,8 %. Le résultat des candidats soutenus par Moreno aux élections parlementaires et au premier tour des présidentielles de février 2021 n'a pas dépassé 3 %.

Le programme de Guillermo Lasso, vainqueur de l'élection présidentielle en Équateur le 11 avril 2021 et la nouvelle étape

Si Rafael Correa est arrivé à la présidence de l'Équateur en 2007, c'est grâce aux mobilisations sociales qui ont jalonné les années 1990 jusqu'à 2005. Sans celles-ci ses propositions n'auraient pas trouvé l'écho qu'elles ont reçu et il n'aurait pas été élu. Malheureusement, après un très bon départ, il est entré en conflit avec une partie importante des mouvements sociaux et a opté pour une modernisation du capitalisme extractiviste-exportateur. Ensuite, son successeur Lenin Moreno a rompu avec Rafael Correa et est revenu à la politique brutale du néolibéralisme. Cette politique néolibérale pure et dure va être approfondie par Guillermo Lasso. Celui-ci a annoncé clairement qu'il voulait baisser les impôts sur les entreprises, qu'il voulait attirer les investissements étrangers, qu'il voulait donner encore plus de libertés aux banquiers, qu'il voulait consolider la politique d'ouverture commerciale en intégrant l'Alliance du Pacifique. Il est probable que Guillermo Lasso va tenter d'intégrer des leaders liés à Pachakutik et à la CONAIE d'une manière ou d'une autre à son gouvernement ou à son administration. Si cela réussissait, la CONAIE et Pachakutik en sortiront encore plus divisés qu'à la veille des élections du second tour. Il est fondamental pour l'avenir du camp populaire de s'opposer radicalement et activement au gouvernement que constituera Lasso.

L'avenir pendant la présidence de Guillermo Lasso

Une fois de plus, ce seront les mobilisations sociales qui pourront venir à bout de ces politiques et remettre à l'ordre du jour les mesures de changement structurel anticapitaliste indispensables à l'émancipation. La CONAIE et toute une série d'organisations syndicales, d'associations féministes et de collectifs écologistes avaient élaboré en octobre 2019 une excellente proposition alternative aux politiques capitalistes, patriarcales et néolibérales, elle devrait constituer la base d'un vaste programme de gouvernement (12).

La question du rejet des politiques du FMI, de la Banque mondiale et des dettes illégitimes reviendra au centre des batailles sociales et politiques. Dans un document rendu public en juillet 2020 par plus de 180 organisations populaires équatoriennes on trouve la revendication suivante : " suspension du paiement de la dette extérieure et réalisation d'un audit de la dette extérieure accumulée de 2014 à ce jour, ainsi qu'un contrôle citoyen sur l'utilisation des dettes contractées » (13).

Réflexions finales sur le vote du 11 avril

Avec 98,84 % de comptabilisation des votes :

• Arauz a obtenu 47,59 %, ce qui correspond à : 4 100 283 voix.

• Lasso : 52,4 % correspondant à 4 533 275 votes.

• Votes nuls : 16,33 % correspondant à 1 715 279 votes.

• Total des votants : 10 501 517 votants.

• Abstention : 2 193 896 personnes.

Le vote nul a atteint 9,5 % au premier tour et a progressé de 6,83 % entre le premier tour et le second tour ; en termes de voix cela donne :

• Vote nul février 2021 : 1 013 395 voix.

• Vote nul avril 2021 : 1 715 279 voix.

• Différence : +701 884 voix.

De manière générale, une grande partie de cette différence dans le vote nul peut être attribuée à la campagne de Pachakutik, de la CONAIE, des mouvements sociaux et des organisations de gauche qui ne soutenaient pas le candidat de Correa. Cela signifie que moins de la moitié de leurs électeurs ont opté pour le vote nul ; il faut rappeler que Yaku Pérez a obtenu 19,39 % au premier tour, soit 1 798 057 voix. En supposant que la majorité de ce vote corresponde au vote des Pachakutik, cela signifierait que 39 % de sa base électorale a opté pour le vote nul. Dans le cas où, comme c'est le plus probable, il y a d'autres secteurs qui ont voté nul, il ne serait pas hasardeux de dire que le vote nul qui correspond à Pachakutik devrait être d'environ 30 % de son électorat. Autrement dit, un électeur de Pachakutik sur trois a opté pour le vote nul, qui peut être considéré comme son vote dur.

Malheureusement, les 70 % restants sont allés majoritairement à Lasso, probablement en rejet du corréisme, en raison de la longue histoire d'agressions contre le mouvement populaire ; mais cela signifie tout de même qu'il s'agit d'un vote à droite, tournant le dos à ce qui s'était passé au premier tour. Cela montre également la fragilité du vote pour une nouvelle alternative qui échappe à la polarisation entre le corréisme et la droite traditionnelle.

Cela montre aussi que si la CONAIE, Pachakutik et les autres organisations de gauche qui ont appelé au vote nul avaient appelé à voter contre Lasso ou avaient appelé à voter pour Arauz, il était très possible de battre Lasso et de faire pression sur Arauz pour qu'il prenne en compte les demandes exprimées tant dans le texte de la CONAIE d'octobre 2019 que dans la proposition du Parlement des peuples de juillet 2020.

13 avril 2021

* Éric Toussaint, porte-parole du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes (CADTM international) et membre du conseil scientifique d'ATTAC France, est militant de la IVe Internationale. Il a été membre de la Commission d'audit intégral de la dette publique interne et externe (CAIC) formée en juillet 2007 par le président Rafeal Correa. Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée par la présidente du Parlement grec, qui a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
Il est l'auteur des livres, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2000 ; Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d'un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d'œil dans le rétroviseur. L'idéologie néolibérale des origines jusqu'à aujourd'hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011.
Cet article a été d'abord publié par le CADTM : https://www.cadtm.org/Equateur-De-Rafael-Correa-a-Guillermo-Lasso-en-passant-par-Lenin-Moreno

notes
1. É. Toussaint, " Équateur : Les résistances aux politiques voulues par la Banque mondiale, le FMI et les autres créanciers entre 2007 et 2011 » (https://www.cadtm.org/Equateur-Les-resistances-aux-politiques-voulues-p…) ainsi que la liste des articles qui accompagne cette publication.

2. Pour une présentation du projet en 2009, voir Alberto Acosta interviewé par Matthieu Le Quang " Le projet ITT : laisser le pétrole en terre ou le chemin vers un autre modèle de développement » publié le 18 septembre 2009, http://www.cadtm.org/spip.php?page=imprimer&id_article=4757

3. Matthieu Le Quang interviewé par Violaine Delteil, " Entre buen vivir et néo-extractivisme : les quadratures de la politique économique équatorienne » dans Revue de la Régulation, premier semestre 2019, https://journals.openedition.org/regulation/15076

4. En ce qui concerne la production de brocoli en Équateur, François Houtart écrit : " Il convient de mentionner l'étude réalisée en 2013 sur la production de brocoli dans la région de Pujilí, dans la province de Cotopaxi. 97 % de la production de brocoli est exportée vers des pays principalement capables de produire du brocoli (États-Unis, UE, Japon), sur la base d'avantages comparatifs (bas salaires, lois environnementales moins exigeantes). L'entreprise de production monopolise l'eau, qui ne suffit plus aux communautés voisines ; elle bombarde les nuages pour empêcher les averses de tomber sur les brocolis. Des produits chimiques sont utilisés à moins de 200 mètres des habitations contrairement à la loi. L'eau polluée s'écoule dans les rivières. La santé des travailleurs est affectée (peau, poumons, cancers). Les contrats sont conclus en partie sur une base hebdomadaire, avec un contremaître qui reçoit 10 % du salaire, ce qui lui permet d'échapper à la sécurité sociale. Les heures supplémentaires ne sont souvent pas rémunérées. L'entreprise qui transforme le brocoli pour l'exportation travaille 24 heures sur 24 en trois équipes. Il n'était pas rare que les travailleurs soient obligés de travailler en deux équipes à la fois. Le syndicat est interdit. En outre, les deux sociétés, qui ont maintenant fusionné, avaient leurs capitaux, l'une au Panama et l'autre aux Antilles néerlandaises. » https://www.cadtm.org/Ecuador-Un-factor-de-control-de-la

5. F. Houtard, " Ecuador - Un factor de control de la deuda : la agricultura campesine et indígena », https://www.cadtm.org/Ecuador-Un-factor-de-control-de-la

6. Voir Floresmillo Simbana " Movimiento indígena y la revoluci¾n ciudadana », https://www.cadtm.org/Movimiento-indigena-y-la

7. L'Équateur possède une économie basée principalement sur la rente du pétrole. Il faut bien avoir en tête que le pétrole représentait pour l'année 2008, 22,2 % du PIB, 63,1 % des exportations et 46,6 % du budget général de l'État.

8. Asamblea Extraordinaria de la CONAIE, Resoluciones de Nacionalidades y Pueblos, " Declarar al gobierno de Rafael Correa como gobierno neoliberal y capitalista por sus acciones y actitudes », disponible sur : https://kaosenlared.net/resoluciones-de-los-pueblos-y-nacionalidades-de…

9. Dans ce syndicat, le Mouvement populaire démocratique, bras électoral du PCM-L (maoïste) de l'Équateur, exerce une influence importante.

10. À propos de la volonté du gouvernement de Correa de fermer les écoles communautaires, François Houtart a écrit en 2017 : " le plan de fermeture de 18 000 écoles communautaires (appelées " écoles de la pauvreté ») au profit des écoles du millénaire (début 2017 : 71 construites, 52 en construction et fin 2017, 200 en fonctionnement) accentue les problèmes. Ces établissements du millénaire sont sans doute bien équipés, avec des enseignants compétents, mais dans une philosophie qui rompt avec la vie traditionnelle et s'ouvre à une modernité aujourd'hui remise en cause en raison de ses conséquences sociales et environnementales. Ils ne répondent pas non plus facilement au principe constitutionnel de l'éducation bilingue. En outre, dans plusieurs cas, le système de transport n'a pas pu correspondre aux besoins et oblige les étudiants à marcher pendant des heures sur des chemins en mauvais état, ce qui entraîne également un taux d'éisme élevé » https://www.cadtm.org/Ecuador-Un-factor-de-control-de-la

11. Alberto Acosta, John Cajas Guijarro, Una década desperdiciada Las sombras del correísmo, Centro Andino de Acci¾n Popular Quito, 2018

12. CONAIE, Entrega de propuesta alternativa al modelo econ¾mico y social, 31 octobre 2019, https://conaie.org/2019/10/31/propuesta-para-un-nuevo-modelo-economico-…

13. Voir https://rebelion.org/wp-content/uploads/2020/07/PROPUESTA-PARLAMENTO-DE…