Avortement sûr, légal et gratuit : nouveau triomphe contre la morale dogmatique

par Eduardo Lucita
"Mon corps n'a pas besoin de ton opinion. L'avortement légal c'est la vie" © Melina Nerina Medrano

La révolte des femmes continue sa marche sans pause, c'est le tour maintenant de l'interruption volontaire de la grossesse qui a été votée pat les députés et va maintenant au Sénat.

Pour la morale dogmatique l'irruption des jeunes générations marque un avant et un après.

La société argentine a fait un saut qualitatif ces jours-ci. En cette deuxième décennie du XXIe siècle, elle a reconnu de plein droit un besoin du XXe siècle. Ce progrès constitue une nouvelle borne dans notre histoire en tant que nation, une conquête démocratique qui fait partie des avancées, limitées mais qui finissent par progresser, obtenues à partir de 1983. Il est la suite des lois sur le divorce en 1987, le quota féminin en 1991, le mariage égalitaire en 2010, l'identité de genre en 2012 et plus en arrière la reconnaissance du mariage civil en 1888 ou le vote des femmes en 1947.

Ce n'est pas un événement isolé

Derrière la lutte des femmes pour décider de leur propre corps, il y a un mouvement qui s'est construit pendant plus de trois décennies dans les rencontres des femmes, d'une ampleur fédérale, avec des débats horizontaux et une autonomie politique. Cette construction du féminisme accueille une multiplicité de revendications (genre, diversité sexuelle, contre les grossesses non désirées et la violence contre les femmes...) qui l'ont transformé en un mouvement de mouvements.

C'est en 1998, avec la création de la Commission pour le droit à l'avortement, qui dix ans plus tard est devenue la Campagne pour le droit à l'avortement légal, sûr et gratuit, que la question a été fermement établie dans la société. Ce n'était pas facile et ces pionnières, qui ont lutté pendant de nombreuses années dans la solitude, certaines déjà décédés, méritent notre reconnaissance : Isabel Larguía, Nina Brugo, Marta Rosemberg, Dora Barrancos, Mabel Bellucci… et surtout Dora Coledesky, qui avait été mon amie et camarade dans les initiatives politiques. Ouvrière textile formée par le trotskisme, plus tard avocate et exilée à Paris, elle fut, à son retour, l'une des principales enseignantes et promotrices du féminisme et des droits des femmes, poursuivant ainsi la tradition des anarchistes du début du siècle dernier.

Une nouvelle génération

Le président Macri restera sûrement dans l'histoire comme celui qui a permis ce débat parlementaire, mais si son idée était de mettre ainsi un terme aux mobilisations, il ne réussira pas. Le débat s'est installé dans la société, dans les rues et les places, sur les lieux de travail et dans les moyens de transport et ce sont les nouvelles générations, très jeunes, qui ont fait l'histoire du pays avec joie et originalité. Nous avons assisté à cette " révolution des filles », souvent accompagnées de leurs grands-mères. Non seulement en étant sur la place et partageant plusieurs heures avec elles, mais aussi parce que quand il y a quelques jours Pagina 12 a publié une photo du dos de quatre filles portant sur leurs sacs à dos le foulard vert de la campagne, j'ai découvert, non sans surprise, que l'une d'entre elles était ma petite-fille, qui termine l'école primaire. Ce matin, un whatsapp a sonné à l'aube : " Grand-mère, nous avons gagné ».

En 1990, l'écrivain et journaliste Carlos A. Brocato a publié un essai qui a marqué toute une époque, Anticoncepción y aborto pen·ltima batalla contra la moral dogmática (Contraception et avortement, avant-dernière bataille contre la moralité dogmatique). Annonçant ainsi la venue d'autres combats, par exemple pour la nécessaire séparation de l'Église et de l'État. Ce matin avec le vote des députés une bataille a été remportée… la prochaine sera au Sénat. Si ce n'est pas maintenant, ce sera bientôt. Mais plus rien ne sera pareil.

Bref, il s'agit de batailles contre la morale dogmatique dans un pays profondément sexiste, patriarcal et homophobe, où l'obscurantisme clérical est de nouveau le grand perdant. Comme quand il s'était opposé au divorce légal, au mariage entre personnes de même sexe ou à l'usage du préservatif ou à la mort dans la dignité. Car ses adeptes ne défendent aucun principe religieux, seulement un ordre moral naturalisé, une morale unique et immuable dans le temps.

Les femmes et surtout les nouvelles générations sont celles qui changent cette histoire.

Eduardo Lucita, économiste membre du collectif EDI - Economistas de Izquierda, est militant de la IVe Internationale. ). (Traduit du castillant - Argentine - par JM)