Construire une alternative de gauche à la crise capitaliste

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Il y a un an, le 1<sup>er</sup> mai 2012, la FGTB de Charleroi & Sud Hainaut (1), par la bouche de son secrétaire régional Daniel Piron, lançait un appel à la formation d'une alternative politique à gauche du Parti socialiste et d'Écolo.

Au début 2013, un comité de soutien à cet appel s'est constitué à Charleroi, autour des membres du comité permanent de la FGTB locale, qui y participent activement. Ce comité regroupe les représentants du Parti du Travail de Belgique, du Parti humaniste, du Mouvement de Gauche, de la Ligue communiste des travailleurs, du Front de Gauche de Charleroi, du Parti Socialiste de Lutte, du Parti Communiste et de la Ligue Communiste Révolutionnaire.

Synthèse actualisée Inprecor

La FGTB Charleroi & Sud-Hainaut dénonçait l'austérité et constatait que le PS et Écolo n'étaient plus un relais politique aux revendications du monde du travail. Quelques semaines plus tard, le Secrétaire général de la CNE (2) s'exprimait dans le même sens. Plusieurs responsables syndicaux faisaient de même.

Les constats dressés par les organisations syndicales en 2012 sont plus que jamais d'actualité. Depuis 2012, la situation des travailleurs et des allocataires sociaux s'est encore détériorée. Alors que des milliers d'emplois risquent de passer ou passent à la trappe, à Arcelor-Mittal, à Caterpillar, à Ford Genk… le gouvernement continue la chasse aux chômeurs et le détricotage de la Sécurité Sociale. Les femmes sont les principales victimes. Les salaires sont bloqués, l'index manipulé, le temps de travail annualisé, les jeunes sont précarisés. À propos du budget 2012, le secrétaire régional de la FGTB Charleroi & Sud-Hainaut disait : " Ce budget est à nos yeux un budget antisocial et antisolidaire. C'est de l'austérité pour de l'austérité… des mesures qui touchent le monde du travail, actifs et inactifs, travailleurs du privé et des services publics, si souvent eux aussi la cible du politiquement correct, alors qu'on laisse capital et grosses fortunes tranquilles ».

Depuis 2008, partout en Europe et aux États-Unis, les banques ont été renflouées à coups de milliards, sur le dos de la collectivité, creusant ainsi les déficits publics. Nous sommes en 2013 et chaque " contrôle budgétaire » voit se répéter la chasse aux milliards. A Davos en janvier 2013, le premier ministre social-démocrate Elio Di Rupo, vantait les mérites des " intérêts notionnels » (3) devant le gratin capitaliste mondial et se fendait d'un tweet " de solidarité » avec les travailleurs d'Arcelor-Mittal… En 2012, Arcelor-Mittal a encore déduit 118 millions de ses impôts grâce à ces intérêts notionnels. Avec 1,3 milliard de bénéfices en 2009 et 2010, il a payé zéro euro d'impôt. À la question : qui renflouera le holding Dexia ? La réponse est évidente : les finances publiques. À la question : qui paiera la note de la récession économique et de la dette publique ? La réponse est aussi évidente : le monde du travail.

Le secrétaire régional de la FGTB Charleroi & Sud-Hainaut disait en 2012 : " Combien de temps allons-nous encore, camarades, nous laisser tondre la laine sur le dos ? Car, camarades, c'est bien de cela dont il s'agit. Il nous faut mettre ce système capitaliste aux oubliettes de l'histoire. Ce système ne peut être réformé. Il doit disparaître. Mais se contenter de l'affirmer du haut de cette tribune ne suffit pas. Faut-il encore nous en donner les moyens et le relais politique pour concrétiser notre objectif ».

Un relais politique d'un type nouveau qui rassemble, se nourrit des résistances sociales et qui les renforce : voilà en effet ce qu'il faut construire pour redonner espoir au monde du travail. Certains pensent qu'il serait possible de " peser » sur le PS et Écolo pour qu'ils (re)deviennent des partis de gauche. C'est une illusion. Nous préférons inviter les militants de gauche du PS et d'Écolo à nous rejoindre pour construire ensemble une alternative. On nous rétorque souvent " qu'en Belgique, le paysage politique oblige à composer ». Daniel Piron répondait le 1er mai 2012 " qu'à force de composer, on se décompose, on se dilue. Et pour l'instant, c'est la gauche qui se dilue dans la droite ». Le résultat, ce sont les catastrophes sociales que vivent aujourd'hui les populations grecque, portugaise, espagnole, chypriote et irlandaise. Notre ambition n'est pas de composer et de nous diluer au pouvoir. Elle est de nous opposer jusqu'au moment où nous pourrons imposer une alternative digne de ce nom.

Il est illusoire de penser qu'on peut réformer le capitalisme pour qu'il devienne un " bon » capitalisme de relance. Il faut donc être clair : il faut une stratégie pour sortir du capitalisme et le remplacer par un autre système qui satisfait les besoins de la population et préserve notre planète. ■

* La Ligue communiste révolutionnaire (LCR, avant nommée Parti ouvrier socialiste) est la section belge de la IVe Internationale. Nous reproduisons cet article du site web de sa publication mensuelle, La Gauche : http://www.lcr-lagauche.be/cm/index.php?option=com_content&view=article&id=2843:construisons-ensemble-une-alternative-de-gauche-a-la-crise-capitaliste&catid=133:syndicalisme-de-combat&Itemid=53

Daniel Piron, interview à La Libre Belgique du 30 avril 2012 (extraits)*

A quel moment en êtes-vous arrivé à la conclusion qu'il fallait une force politique à la gauche du PS ?

Au lendemain de la grève du 31 janvier, nous avons fait le bilan de ce que nous avions obtenu. Les militants ont jugé que les avancées étaient cosmétiques. Le problème, c'est qu'on a accumulé les déceptions. Nous avions déjà eu quelques soucis avec le PS en 1993 avec le Plan global, en 1995 avec les suppressions de postes dans l'enseignement, en 2004 avec l'adoption du dispositif de contrôle de la disponibilité des chômeurs, en 2005 à cause du Pacte des générations. On avait alors dit qu'on n'accepterait pas un Pacte des générations bis. Or, c'est précisément ce qu'on a. Maintenant, cela ne va plus. (…)

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Le PS, ce n'est quand même pas un parti de droite ?

Non. C'est un parti social-démocrate. Il tente de réformer le capitalisme. Pas de le remplacer par un autre système. Notre analyse est anticapitaliste.

Pour vous, la FGTB ne devrait plus être représentée au bureau du PS ?

Nous ne sommes pas encore là. La FGTB Charleroi a mis le débat sur la table. Il doit immanquablement avoir lieu. Mais il n'a pas encore eu lieu.

Avec un scrutin proportionnel, les partis politiques sont bien obligés de composer avec des formations politiques qui ne partagent pas les mêmes programmes…

A force de composer, on finit par se décomposer. Entre ce que le PS peut apporter à la FGTB, au titre de relais privilégié, et ce qu'on nous impose, il y a un terrible hiatus. Un déséquilibre. Il y a moins en positif et beaucoup plus en négatif. La politique du moindre mal, cela ne passe plus chez nous. Les militants ne peuvent plus entendre que "sans le PS, ce serait pire". Même des militants de la vieille garde montent à la tribune pour dire qu'ils se sentent trahis par le PS. Il y a une lame de fond, à la FGTB de Charleroi, pour dire qu'il faut une alternative politique. Et cela nous a interpellés. Nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas rester sans rien faire en attendant une nouvelle catastrophe. (…)

Mais vous voulez que la FGTB lance un nouveau parti ?

Non. Notre intention, après les élections communales, c'est d'interpeller l'ensemble de la gauche, la gauche sociale-démocrate comme la gauche radicale. On soumettra notre programme à tous ces partis en leur demandant s'ils y adhèrent. A ce moment, on se comptera. On verra qui du PS, d'Écolo, de la gauche radicale et de la gauche chrétienne va s'engager sur un programme politique qui correspond aux aspirations du monde du travail, de la FGTB en particulier. Après, on pourra envisager la constitution d'une force de gauche qui pourrait être le relais de notre position. En toute indépendance syndicale. Dans le passé, il nous est arrivé d'inviter nos membres à voter pour le PS ou Écolo. Cela ne nous a pas enlevé notre indépendance syndicale. Si, dans le futur, on appelle à voter pour cette force politique qui se situerait à gauche du PS et d'Écolo, cela ne nous priverait pas non plus de notre indépendance. L'indépendance syndicale ne veut pas dire que nous n'avons pas d'opinions politiques. Quand on voit ce qu'est devenu le PS, on est méfiant. (…)

Propos recueillis par Vincent Rocour

notes
1. La Fédération générale du travail de Belgique est le syndicat d'origine social-démocrate. Il compte actuellement 1,5 million d'adhérents. La centrale régionale de Charleroi & Sud Hainaut est la deuxième régionale de la FGTB wallonne en nombre d'affiliés.

2. La Centrale nationale des employés (CNE) est la plus importante centrale syndicale en Belgique francophone. Elle est affiliée à la Confédération des syndicats chrétiens (CSC), la plus importante confédération en Belgique (1,7 million d'adhérents). Lors de son dernier congrès le CNE a modifié ses statuts, supprimant, entre autres, les références aux encycliques papales.

3. Les intérêts notionnels sont une disposition fiscale appliquée en Belgique, qui permet de déduire un intérêt théorique devant rémunérer les actionnaires, déductible de la base imposable de l'entreprise. Ce système permet aux multinationales d'établir des constructions fiscales pour éviter de payer les impôts.