Bref aperçu sur l'évolution du système de santé suédois

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Hôpital à Stockholm. © Holger.Ellgaard
La majeure partie des soins de santé est régionalisée en Suède et relève de la responsabilité des conseils de comté. Les municipalités sont responsables de la prise en charge des personnes âgées et, dans une certaine mesure, des soins des personnes atteintes de troubles psychiques de longue durée. L'État réglemente, supervise et contribue au financement.

Le financement du secteur de Santé provient essentiellement des taxes régionales et communales, mais aussi des subventions étatiques et des frais payés par les patients. Le service de Santé n'est donc pas gratuit, au contraire il est assez cher. Par exemple la consultation d'un médecin spécialiste dans le secteur public de Santé dans le comté de Stockholm coûte 32 euros, ce qui est lourd pour beaucoup, même s'il y a un plafond annuel de 95 euros, au-delà duquel le coût des soins est pris en charge. Les médicaments, les lunettes et les soins dentaires sont également à la charge du patient (avec certaines réductions).

Une grande partie du système de Santé était publique, mais les privatisations ont commencé il y a une quinzaine d'années. Auparavant il y avait des médecins libéraux — généralistes et spécialistes — surtout dans les grandes villes et concentrés dans les quartiers les plus riches. Les assurances privées étaient assez rares.

Les prestations de maladie sont financées par une assurance nationale, financée en partie par les employeurs et en partie par le budget de l'État.

Politiques néolibérales

Les politiques néolibérales ont modifié le système de santé.

Au début des années 1980, la part des dépenses de santé dans le produit national brut (PNB) a été réduite. On parle de 100 000 emplois perdus dans le secteur de la Santé au cours de la décennie 1990, principalement dans les soins quotidiens des patients en milieu hospitalier et ambulatoire.

La part du financement privé a augmenté au cours des dernières années, du fait de la hausse des honoraires payés par les patients.

La privatisation a commencé, timidement, au début des années 1990 à l'initiative du gouvernement national et des autorités locales de droite. Il faut souligner que, en revenant au gouvernement (1), les sociaux-démocrates n'ont pas poursuivi ces privatisations, mais ils n'ont pas remis en cause ce qui avait été privatisé. Dans le comté de Stockholm, nous avons assisté au cours des deux dernières décennies à des changements de majorité au conseil du comté à chaque élection. À chaque fois que les sociaux-démocrates l'emportaient, ils mettaient en œuvre des réductions budgétaires (parfois très impopulaires), puis ils perdaient les élections au profit de la droite, qui privatisait (cette alternance a été interrompue lors des élections de 2010, lorsque l'alliance de droite sortante a remporté les élections nationales et locales en " promettant » de poursuivre les privatisations).

Depuis le début de la décennie 1990, le système de santé a été soumis à une " nouvelle gestion publique » fondée sur l'idée que les services publics doivent imiter le fonctionnement du secteur privé. Le système acheteur-fournisseur ainsi que les mécanismes de vente-achat ont été introduits. Actuellement, nous avons un système complexe de " points », de " bonus » et de " registres de qualité », conçu pour contrôler et accroître " l'efficacité » du personnel. Les effets réels de ce système ont été, évidemment, remis en cause par de nombreux scientifiques, par des syndicalistes, etc. Cependant tous les partis établis sont favorables à ce système.

Les élections de 2006 ont produit le gouvernement de droite le plus agressif dans l'histoire de la Suède (et il a été malheureusement réélu en 2010). Ce gouvernement a immédiatement commencé une campagne accélérée de privatisations. En 2007 une loi permettant la vente de tous les hôpitaux publics — par morceaux ou en entier — a été adoptée. Cette loi permet également aux patients qui disposent d'une assurance privée d'accéder aux hôpitaux publics par ce que les opposants appellent " la voie rapide », car bien sûr personne ne paierait une assurance privée si elle ne lui accordait pas des avantages. Pour l'instant, aucun hôpital public n'a été vendu entièrement, mais des parts des hôpitaux l'ont déjà été.

Il y a eu plusieurs types de privatisation :

► Un transfert direct à un groupe d'employés, qui constituaient une petite entreprise ; ce mode de privatisation a dû être arrêté, car il a été jugé illégal en vertu des réglementations de l'Union européenne qui interdisent d'avantager un groupe particulier au nom de la " libre concurrence ».

► Des services hospitaliers ont été soumis à un appel d'offres pour des contrats d'une durée de 3 à 5 ans. Cela a perturbé la continuité des soins, surtout des patients âgés, et a conduit à un rapide développement des oligopoles dans ce secteur.

► La méthode pour l'instant privilégiée consiste à " laisser l'argent suivre le patient », présentée souvent comme une méthode fondée sur le " libre choix ». Ce système a été introduit dans de nombreux comtés pour les soins généraux. Il permet à n'importe quel fournisseur certifié d'ouvrir un centre de santé et d'obtenir des fonds du comté en fonction en fonction du nombre de patients répertoriés ou en fonction du nombre de visites ou d'un mélange des deux modes de calcul.

Le pire de ces systèmes, dits de " libre choix », a été introduit à Stockholm : les centres de soins dans les zones pauvres, qui précédemment disposaient d'aides budgétaires supplémentaires pour compenser leur situation, ont subi la suppression de ces ressources et, en même temps, les médecins généralistes ont vu leur rémunération calculée essentiellement en fonction du nombre de visites. Cela a rendu la santé " plus accessible » : le nombre de visites courtes de patients sains a été multiplié alors que les ressources employées pour des patients âgés, atteints de nombreuses maladies, ont été réduites. L'inégalité sociale de l'accès aux soins a été accrue.

En 2010, le système du " libre choix » des soins généralistes a été imposé à tous les comtés par une nouvelle loi, qui ne leur laisse que le choix de la variante de ce système. C'est une loi " pilote » en Europe occidentale, car si dans de nombreux pays les médecins généralistes libéraux dominent, il n'est pas commun que les autorités accordent le financement public aux dispensaires de soins privés sans aucun contrôle sur l'endroit où ils choisissent de s'établir.

Depuis 2008, de nouvelles " réformes » des prestations maladie ont été introduites, réduisant le nombre de jours de congés maladie par période fixe et réduisant de manière dramatique la possibilité d'obtenir une pension d'invalidité. Cela a provoqué de nombreuses tragédies. Par exemple des personnes atteintes d'un cancer ont été obligées d'arrêter leur traitement, car les autorités de l'assurance nationale de santé ont exigé qu'elles reprennent le travail à temps partiel. Un effet particulièrement vicieux de cette " réforme », qui a provoqué l'inquiétude des syndicats, c'est que la garantie de l'emploi a été atteinte. Normalement — du moins en théorie — il n'est pas possible de licencier une personne sans raison valable, et en particulier il n'est pas possible de la licencier pour maladie. Mais, avec les nouvelles règles, l'employeur doit seulement attendre 180 jours et si l'employé malade n'a pas repris son poste, il doit maintenant chercher un emploi sur le marché national du travail.

Résistances

La résistance contre ces attaques a été trop faible. Le personnel des services de Santé est divisé par la syndicalisation dans de nombreux syndicats de métier. Les syndicats des médecins et ceux des infirmières ont traditionnellement été favorables à la privatisation. Le syndicat des aides-soignantes, des brancardiers, des travailleurs de la psychiatrie et des employés pour les soins des personnes âgées — le plus grand syndicat en Suède — a été au mieux ambivalent face à la privatisation.

Il y a eu des luttes locales contre les réductions budgétaires, en particulier contre la fermeture d'un hôpital, d'une maternité et d'un centre de santé, mais ces luttes n'ont pas été poursuivies. Contre la privatisation, il n'y a eu que des campagnes locales.

Le Réseau en faveur du bien-être commun (Network for Common Welfare) a été fondé en 2005 avec l'idée de rassembler les différentes campagnes — pas seulement celles concernant la Santé publique — afin de créer une mémoire et d'assurer la continuité des luttes, de renforcer l'activité de propagande et de construire un courant d'opinion. Ce Réseau rassemble les militants locaux engagés dans des campagnes de terrain, des écologistes, des altermondialistes (ATTAC) ainsi que certains syndicats. Il est surtout actif dans les grandes villes. Le syndicat des fonctionnaires y est actif depuis le début. Au cours des dernières années, les rapports du Réseau avec les salariés municipaux et le syndicat des infirmières se sont multipliés, de même que la coopération avec les organisations d'usagers et les scientifiques progressistes. L'union régionale de la Landsorganisationen i Sverige (LO, principale Confédération syndicale) de Stockholm a élaboré une plate-forme en défense du bien-être commun, plus radicale que les positions de la Confédération au niveau national.

Au cours de ces derniers mois, une mobilisation plus large contre les " réformes » des prestations maladie se développe, réunissant un large éventail de forces, y compris toutes les églises. Le gouvernement n'ayant promis que des modifications mineures de ses " réformes », la vague de protestations va certainement se poursuivre. ■

* Maria Sundvall, médecin, est militante de Socialistiska Partiet, section suédoise de la IVe Internationale.

Synthèse sur la Suède

notes
1. En octobre 1991, les socialistes sont défaits aux élections législatives. Un gouvernement conservateur prend des mesures libérales remettant en cause le " modèle suédois » : privatisations, diminution des dépenses publiques. En 1992 , le gouvernement et l'opposition s'accordent sur la mise en oeuvre d'un plan d'austérité draconien. En 1994, aux élections, les sociaux-démocrates retrouvent le pouvoir et mènent une politique de diminution des dépenses publiques. (Note Inprecor)