Troisième conférence anticapitaliste européenne, un encourageant pas en avant

par Yvan Lemaître
LLuis Rabell de Izquierda anticapitalista (gauche) et Boguslaw Zietek (PPP) au micro adressent un salut aux manifestants au point fixe du NPA. Photothèque Rouge/JMB

C'est dans un Paris aux couleurs d'une grande manifestation en défense des retraites que se sont réunis, les 16 et 17 octobre, des délégués de toute l'Europe, de l'Irlande à la Pologne, de la Grèce à la Norvège, pour la troisième Conférence anticapitaliste européenne.

Si les deux premières conférences avaient été initiées par le Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France), cette troisième conférence s'est réunie à l'initiative conjointe du NPA et du Parti socialiste des travailleurs (SWP, Grande-Bretagne). Elle a rassemblé 22 organisations de 16 pays (1) et a d'abord mis en évidence la nature structurelle et non passagère de la crise actuelle. Celle-ci, loin de susciter des remèdes keynésiens, donne lieu à des plans d'austérité qui tendent à institutionnaliser le néolibéralisme, à l'inscrire dans le code génétique des sociétés.

En Allemagne par exemple, les mesures d'austérité redéfinissent la notion même de " minimum vital » avec un plafond, pour le panier de la ménagère, à… 180 euros par mois. En France, Espagne, Grèce, Irlande, ce sont les systèmes de retraite et le code du travail qui sont dans le collimateur. En Italie, c'est le contrat de travail national — c'est-à-dire la fixation au plan national du prix minimum de la vente de la force de travail — qui est remis en cause. Ces politiques, qui s'inscrivent dans une crise sociétale et climatique, s'accompagnent de mesures autoritaires, du développement du racisme, d'un retour " aux valeurs » qui tend à légitimer le renvoi à la maison de centaines de milliers de femmes. De plus, comme en Allemagne, Suisse ou Pologne, une nouvelle offensive en faveur de la construction de centrales nucléaires ne fait que commencer.

Le fait que la conférence ait lieu au cœur du mouvement contre la réforme des retraites en France venait souligner la nécessité de coordonner les luttes au niveau européen et, plus modestement, pour les anticapitalistes, de coordonner leur propre intervention. C'est ce dont ont voulu témoigner les participants en interrompant leurs travaux, le samedi 16 octobre, pour participer à la manifestation parisienne. Un camarade polonais, un de l'État espagnol et un de Grèce ont pu ainsi s'adresser aux manifestants au point fixe du NPA.

Cette conférence précédait aussi les mobilisations en cours de préparation dans divers pays européens, qui lors des deux mois suivants mettront en valeur la résistance populaire : contre l'austérité en Grande-Bretagne, en Irlande et au Portugal, contre l'énergie nucléaire en Allemagne…

Trois points étaient à l'ordre du jour de cette conférence : la crise, ses conséquences politiques et les résistance des travailleurs ; les réponses à la crise avancées par les anticapitalistes ; nos interventions et perspectives communes et leur coordination.

► Le premier point, introduit par Alex Callinicos du SWP, a permis un riche échange. Sans revenir sur les différents mécanismes à l'œuvre dans le développement de la crise, un large accord se dégageait pour souligner son caractère profond et durable, non un simple épisode cyclique mais un tournant profond qui donnait leur importance aux politiques d'austérité engagées par tous les États européens. Il s'agit bien d'une remise en cause des acquis sociaux qui ne peut connaître d'autre limite que la résistance des travailleurs et des classes populaires. Elle entraîne une crise de l'idéologie libérale : loin d'apporter démocratie et progrès, l'économie de marché s'identifie avec la régression sociale qu'accompagne la montée des idées réactionnaires portées par une nouvelle extrême droite.

Les interventions ont illustré la grande diversité des résistances ouvrières. Et aussi les conséquences politiques paradoxales de la crise, comme dans l'État espagnol, où l'effondrement de la gauche au pouvoir laisse le champ libre à la droite malgré le succès de la grève générale. De toute façon, pour les anticapitalistes, se pose la question d'agir dans le sens de l'unité à travers une politique de front unique tout en défendant des perspectives anticapitalistes, en agissant pour que les travailleurs dirigent leurs luttes, à la base, sans s'en remettre aux bureaucraties, en faisant vivre la démocratie au sein des mouvements. Plusieurs camarades ont insisté sur l'importance du mouvement en France qui est regardé avec espoir au-delà des milieux militants.

► Le deuxième point, introduit par Yvan Lemaitre du NPA à partir du document Nos réponses à la crise, soumis à la discussion du congrès du NPA, a montré un large accord sur les exigences des travailleurs pour refuser de faire les frais de la crise, sur la nécessité d'appréhender collectivement la question au niveau européen pour mieux intégrer cette dimension dans notre politique. Même si l'arène nationale demeure le cadre des luttes de classes, il ne faudrait pas sous-estimer leur dimension européenne qui s'est manifestée lors de l'euro-manifestation du 29 septembre à Bruxelles. La discussion sur la question du mot d'ordre concernant la sortie de l'euro en a été l'illustration. Cette discussion est très présente dans le mouvement ouvrier grec qui se reconnaît dans ce mot d'ordre, avec le sentiment que la Grèce a été soumise au diktat de l'Union européenne (UE) et du Fonds monétaire international (FMI) accentué par le fait que le mouvement n'a pu s'opposer aux attaques du gouvernement Pasok. La sortie de l'euro apparaît comme une réponse " possible ». C'est une illusion, la seule sortie de crise, la seule réponse est celle de l'intervention des travailleurs postulant au pouvoir pour rompre avec les institutions bourgeoises, nationaliser les banques en créant une organisation unique de crédit et, alors, rompre avec l'Europe capitaliste mais en agissant dans le sens d'une autre Europe, celle des travailleurs et des peuples. La discussion n'est pas close, elle en est même à ses débuts…

► La nécessité d'approfondir cette discussion sur les perspectives anticapitalistes était une des principales conclusions de cette conférence, introduites et développées par Vanina Giudicelli du NPA. Il s'agit de saisir chaque occasion pour agir ensemble, manifester l'existence d'un courant anticapitaliste européen, éditer un matériel commun, favoriser les interventions dans les meetings, manifester la solidarité internationalistes avec les luttes… Une date commune de mobilisation a été retenue, celle qui doit, au printemps 2011 célébrer les 140 ans de la Commune de Paris.

Pour l'ensemble des participants, cette troisième conférence marque une étape, incontestablement un pas en avant par la qualité des relations et des discussions, malgré l'insuffisance de sa préparation en amont. La tenue de deux conférences par an a été décidée avec la préoccupation de nous donner les moyens de mieux les préparer. La question d'une coordination plus structurée a été discutée, elle n'a pas rencontré l'unanimité des participants et nous nous en sommes tenus à l'idée d'une coordination souple. Une déclaration finale a été discutée, amendée, formulant les points essentiels de la démarche qui nous rassemble. ■

* Yvan Lemaître, est membre du Comité exécutif du Nouveau parti anticapitaliste (France) et du Comité international la IVe Internationale.

notes
1. Les délégations des organisations suivantes ont participé à la conférence : Bloco de Esquerda (Portugal), Gauche anticapitaliste (Suisse), Izquierda anticapitalista (État espagnol), LCR-SAP (Belgique), POR Partido Obrero Revolucionario (État espagnol), SEK (Grèce), ISL (Allemagne), En Lucha (État espagnol), DSIP (Turquie), SWP (UK), Red Green Alliance (Danemark) Internationale Socialisten (NL), People before profit (Irlande), SWP (Irlande), OKDE Spartakos (Grèce), Polska Partia Pracy (Pologne), Sinistra critica (Italie), Mouvement pour le socialisme (Suisse), SolidaritéS (Suisse), Red Party (Norvège), Socialistiska Partiet (Suède), NPA (France). On pourra accéder aux sites web de ces organisations ici.