Sursaut citoyen ou nationalisme belgicain ?

par Ataulfo Riera

Ataulfo Riera est membre de la direction de la LCR-SAP (la Ligue Communiste Révolutionnaire, ex-POS, et le Socialistische Arbeiderspartij forment la section belge de la IV<sup>e</sup> Internationale).

Avec la crise politique découlant de la difficulté pour les partis de droite de composer un nouvel exécutif fédéral pour cause de " querelle communautaire », des milliers de personnes, essentiellement en Belgique francophone, arborent des drapeaux belges à leurs fenêtres. Ce dimanche 18 novembre, une manifestation très médiatisée " Pour l'unité du pays » s'est déroulée à Bruxelles. Une mobilisation " citoyenne et apolitique » représentant la " majorité silencieuse » des Belges ? Ou plutôt, en dépit de la diversité des causes poussant les uns et les autres à agir dans ces démarches, une tentative instrumentalisée par l'extrême-droite de reconstruire un nationalisme belgicain, monarchiste et rétrograde ?

La journée du 18 novembre était en réalité constituée par la conjonction étroite de deux initiatives : une " Marche nationale pour l'unité » au départ de la Gare du Nord et une " Fête de l'unité » au Parc du Cinquantenaire dans l'après-midi. L'origine de la manifestation provient d'une pétition lancée au mois d'août par Marie-Claire Houard, une fonctionnaire liégeoise dont l'initiative a été depuis lors surmédiatisée dans la presse écrite et audiovisuelle. Son appel et ses déclarations publiques visent à " sauvegarder la Belgique » qui serait menacée par une division entretenue par la seule volonté d'une caste politicienne minoritaire et ne représentant qu'elle-même — niant ainsi qu'une majorité de l'électorat flamand à bel et bien voté pour des partis qui ont fait d'une réforme profonde de l'État belge leur cheval de bataille électoral. Sa démarche constitue fondamentalement une reprise en compte du mythe du " peuple belge » par la négation du caractère binational du pays, de la lutte historique des peuples Wallons et Flamands.

La pétition qu'elle a lancée a récolté aujourd'hui plus de 140 000 signatures. Rarement une telle initiative aura bénéficié d'une aussi intense campagne de promotion : distribution dans les boîtes aux lettres et dans 4 000 librairies grâce au groupe Sud-Presse, affichage sur 2 900 panneaux publicitaires gracieusement concédés à prix réduit par l'entreprise JC Decaux, etc. Mais malgré ce battage de plusieurs mois et la dramatisation à outrance de la crise actuelle dans les médias francophones (le quotidien le plus lu, La Dernière Heure, titrait par exemple le 17 novembre sur toute sa " une » : " Que ceux qui veulent sauver la Belgique se mobilisent ! »), la manifestation du 18 novembre n'a compté que 35 000 personnes. A titre de comparaison, la Marche Blanche de 1996 lors de l'Affaire Dutroux en avait rassemblé cent fois plus. La dernière grande manifestation syndicale d'octobre 2005 avait vu plus de 100 000 participants. Et en 2006, après le meurtre d'un jeune adolescent et une couverture médiatique au moins égale que pour cette " Marche pour l'unité du pays », 80 000 personnes avaient battu le pavé de la capitale belge…

La composition linguistique de cette manifestation démolit en outre d'elle-même l'argumentation des organisateurs selon laquelle elle représenterait l'expression de la " majorité silencieuse » des Belges, tant Flamands que francophones. En effet, au mieux 20 % des manifestants — et sans doute moins — étaient des néerlandophones alors que ces derniers représentent 60 % de la population belge...

L'extrême droite tire les ficelles ?

S'il est déjà assez contestable que des individus s'autoproclament porte-parole d'une " majorité silencieuse » aussi clairement fantasmée, le label " citoyen et apolitique » est une tromperie pure et simple. D'abord, parce qu'une manifestation publique en faveur de l'unitarisme d'un pays composé de deux peuples est déjà un choix très politique et qu'il s'inscrit dans un soutien explicite à la monarchie — les paroles et la musique de la Brabançonne (hymne national belge) ont été omniprésentes à la manifestation, tout comme les cris de " Vive le Roi ! ».

Ensuite parce qu'une série d'organisateurs des activités du 18 novembre sont au contraire des membres ou des proches de formations politiques de droite et d'extrême droite, comme Vincent Godefroid, proche du CDF (1) et surtout Alain Mahiat, qui est apparu à plusieurs reprises dans les médias comme l'un des porte-parole clé de la journée. Alain Mahiat est un dirigeant du parti " Unie », une petite formation d'ultra-droite belgicaine et chrétienne-intégriste issue du BUB (Belgique-Unie-België), parti qui fut animée par Alain Escada, responsable de la Fraternité Saint-Pie X, un mouvement adepte de Charles Maurras, idéologue d'extrême droite, antisémite et monarchiste français.

Certes, les motivations des personnes qui arborent un drapeau belge à leur fenêtre ou qui ont participé à la manifestation du 18 sont bien entendu diverses et on ne peut absolument pas les mettre dans le même sac : pour certains il s'agit d'exprimer leur lassitude et leur rejet des " querelles politiciennes communautaires » qui paralysent le pays, pour d'autres la crainte qu'un éclatement de la Belgique n'entraîne une dégradation des conditions de vie, sentiment renforcé, on l'a dit, par le fait que les médias francophones dramatisent à outrance la crise actuelle en la présentant comme le prélude à la disparition rapide du pays. Mais pour bon nombre de ces personnes et des courants organisés qui surfent sur ces sentiments, il s'agit bel et bien d'une adhésion et d'une promotion d'une Belgique unitariste, rétrograde, monarchiste, voir ultra-chrétienne.

notes
1. Chrétiens démocrates fédéraux (CDF) a été créé en 2002 à l'issue d'une scission de droite du Centre démocrate humaniste (CDH), accusé d'abandonner ainsi sa référence chrétienne-démocrate.