« Lettre aux pétistes »

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La gauche du PT trace l'affrontement contre le néolibéralisme. La « Lettre au pétistes » est issue des discussions du 6 décembre 2004 à São Paulo, lors de la seconde rencontre de la gauche du Parti des travailleurs (PT), qui s'est tenue à l'initiative des tendances Démocratie Socialiste (DS, qui regroupe au sein du PT les militants qui s'identifient à la IVe Internationale) et Articulation de gauche (AE). Elle a été signée à l'origine par les tendances et regroupements suivants de militants du PT : Articulação de Esquerda (AE), Democracia Socialista (DS), Alternativa Socialista, Construção : Socialismo e Democracia, Esquerda Democrática, Movimento Socialista Cabano, Tendência Marxista, ainsi que par la députée de l'État de Ceará ═ris Tavares, le député du district Chico Leite, le député fédéral Chico Alencar, Maria de Fátima Braga (Resende, État de Rio de Janeiro), Sonia Rejane da Silva (Resende), Zélia Franklin (Ceará). Traduit de Democracia Socialista n° 11 de janvier-février 2005.

1. Notre parti est l'héritier et le protagoniste des grandes luttes du peuple brésilien, pour les libertés démocratiques, pour la souveraineté nationale et pour l'égalité sociale. C'est dans ces conditions que nous avons organisé et aidé à construire les grands mouvements et les luttes politico-sociales, que nous avons affronté les élections et que nous exerçons nos mandats législatif et exécutif. Et, pour la première fois dans l'histoire, nous avons fait élire le Président de la République. Cette histoire et ces traits ne sont cependant pas indélébiles et ne se produisent pas naturellement.

 

2. Le gouvernement fédéral dirigé par le camarade Lula agit dans des conditions très difficiles. Il faudra beaucoup de temps et de conflits pour dépasser les dégâts laissés par une décennie d'hégémonie néolibérale et deux décennies de dictature militaire. Il faudra une grande fermeté stratégique et une flexibilité tactique pour survivre et s'opposer aux menaces de l'impérialisme nord-américain. Il faudra de nombreuses luttes politiques et idéologiques pour modifier le rapport des forces encore favorable au conservatisme et au continuisme. Il faudra de grandes capacités politiques, administratives et techniques pour faire face aux difficultés inhérentes au gouvernement d'un pays comme le Brésil.

 

3. Nous sommes de ceux qui luttent pour le succès du gouvernement Lula, dans la voie des transformations économiques et sociales, politiques et culturelles, pour mettre en échec l'hégémonie encore dominante du néolibéralisme, pour empêcher le retour — au pouvoir exécutif central — des forces qui ont été défaites lors des élections de 2002 et qui gardent encore d'importants espaces dans notre gouvernement fédéral. Pour cela nous devons avoir conscience de l'urgence de l'heure. L'enjeu des élections de 2006 sera la destinée du Brésil et du PT, au moins pour les prochaines décennies.

 

4. Nous voulons remporter les élections de 2006 ce qui est plus que de réélire le Président de la République. Nous voulons que cette victoire soit le produit non de la peur d'un retour de la droite, mais de l'espoir et de l'appui enthousiaste du peuple à un gouvernement qui aura réussi à réaffirmer notre souveraineté nationale, qui aura élargi les libertés démocratiques, et qui aura fait de grands pas en direction de l'égalité sociale. Pour que celà puisse arriver, l'année 2005 doit différer des années 2003 et 2004. Elle doit être différente non seulement sur le terrain des réalisations administratives — bien que celles-ci soient fondamentales — mais surtout sur le terrain de la grande politique, des grandes batailles de projets, d'une forte confrontation idéologique.

 

5. C'est sur ce terrain que nous avons connu la défaite lors des élections de 2004. Cela ne signifie pas qu'il y ait eu un jugement direct, clair et sans équivoque du Gouvernement Fédéral, car le processus fut également marqué par l'hétérogénéité et par le poids des rapports de forces locaux et régionaux. Néanmoins le caractère national apparaît avec force car les résultats de 2004 comptent, sans faille, en tant qu'accumulation pour l'affrontement des projets et aussi pour la prochaine confrontation électorale nationale.

 

6. Dans toutes les élections qu'il a disputées, de 1982 à 2002, notre Parti a toujours combiné les propositions immédiates avec ces projets à moyen et long terme. Au cours de la décennie passée — et jusqu'à l'élection présidentielle de 2002 — cela s'est traduit par l'opposition entre le programme démocratique et populaire opposé au programme néolibéral. Dans la campagne de 2004 cette opposition a perdu de sa force. Résultat : nous avons été sur la défensive face à l'opposition du centre-droite qui — surtout lors du second tour des élections municipales — a réalisé une grande offensive politico-idéologique contre notre Parti. Il est impossible de dissocier ce fait des ajournements successifs et des frustrations des attentes d'un changement réel des conditions de vie et de travail de notre peuple.

 

7. Le principal " héritage maudit " que nous avons reçu des huit années du gouvernement fédéral dirigé par le PSDB c'est le pouvoir démesuré et la politique mise en œuvre par le Ministère des Finances et la Banque Centrale, imposant au pays, aux travailleurs, au peuple, aux secteurs des petits et moyens entrepreneurs ainsi qu'au gouvernement lui-même une courte laisse qui empêche la croissance vertueuse du marché intérieur, bloque la distribution du revenu et le dépassement des inégalités historiques, stoppe l'augmentation du salaire réel et des retraites, interdit l'exécution des programmes stratégiques du gouvernement et favorise le secteur financier. Les taux d'intérêt élevés — qui ont encore été augmentés —, les indéfendables excédents budgétaires, la soumission au capital financier et aux exigences des marchés (lire : aux intérêts spéculatifs) garrottent la nation brésilienne. Il faut une autre voie, un autre modèle économique et social, totalement distinct de celui que recommande le FMI.

 

8. Nous n'avons jamais nourri l'illusion que le changement du modèle économique et social, la mise en échec du capital financier et latifundaire maintenant appelé avec fantaisie " agro-négoce " — les forces sociales qui hégémonisent encore aujourd'hui l'économie brésilienne — serait rapide et facile. La majorité de la classe travailleuse en a certainement conscience. Mais sans signes de changement et en transformant le vice en vertu nous allons donner des arguments à ceux qui disent qu'il n'y a pas d'alternative au néolibéralisme.

 

9. Il y a beaucoup de leçons à tirer des événements de 2003 et 2004, en particulier de ceux qui ont été éclairés par les résultats des élections. Ces leçons concernent l'importance décisive du militantisme partidaire, la nécessité de reconstruire nos relations avec les mouvements sociaux (et d'aider à reconstruire les mouvements eux-mêmes), les préjudices liés aux alliances surprenantes réalisés par le gouvernement au sein du Congrès National, la nécessaire autonomie du Parti par rapport au gouvernement. En particulier le PT doit combiner sa condition de principal appui au gouvernement et celle d'"aile gauche " de la coalition qui a élu et qui soutient le gouvernement Lula. Notre Parti ne peut se transformer en courroie de transmission de toutes les décisions et options de l'administration car, si cela devait arriver, il n'y aurait plus de combattants pour modifier le rapport des forces qui étouffe le secteur progressiste de notre propre gouvernement.

 

10. Pour mettre en échec le PSDB, la vieille et la nouvelle droite, le grand capital et ses alliés nationaux et internationaux, il faut un changement de l'orientation suivie par notre Parti et notre gouvernement. Cela implique :

 

— Réaffirmer le rôle du PT comme pôle de gauche de la société brésilienne, protagoniste de la lutte pour le socialisme, pour un programme démocratique et populaire, pour les changements qui nous ont fait remporter les élections de 2002.

 

— Changer la politique économique qui étouffe la croissance et surtout empêche les changements sociaux dont notre pays a besoin. D'ailleurs, ce qui est encore plus important que la croissance ou non du PIB, la participation du travail dans le revenu national s'amoindrit, y compris en 2003.

 

— L'adoption des mécanismes de démocratie directe qui puisse garantir une plus large participation populaire dans les orientations du gouvernement Lula.

 

— Que la relation entre notre Exécutif et sa base au sein du Congrès soit fondée sur un autre principe que le " donnant-donnant " physiologique, qui a caractérisé la politique institutionnelle dans notre pays.

 

— Le sauvetage du patrimoine éthique de notre Parti avec le ferme rejet de toutes les pratiques lésant le trésor et la moralité publics.

 

— La reprise du dialogue du gouvernement avec les mouvements sociaux dans la perspective d'entendre leurs revendications les plus pressantes et les plus justes.

 

— Finalement, la restauration de la combativité politique. La combativité politique est possible seulement si nous sommes capables de motiver, d'impliquer et d'émouvoir les millions de Brésiliens et de Brésiliennes qui trouvaient toujours dans le PT un soutien efficace des luttes populaires, qui voyaient et veulent continuer à voir dans le PT un instrument du changement social.

 

11. Ce sont ces grands engagements qui doivent guider le Parti dans la composition de nouveaux exécutifs, là où nous avons été élus ; dans l'action oppositionnelle, là où nous avons été défaits ; dans nos rapports avec les mouvements sociaux et les bases du parti ; dans le Forum social mondial et dans les commémorations du vingt-cinquième anniversaire de la fondation du Parti des travailleurs ; face au gouvernement fédéral et dans le processus d'élection des nouvelles directions du parti.

 

Le changement d'orientation générale, du Parti et du gouvernement, est la meilleure voie pour défaire l'opposition de droite, dirigée par le PSDB, qui consacrera les deux prochaines années à un seul objectif : articuler un bloc politico-électoral, avec l'appui du pouvoir économique et des grandes moyens de communication, qui serait capable de nous battre lors des prochaines élections présidentielles.

 

12. Le Forum social mondial et le Jubilé d'argent du PT sont les moments appropriés pour débattre avec l'ensemble de la gauche, brésilienne et internationale, sur ces changements nécessaires dans l'orientation du Parti et du gouvernement.

 

Le PT n'a aucun intérêt à interdire le débat, en particulier à propos du modèle économique que nous avons et de celui que nous voulons. La discussion franche et ouverte de toutes les divergences est essentielle car elle seule construira la force et l'unité nécessaires pour imposer une défaite à l'opposition de droite. Seul un tel débat pourra permettre également d'établir un calendrier minimal capable d'enregistrer les engagements de changement qui ont animé le peuple brésilien et permis l'élection de Lula en 2002. Un tel calendrier minimal devrait inclure l'élargissement de la démocratie, la participation populaire, la réforme agraire, la réduction des taux d'intérêt et l'accroissement des investissements publics.

 

2005 — année sans élections — sera aussi un moment adéquat pour que le PT réalise la grande journée de formation des nouveaux militants. La campagne électorale a attiré au PT un grand nombre de sympathisants, de soutiens et de nouveaux militants, qui nous appuient moins à cause de notre programme qu'à cause des réalisations concrètes de nos gouvernements et de nos parlementaires. D'autre part, il est impossible de rester indifférents devant un phénomène marquant dans la dernière période : la perte de l'essentiel de l'esprit militant dans de nombreux points du pays et la croissance de l'apathie sociale.

 

13. Finalement, au cours du second semestre de 2005 aura lieu l'élection des nouvelles directions du Parti. Nous y défendrons un parti de la société, vivant, attaché aux aspirations des travailleurs, et non un parti étatique, instrument passif du pouvoir dominant, intégré dans les " machines " administratives, avec sa logique continuiste. Nous redonnerons vie, également, à nos engagements historiques et programmatiques pour dépasser la dépendance extérieure, pour distribuer le revenu et la richesse, pour élever la conscience politique de notre peuple et pour rejeter les pratiques partidaires manipulatoires et corrompues, dont nous nous sommes toujours différenciés.

 

Nous défendrons l'autonomie du Parti face aux exécutifs, à commencer par le gouvernement fédéral, dont nous sommes solidaires. Sans une nouvelle attitude et de nouvelles procédures du Parti, le changement vers un nouveau modèle économique, politique et social ne commencera pas. Et sans ce changement, nous échouerons à réaliser notre principal objectif qui nous conduit à lutter et à conquérir la Présidence de la République.

 

Il s'agit là de quelques idées débattues lors du séminaire réalisé le 6 décembre 2004. Elles serviront de fondement pour tenter de consolider au cours du premier semestre 2005 l'unité des tendances nationales, des groupes régionaux, des parlementaires, des dirigeants de gouvernements et de mouvements sociaux qui ont participé à ce débat ou qui partagent ces idées — unité dans la lutte sociale, dans l'action du gouvernement, dans l'activité parlementaire et autour d'une liste commune de candidatures à la présidence du Parti et à la direction nationale, comme aux directions étatiques et municipales.

 

Dans ce sens, les participants à ce séminaire réaliseront — en janvier 2005, au cours du Forum social mondial — une nouvelle rencontre, consacrée cette fois à notre politique économique alternative. Également au cours du FSM, nous organiserons une grande réunion publique, pour débattre de l'avenir du Brésil et du Parti des travailleurs. Des séminaires et des réunions publiques de même nature seront réalisés dans tous les États et villes du pays.

 

 

 

traducteur
J.M.