
La chute de Dina Boluarte de la présidence péruvienne a été provoquée par le fujimorisme et ses alliés réactionnaires au parlement. Le Congrès a décidé de destituer la présidente quelques mois avant l’élection présidentielle, prévues pour le 12 avril 2026. Le controversé président du Congrès, José Jerí, a pris la présidence.
Le premier objectif de cette manœuvre était pour ces secteurs de se décharger de la grande crise générée par leur propre coalition ultra-conservatrice, en rejetant toute la responsabilité sur Boluarte. Le deuxième objectif était de désamorcer le processus de mobilisation initié par les jeunes, ainsi que les grèves des transports, dans un contexte de mécontentement énorme d’une population souffrant d’insécurité (5 000 personnes ont déjà été assassinées par des tueurs à gages).
Mais la coalition réactionnaire qui a porté Boluarte au pouvoir puis l’a renversée n’a pas réussi à démanteler le processus. L’appel à une journée nationale de lutte le 15 octobre a pris de l’ampleur. Le gouvernement intérimaire de José Jerí Oré a tenté une vieille recette, en appelant au dialogue, cherchant à désamorcer la mobilisation sociale qui s’annonçait déjà comme l’une des plus importantes depuis décembre 2022.
Le plan de Jerí consistait à proposer une table de dialogue, convoquée pour le 14 octobre, en coordination avec le maire de Pataz.
Ce dernier a décidé de baisser les drapeaux de la lutte, de faire confiance à Jerí et de ne pas participer à la journée d’action du 15, au grand dam des milliers de manifestant·es qui avaient parcouru plus de mille kilomètres. Dans le même temps, le nouveau président a organisé une série de réunions avec des gouverneurs, des maires, des recteurs d’université et des artistes, ainsi qu’avec un groupe qui prétendait représenter la Fédération des étudiants du Pérou (FEP).
Tout était conçu pour donner l’image d’un État prêt à écouter. Mais en réalité, il s’agissait d’une opération de désamorçage politique, consistant à ouvrir de petites soupapes pour que la vapeur sociale ne fasse pas exploser la chaudière.
Tout en parlant de dialogue, José Jerí a nommé un cabinet encore plus réactionnaire, avec un passé putschiste. Il a placé Ernesto Álvarez Miranda, un ultra-conservateur qui était magistrat à la Cour constitutionnelle et doyen de la faculté de droit de l’USMP, à la tête du Conseil des ministres. Jerí a clairement indiqué que ce serait un gouvernement dont la politique d’État serait la répression. Il avait déjà qualifié sur les réseaux sociaux les jeunes mobilisé·es de « gang qui veut prendre d’assaut la démocratie » et d’« héritiers du MRTA ». Il ne s’agissait pas d’une excentricité, mais plutôt d’une préparation idéologique à la répression : criminaliser la protestation pour justifier l’usage de la force.
Les événements du 15 octobre
La mobilisation, initialement menée par des groupes de jeunes de la génération Z, s’est transformée en un mouvement national impliquant des étudiant·es plus âgé·es, des enseignant·es, des artistes, des streamers, des syndicats et des communautés locales, ainsi que des organisations de la gauche péruvienne. Les principales revendications des manifestants visaient Jerí lui-même et le Congrès. Ils ont appelé à la démission du nouveau président, qui fait partie de la mafia putschiste au sein du parlement et qui fait l’objet d’une accusation de tentative de viol. Beaucoup ont réclamé la dissolution du Congrès actuel.
Des manifestations ont eu lieu dans les 24 régions administratives. À Arequipa, les marches ont coïncidé avec la visite du roi d’Espagne au Congrès international de la langue espagnole, créant une scène symbolique : des jeunes confrontés à la fois au régime putschiste et à l’ancien ordre colonial. À Lima, la journée s’est terminée avec des dizaines de blessés et souillée par le sang d’Eduardo Ruiz Sáenz (« Trvko »), un rappeur de 32 ans. Ruiz a été abattu sur la Plaza Francia, loin de l’épicentre des événements de la journée. Le meurtre d’Eduardo a encore attisé la colère populaire. Outre la mort du jeune homme, un autre meurtre a été commis et des centaines de personnes ont été blessées par des balles en caoutchouc. La demande de punition des meurtriers est un important cri de ralliement.
Des témoins ont déclaré que c’était un policier en civil du groupe Terna qui avait tiré les coups de feu. Le gouvernement a réagi avec cynisme : Jeri a parlé d’« un petit groupe d’infiltrés », tentant d’effacer la mort du jeune homme et de transformer la tragédie en bruit. Le sang d’Eduardo Ruiz n’était pas le résultat d’un « excès de zèle policier ». Il confirmait la nature répressive du régime putschiste de Jeri et de son Congrès.
Des élections au milieu de la lutte ?
Il est très improbable que les élections générales de 2026 se déroulent sans incident. Ce dont les travailleur·ses, les étudiant·es et le peuple péruvien en général avaient désespérément besoin est en train de devenir réalité : une alliance sociale a commencé à se former entre les lycéen·nes et les étudiant·es, qui défilent aux côtés des enseignant·es, des associations artistiques, des collectifs de quartier et des mouvements indigènes, tous avec pour objectif d’abroger toutes les lois adoptées par le Congrès mafieux et de traduire en justice et de punir les responsables des meurtres commis par la police. Le 15 octobre est donc une date historique, un jour où les jeunes, les travailleur·ses et les peuples du Pérou ont brisé la passivité imposée par la peur et la fragmentation.
Mais chaque étincelle a besoin d’être organisée pour devenir un incendie. Le moment est très délicat et complexe. Nous sommes à six mois des élections générales, auxquelles participeront 43 partis, dont 99 % sont de droite ou de centre-droit. La coalition encore au pouvoir souhaite que seuls les candidat·es de droite accèdent au second tour. À gauche, on trouve l’alliance Venceremos, qui regroupe Nuevo Perú por el Buen Vivir et Voces del Pueblo, auxquels se sont joints Unidad Popular, Tierra Verde et Patria Roja, ainsi que certains syndicats tels que la CUT et des mouvements sociaux. Il est essentiel de lutter également sur ce terrain.
Si la présentation d’une alternative de gauche unifiée dans le processus électoral est une nécessité, la tâche la plus difficile consiste à aider les jeunes, les travailleur·ses et les mouvements populaires à passer de l’indignation à la construction d’un espace large, unifié et démocratique pour coordonner la lutte contre le régime. Un espace qui ne soit pas accaparé par les bureaucraties ou les sectaires, qui discute démocratiquement des mesures à prendre, des prochaines actions et d’un plan national de lutte pour une nouvelle Assemblée constituante nationale.
Le 18 octobre 2025, publié par International Viewpoint