
Lyes Touati, militant et membre de la direction du PST (suspendu) vient d’être condamné par le juge pour six mois de prison ferme et 100 000 DA d’amende. Il est accusé de : "نشر أخبار كاذبة من شأنها المساس بالامن العمومي" (Diffusion de fausses informations portant atteinte à la sécurité de l’État).
L’affaire renvoie à une double accusation. La première est introduite par le PV du commissariat d’Aokas (Béjaia) effectué le 1er mai dernier, où il a été interrogé sur une publication Facebook datant de plus de 5 mois, où il recommandait l’écoute et le débat avec les lycéens en grève.
La deuxième accusation est liée à sa photo de couverture Facebook (qui date de plusieurs années), accompagnée d’une citation d’Étienne de la Boétie : « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux, levons-nous. Soutien à tous les prisonnier-eres d’opinion. »
Selon le témoignage de l’inculpé après son passage devant le juge, il y avait une grande contradiction entre le déroulement de la plaidoirie, où le juge semblait avoir accepter la déconstruction de toutes les accusations, et le verdict prononcé ; ce qui laisse croire que c’est plus un procès politique contre la personne de Lyes Touati qu’un véritable jugement. Le calvaire de Lyes Touati dure plus de six mois. Il est inculpé injustement dans plusieurs affaires.
Notons qu’au même moment, Fathi Gherras, membre et dirigeant du MDS - le MDS reste parmi les rares opposants se réclamant encore du Hirak - est sous contrôle judiciaire pour avoir « touché à l’image et à la dignité » du président Tebboune sur sa page Facebook.
Pour comprendre cette escalade de la répression sur les militant·e·s qui réclament les libertés démocratiques et la levée de l’épée de Damoclès qui pèsent sur elleux, il faut peut-être signaler qu’au même moment, le régime de Chengriha Tebboune affronte une rentrée sociale tendue. Les réseaux sociaux sont agités par les spéculations sur la fuite d’un général, ancien dirigeant des services de sécurité.
Voici un texte écrit par Ali Ben Saad, professeur émérite à l’Institut français de géopolitique (Paris VIII), pour comprendre le contexte sécuritaire dans lequel se situe l’Algérie en cette rentrée sociale :
Dans les limogeages au rythme industriel qui continuent à déstabiliser et à fragiliser l’Etat et son armée, je n’en retiendrai que deux, les plus importants et les plus récents. Celui du patron de la DGSI, Nasser El Djen, et celui du chef de gouvernement, Larbaoui.
Je ne reviendrai pas sur leurs soubassements politiques que j’ai tenté de développer dans ma tribune Médiapart et mon précédent post Facebook intitulé « Algérie, dix années de brutalisation des institutions et de déstabilisation de l’État. »
Je m’attarderai seulement sur un « petit » détail commun aux deux limogeages.
Si Nasser El Djen choisit de fuir vers Alicante, c’est parce qu’il y dispose déjà d’une propriété comme résidence, cossue par ailleurs, d’autres biens immobiliers et de solides moyens de subsistance. Moyens avec lesquels il avait d’ailleurs bien vécu pendant 5 ans à Alicante, comme résident, avant de répondre aux sollicitations du régime et de revenir en Algérie.
Au-delà de la question de savoir comment cet officier qui n’était même pas général alors, avait pu se constituer un tel patrimoine avec sa solde de militaire, le fait est qu’avant d’accéder au poste stratégique de patron de la DGSI, censé par ailleurs s’occuper du dossier très sensible de la corruption, il possédait déjà ce patrimoine. Un patrimoine qui était bien connus des « décideurs » qui lui ont fait appel.
Ce qui veut dire que cette pratique consistant pour un fonctionnaire de l’Etat à se constituer un gros patrimoine qui, plus est, à l’étranger, et impossible autrement que par la corruption, est une norme avalisée par les décideurs de « l’Algérie nouvelle » et pratiquée par eux-mêmes. Ce qui est vrai et incontestable à ce niveau de responsabilité aussi sensible que celui de Nasser El Djen, est forcément banalisé et répandu à tous les échelles de la décision.
La lutte contre la corruption n’est qu’une « arme de dissuasion » entre factions du régime. Sinon, elle aurait été appliquée préalablement à Nasser El Djen au lieu de le promouvoir comme principal instrument de cette lutte. Il n’a été promu à cette fonction que pour l’instrumentaliser au profit de Tebboune
Larbaoui a été limogé parce qu’au moment où est intervenu le drame de la chute du bus vétuste dans l’oued El Harrach, il n’était pas en Algérie où il était censé se trouver pour assurer l’intérim de Tebboune en soin en Allemagne. Lourde faute administrative que cette absence qui, par ailleurs, donnait l’image d’un pays en déshérence, abandonné par ses dirigeants. Il était difficile donc de ne pas sanctionner cette absence.
Mais pourquoi donc Larbaoui était absent ? C’est parce qu’il était auprès de sa famille qui l’a accompagné aux Etats-Unis quand il y était ambassadeur mais qui, au lieu de le rejoindre en Algérie quand il a été nommé premier ministre, a choisi de s’installer définitivement aux Etats-Unis avec un statut de résident. Et où il se rendait donc régulièrement au nom de « l’équilibre de la famille », avec les moyens de l’Etat.
Au-delà, là aussi de la source de subsistance pour une famille dans un pays aussi cher, gouverner l’Algérie comme chef de son gouvernement tout en ayant sa famille résidente à l’étranger, n’a pas posé de problème aux décideurs. C’est que c’est un modèle largement répandu parmi les décideurs dont certains l’enviaient même d’avoir eu la chance de pouvoir choisir l’Amérique de Trump au lieu de « l’éternel ennemi », la France, où les vents ont mal tourné.
Le régime n’arrête pas de crier à « la main de l’étranger ». Mais pratiquement, il nous dirige depuis l’étranger.
Ali Bensaad 28.09.2025
L’Algérie vit une situation où le régime est rentré, depuis le hirak, dans une spirale répressive et autoritaire qui se veut «transitoire», d’où la «suspension» des partis qui dérangent (notamment le PST) et non l’interdiction. Mais le régime ne sort pas de ses constractions internes : chaque négation ouvre sur une autre négation, il réagit par des répressions intermittentes, comme une épée de Damoclès.
Et le procès du camarade Lyes Touati est tombe au « mauvais » moment. Il sert d’exemple et d’avertissement pour toute action critique de la politique du régime.
Le 1er octobre 2025