
Le récent conflit armé indo-pakistanais, accompagné d’une rhétorique belliqueuse et d’un chauvinisme exacerbé entre ces deux voisins dotés de l’arme nucléaire, a exacerbé les tensions dans la région sud-asiatique. Finalement, le président américain Donald Trump aurait négocié un cessez-le-feu. Parmi les populations les plus touchées par ce conflit figurent les habitants du Cachemire, pris au piège de cette rivalité géopolitique, soumis aux contraintes d’un État sécuritaire avec peu d’espoir pour l’avenir.
Le conflit au Cachemire
Le Cachemire est un territoire occupé de longue date, sur lequel les deux pays revendiquent des droits absolus, sans toutefois contrôler entièrement la région. Il constitue un foyer de conflit majeur en Asie du Sud qui a déjà conduit l’Inde et le Pakistan à entrer en guerre à deux reprises. La demande d’autonomie et d’indépendance perdure depuis l’indépendance de l’Inde et la partition qui a suivi. De plus, le Cachemire a connu une insurrection armée lors des quarante dernières années et reste l’une des zones les plus militarisées au monde.
La vallée du Cachemire, ainsi que les régions de Jammu et du Ladakh de l’ancien État princier, sont principalement sous contrôle indien, tandis que le Pakistan gouverne une partie de la vallée et la région du Gilgit-Baltistan. En outre, l’Inde est impliquée dans des conflits territoriaux avec la Chine au sujet de l’Aksai Chin, qui faisait auparavant partie de l’Empire britannique des Indes. Après la partition de l’Inde, l’État princier avait le choix de rejoindre l’Inde ou le Pakistan, ou de rester indépendant. Cependant, le maharaja du Cachemire a finalement choisi d’adhérer à l’Union indienne en 1948, dans des circonstances particulières. Au départ, il était favorable à l’indépendance. Cependant, il a accepté de rejoindre l’Inde à condition que l’État conserve son autonomie dans tous les domaines, à l’exception de la défense, de la monnaie et des affaires étrangères.
En 1947, le conflit du Cachemire entre les nations nouvellement indépendantes a conduit à l’intervention de l’ONU et à une résolution appelant à un référendum pour déterminer le statut définitif du territoire. Cependant, l’Inde a refusé d’organiser ce référendum. L’accord de Shimla de 1972 entre l’Inde et le Pakistan a considérablement affaibli la cause de l’indépendance du Cachemire. En effet, les deux parties s’étaient engagées à respecter la ligne de cessez-le-feu de 1948 et à résoudre leurs différends pacifiquement par la négociation. Même si l’accord n’a pas permis de régler irrévocablement la question du Cachemire, il reste une référence pour toutes les discussions bilatérales sur le sujet.
Autonomie du Cachemire
Sheikh Abdullah, un leader du mouvement antimonarchique du Cachemire, a plaidé en faveur de l’intégration de la région dans une Inde laïque et démocratique, sous réserve du respect de son autonomie. Ses efforts ont abouti en 1952 à l’inclusion du statut spécial du Cachemire dans la Constitution indienne en vertu de l’article 370. Le gouvernement central a accordé à l’assemblée constitutionnelle du Jammu-et-Cachemire le pouvoir de déterminer des domainess supplémentaires où s’exercerait cette autonomie. L’article 35A garantissait le droit du Cachemire de définir ses résidents permanents et imposait des restrictions à la propriété foncière pour les étrangers.
De 1955 à 1977, le gouvernement, contrôlé par le Parti du Congrès a affaibli l’article 370 par plus de 25 décrets présidentiels. Depuis 1948, le gouvernement a réprimé la dissidence, ce qui a entraîné un soutien populaire certain envers les soulèvements anti-indien de 1986. La répression continue de la dissidence par le gouvernement a encore réduit l’espace démocratique. En conséquence, les jeunes Cachemiris se sont tournés vers l’insurrection militante, traversant la frontière pakistanaise pour s’armer et s’entraîner. Une division est apparue entre les principales organisations militantes, certaines prônant l’indépendance du Cachemire et d’autres soutenant l’adhésion au Pakistan. À la fin des années 1980, ces groupes ont pris pour cible les politiciens cachemiris pro-indiens et les familles hindoues, contribuant à un exode progressif des hindous de la vallée. À la suite des élections générales de 1989, le Front de libération du Jammu-et-Cachemire et d’autres groupes militants ont intensifié leurs attaques, provoquant une répression importante de la part de l’État.
La vallée compte près de 650 000 soldats armés, ce qui en fait l’une des régions les plus militarisées au monde par rapport à la population. En outre, la loi sur les pouvoirs spéciaux des forces armées (AFSPA) est en vigueur depuis deux décennies sans interruption. Plus que tout autre facteur, elle a facilité les violations des droits humains en raison de plusieurs de ses dispositions draconiennes. Bien qu’elle ait été initialement prévue pour une durée limitée, cette loi est désormais devenue permanente.
Abrogation de l’article 370
Le 5 août 2019, le gouvernement indien a annoncé l’abrogation de l’article 370 et la suppression de l’article 35A, révoquant ainsi l’autonomie du Jammu-et-Cachemire jusque là garantie par la Constitution indienne. En outre, le gouvernement a dissous l’État du Jammu-et-Cachemire, le divisant en deux territoires de l’Union qui seront administrés directement par le gouvernement central. Cette décision, qui modifie le statut d’une région contestée en Asie du Sud, et la manière unilatérale dont elle a été exécutée, reflètent la montée d’un nationalisme hindou affirmé en Inde. Elle marque également une rupture significative avec l’approche antérieure de l’Inde envers le Cachemire, qui consistait à alterner la carotte et le bâton.
La principale motivation derrière l’occupation politique et militaire ouverte du gouvernement BJP, soutenue par le Sangh Parivar, découle d’une animosité profondément enracinée envers les musulmans, d’autant plus que le Jammu-et-Cachemire était le seul État à majorité musulmane en Inde. Le Sangh Parivar visait à humilier les Cachemiris, et l’abrogation de l’article 370 est une manifestation flagrante de cette intention. De plus, le gouvernement indien a déployé 35 000 soldats supplémentaires en plus des 650 000 militaires déjà présents. Il a également imposé des assignations à résidence aux dirigeants des principaux partis cachemiris, décrété des couvre-feux et imposé un black-out total des communications dans toute la vallée. Ces violations constitutionnelles des droits des Cachemiris constituent des étapes cruciales dans la poursuite du programme visant à établir un Hindu Rashtra.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, le gouvernement du BJP, sous la direction de Modi, a activement propagé l’islamophobie dans le pays et intensifié l’hostilité envers le Pakistan. Pareille attitude a réduit à rien les efforts visant à apaiser les tensions le long de la frontière. Par ses actions au Cachemire, l’Inde a également envoyé des messages géopolitiques au Pakistan, aux États-Unis et à la communauté internationale dans son ensemble. Elle affirme qu’il n’y a plus de « conflit régional » nécessitant une résolution bilatérale avec le Pakistan et que ce point ne devrait pas figurer dans les discussions de l’ONU ou internationales, tout en négligeant les préoccupations humanitaires. Les gouvernements centraux successifs, en collaboration avec les administrations du Jammu-et-Cachemire, ont systématiquement érodé les dispositions relatives à l’autonomie. Cette situation, combinée à la militarisation extensive de la région, a rendu l’autonomie dont jouissait autrefois le Cachemire largement symbolique.
Cette situation est non seulement humiliante pour les habitants de la vallée, qui se sont battus pour obtenir soit l’indépendance totale, soit une plus grande autonomie au sein de l’Union indienne, mais elle a également conduit les Cachemiris à un statut de citoyens de seconde zone. Malgré sa position idéologique, le BJP n’aurait pas pu abroger l’article 370 si les précédents gouvernements du Parti du Congrès n’en avaient pas diminué l’importance, le rendant presque superflu. Le BJP a ouvertement exploité à son avantage les actions secrètes des régimes précédents. L’abrogation de l’article 370 a annulé l’adhésion et constitue une reconnaissance officielle du fait que l’Inde opère comme une force d’occupation au Jammu-et-Cachemire.
Le gouvernement indien affirme que la révocation du statut spécial du Cachemire vise à intégrer les Cachemiris dans la société indienne et à leur accorder les mêmes droits que les autres Indiens. Cependant, les actions du gouvernement, ainsi que la manière détournée dont cette décision a été prise, contredisent cette affirmation. Il n’y a eu aucune consultation avec la population du Cachemire, et le gouvernement a utilisé le prétexte d’une menace terroriste pour imposer un confinement strict dans la région. Le gouvernement a également eu recours à des subterfuges et à des tactiques de désinformation envers le reste de l’Inde. Il a justifié ce confinement en utilisant des rumeurs d’attaques terroristes imminentes et la découverte d’armes le long de la frontière avec le Pakistan. L’annonce soudaine par le ministre de l’Intérieur de la décision du gouvernement de révoquer l’autonomie du Cachemire n’a laissé aucune possibilité de débat au Parlement indien.
Selon la Constitution indienne, toute modification constitutionnelle doit être approuvée par les deux tiers des membres des deux chambres du Parlement. Bien que disposant du nombre nécessaire, le BJP a choisi de ne pas suivre cette voie, préférant tirer parti de sa majorité rétrospective pour mettre en œuvre son programme majoritaire. En outre, la Constitution contient une clause qui interdit de modifier l’article 370 sans le consentement de l’Assemblée constituante du Cachemire. Après la dissolution de l’assemblée en 1956, le gouvernement a fait valoir que l’assemblée législative du Cachemire pouvait remplir ce rôle. Cependant, l’effondrement du gouvernement de coalition en novembre 2018 a entraîné la suspension de l’assemblée législative, nécessitant l’approbation du gouverneur du Cachemire nommé par le gouvernement central. Remplacer les fonctions d’un organe législatif légalement élu par une personnalité nommée par le pouvoir central est, pour le moins, un tout de passe-passe juridique. La facilité et la rapidité avec lesquelles le gouvernement a modifié une promesse constitutionnelle fondamentale soulèvent des questions quant à la position de l’Inde en tant que démocratie constitutionnelle, puisqu’elle érode les protections constitutionnelles accordées à ses citoyens.
Solidarité avec le Cachemire
Le gouvernement Modi a réussi à générer un sentiment d’euphorie dans tout le pays pour célébrer ses actions anticonstitutionnelles et, surtout, violant tout principe démocratique. Cette situation illustre l’influence profondément ancrée du nationalisme hindou dans le tissu même de la société nationale. En outre, elle met en évidence l’échec du parti du Congrès et d’autres groupes d’opposition, y compris le courant principal de la gauche. Ces partis d’opposition n’ont pas réussi à opposer une résistance substantielle aux mesures anti-laïques et anti-démocratiques prises par le Sangh Parivar, qui sont présentées comme des initiatives visant à promouvoir une Inde forte. Cette vision des choses est devenue largement hégémonique, nécessitant une lutte à long terme de la part d’une nouvelle gauche radicale .
Les citoyens démocratiques, progressistes et laïques de l’Inde doivent reconnaître les dangers posés par le projet Hindutva et s’y opposer activement. Ils doivent s’unir au peuple du Cachemire. La justice et le respect du peuple cachemiri nécessitent la démilitarisation immédiate de la vallée, ainsi que son droit d’exprimer des griefs légitimes et de protester démocratiquement de la manière qu’il choisit. Nous devons résolument nous opposer à ce nationalisme exclusiviste, culturellement raciste et militariste. Enfin, nous devons réaffirmer le droit à la pleine autodétermination politique du peuple opprimé du Cachemire.
Traduit par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro, version du 23 juin, relue et retouchée par l’auteur.