
Cet ouvrage est un impressionnant reportage/témoignage collectif du mouvement socio-écologique Les Soulèvements de la Terre.
Cette fédération de mouvements de jeunesse écologiques – comme Extinction Rebellion ou Youth For Climate –, d’associations paysannes, de groupes autonomes et collectifs locaux, fondée en 2021, a fait le choix de l’action directe de masses, menant des mobilisations qui ont frappé l’opinion publique et suscité la rage du gouvernement (et de son ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérald Darmanin), qui a tenté en vain de la dissoudre.
Une note des ex-Renseignements généraux prend acte de « l’inventivité, la capacité à mobiliser, la force d’influence » des Soulèvements de la Terre (SdT). Suite à la tentative ratée de dissolution, 160 000 personnes ont signé la tribune d’adhésion aux SdT, et 150 comités locaux se sont constitués en quelques mois.
Les chapitres du livre, qui, selon leurs auteurs, « avait toutes les chances d’être interdit et mis au pilon », ont été écrits par différents animateurs du mouvement, à partir de discussions et réflexions collectives. Les SdT, expliquent les auteurs, ont fait le pari d’une écologie terre-à-terre, qui s’enracine dans les luttes locales, territoriales, en réactivant ainsi une intuition politique séculaire, des Diggers anglais du 17e siècle au MST du Brésil, et des jacqueries du Moyen Âge au Chiapas zapatiste. L’adversaire est clairement désigné : le capitalisme, un système fondé sur la dépossession et l’accumulation, l’accaparement des terres et des richesses, et qui nous précipite vers le désastre.
Refusant l’écologie qui fait la morale et invective les foules, ainsi que la proposition du gouvernement de « s’adapter » à un réchauffement de 4° C, le mouvement agit par blocage de projets considérés nuisibles, « désarmement » de sites industriels polluants et occupation de terres menacées. Il s’agit de plus qu’une tactique, mais moins qu’une stratégie ; en tout cas, ces actions directes servent à désacraliser la propriété, et à défaire les clichés de la modernité et du « progrès » industriel capitaliste. Elles répondent à un sentiment d’urgence : il faut lutter avant qu’il ne soit trop tard. Selon l’appel initial des Soulèvements de la Terre, « parce que tout porte à croire que c’est maintenant ou jamais, nous avons décidé d’agir ensemble ».
L’action la plus spectaculaire du mouvement fut, comme l’on sait, la mobilisation à Sainte-Soline contre les mégabassines, qui a réuni des dizaines de milliers de participant·es. La violente répression de la police a montré, encore une fois, que « derrière le vernis démocratique, l’État est d’abord et avant tout le monstre froid qui tue pour défendre les intérêts d’une minorité ». Sans avoir réussi, l’initiative a tout de même fait bouger les lignes politiques.
Pour les animateurs du mouvement, « la situation est trop grave pour que nous ayons besoin de justifier notre radicalité ». Refusant l’idéologie de la « désobéissance civile non-violente » comme seule forme d’action légitime, ils prônent la complémentarité de différentes tactiques au service d’objectifs stratégiques communs. Certes, le conflit avec l’État est une confrontation asymétrique, un David contre un Goliath : il faut maîtrise l’art de la lutte « du faible au fort ». Pour mobiliser, il est nécessaire d’organiser la convergence, la « composition », associant des prolétaires, des jeunes, des femmes, des précaires, des Gilets jaunes, en cherchant à dépasser les identités politiques figées.
Les auteurs reconnaissent qu’on ne peut pas se contenter de désertions individuelles, ni même d’expérimentations collectives : il faut faire sauter les verrous, tenter d’enrayer la machine, ouvrir la perspective d’une sortie de l’économie de marché. Toutefois, en refusant ce qu’ils appellent le « léninisme vert » d’Andreas Malm ou Frédéric Lordon, ils rejettent la perspective d’une prise du pouvoir d’État, source à leurs yeux de « violence bureaucratique ». Mais peut-on faire la révolution sans prendre le pouvoir ? Manque ici l’hypothèse d’un pouvoir politique révolutionnaire et démocratique, non étatique, et non bureaucratique, comme le fut la Commune de Paris ! Les auteurs prônent des « contre-pouvoirs autonomes », mais reconnaissent que multiplier les ZAD locales n’est pas une stratégie.
Tentant d’échapper aussi bien à l’absorption par le champ politique traditionnel qu’à l’exclusion dans ses marges, le mouvement cherche encore à définir une stratégie : ses projections politiques, reconnaissent ses porte-parole, sont des hypothèses fragiles et inachevées.
Il ne reste pas moins que l’expérience des Soulèvements de la Terre est l’expression la plus réussie et la plus importante, depuis la révolte des Gilets jaunes, d’une convergence des luttes, à la fois sociales, écologiques et anticapitalistes.
Le 27 avril 2025