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L’actualité brûlante de la question nationale

par Tassos Anastassiadis
Vassily Kandinsky, 1923 - Circles in a Circle

Palestiniens, Ukrainiens, Kurdes, Ouïghours, Kanak, Martiniquais, de nombreux peuples sont directement concernés par une oppression coloniale directe, sans parler des nombreux peuples, notamment en Afrique, dont les territoires sont l’objet des convoitises des impérialistes, qui n’hésitent pas à utiliser les armes pour s’approprier les richesses des peuples. Nous avons considéré nécessaire d’aborder la question nationale sur deux numéros d’Inprecor, celui-ci et le prochain, afin d’en aborder différentes dimensions qui sont utiles pour nos luttes actuelles.

Si la question « nationale » revient avec insistance dans les questions politiques c’est parce qu’elle pose un problème plus général pour l’émancipation, à savoir l’aliénation proprement politique. Celle-ci, en tant qu’exclusion de toute prise de décision essentielle sur la société, ne concerne pas que les prolétaires face aux bourgeois, mais toute forme d’identité ou de communauté face à la logique de l’accumulation du capital au niveau mondial.

Saisir les dynamiques

Dans le débat « classique » sur la question, bien rendu par les articles de Michael Löwy et Jaime Pastor (à paraître dans notre prochain numéro), le point fort de Lénine est qu’il s’est précisément refusé à essentialiser la « nation » en centrant son propos sur la généralisation du principe marxien selon lequel l’émancipation « sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » – et non pas un projet technocratique de « savants », même révolutionnaires. La faiblesse de ses détracteurs, dont Rosa Luxemburg, était de sous-estimer cet aspect nécessaire d’inclusion, subjective, dans toute prise de décision politique au profit d’une efficacité économique supposée, du progrès, etc.

À l’inverse, et paradoxalement, Rosa avait repéré la tendance inhérente et nécessaire à l’accumulation élargie du capital de pénétrer dans toute sphère non capitaliste, ce qu’elle appelle les « tierces personnes », pour permettre la rentabilité et reproduire en même temps ses conditions de reproduction sociale. Celles-ci incluent la concurrence généralisée ou la « guerre de tous contre tous », donc aussi bien l’exploitation que les oppressions. Cela concerne le colonialisme dans sa forme classique, mais jusqu’à et y compris la mondialisation libérale actuelle.

Processus d’exclusion

C’est d’ailleurs l’introduction du néolibéralisme qui a démenti le pronostic optimiste de Hobsbawm dans les années 1980, avec notamment l’explosion nationaliste, y compris guerrière, dans les Balkans, région où déjà au 19e siècle la « question nationale » s’était trouvée au centre de l’effritement de l’Empire ottoman.

Nous parlons de « question », car dès lors la construction de la nation et de son État n’est plus centrée sur l’inclusion de toute la population dans une communauté politique (même avec des exceptions) à l’inverse des sociétés féodales, absolutismes, monarchies, etc., mais sur l’exclusion – à l’extérieur (les autres « nations ») comme à l’intérieur (esclaves, prolétaires, femmes, « minorités », immigré·es…).

Ce n’est qu’au tout début des révolutions bourgeoises (notamment la Révolution française), et pour un laps de temps très court et très symbolique, que la nation et son État étaient censées rassembler tous les « peuples » contre la « tyrannie ». Dans les Balkans aussi, le rêve révolutionnaire de créer une nation contre le sultan s’est heurté à des forces bourgeoises concurrentielles, en quelque sorte « nationales ». Et à chaque fois il faut examiner les circonstances concrètes et les évolutions, comme le fait Paul Murphy pour l’Irlande.

Nations et ethnies

Les aborigènes de l’Océanie ou les « peuples premiers » des espaces colonisés de l’Amérique ou de l’Afrique (et même ailleurs, comme en Asie centrale) pourraient nous offrir des exemples de communautés entières qui restent plus ou moins exclues de la « nation » ou qui se sentent exclues en tant que telles.

L’article de Michel Cahen sur l’Afrique examine précisément cette richesse complexe d’identités, parfois nommée « ethniques », qui pose aussi et essentiellement – et le reproduit et le régénère – ce problème d’aliénation politique collective, le sentiment (et sa réalité) d’exclusion politique. S’il préfère parler de « degrés d’ethnicité », il montre qu’il s’agit bien de « questions nationales », fluides et mouvantes, mais retravaillées et modifiées en fonction de l’Histoire, de la colonisation, de la libération, des circonstances, mais toujours basées sur la réalité d’une exclusion politique, parfois interne y compris dans les mouvements de libération !

La réalité des identités et des sentiments communautaires peut diverger dans ce qui les constitue (nation, ethnie, lignage, clan, tribu, caste, race, chefferie… mais aussi suivant des axes comme la spécialisation au travail ou même la religion), mais l’aspect important est l’exclusion politique (et parfois l’accaparement des richesses). Le rapport à l’État, qui n’est pas, ou plus, un « État social », mais plutôt « ethno-clientéliste » ou « prébendier » et « compradore », n’aide évidemment pas. Mais n’est-il pas de même, a de degrés divers, des États néolibéraux actuels ?

Le soutien inconditionnel

Pour cela, il suffirait de regarder, au niveau macroéconomique, les questions des dettes et, au niveau microéconomique, la transformation du prolétaire, vendeur de sa force de travail, en son propre investisseur, atomisé et fragilisé.

Face à des identités refuges, réelles ou imaginaires, la question politiquement pertinente semble être l’approche de Lénine sur la question nationale : non pas chercher l’essence de la nation ou tracer un sens au progrès ou à l’économie, mais différencier l’opprimé de l’oppresseur et offrir inconditionnellement notre soutien à la subjectivité politique du premier. Ceci est valable non seulement pour les victimes et les résistants à l’oppression nationale proprement dite, comme les Gazaoui·es ou les Ukrainien·nes actuellement, mais à toutes les oppressions, nationales, culturelles, linguistiques, religieuses, de genre, de couleurs… qui s’étendent à cause du néolibéralisme mondialisé.

Le 22 octobre 2024

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