Nous reproduisons ci-dessous un billet rédigé par Angelo Basile, ex-secrétaire général adjoint de la FGTB – MWB, et publié sur sa page Facebook. Cette contribution extérieure pourrait servir de matériel de base à une opération vérité à mener par les syndicats dans le cadre des attaques antisociales qui arrivent.
Les politiques de droite, le patronat, les media comme les grandes institutions internationales et européennes ont fait des finances de nos administrations publiques un véritable cheval de bataille. « Nous dépensons trop. Nous vivons dans un pays de cocagne. Beaucoup de belges se complaisent dans l’assistanat. Le chômage coûte cher. Il nous faut réaliser des économies de toute urgence si nous voulons éviter la banqueroute nationale » Ces jugements qui se sont trouvés au centre de la dernière campagne électorale résistent-ils à l’épreuve des faits ?
Avec un taux d’endettement qui dépasse les 100% du PIB, soit la totalité de la richesse produite en un an, la Belgique s’est forgé la solide réputation d’un État qui vit au-dessus de ses moyens. A en croire ceux qui ne jurent que par l’efficacité du secteur privé et les recettes ultra-libérales, « nous regorgerions de fonctionnaires dont on ne sait trop à quoi ils peuvent bien servir, ni comment ils occupent l’essentiel de leur temps de travail gentiment calfeutrés au fond de leurs bureaux cossus et surchauffés. »
La Belgique est-elle le pays le plus endetté d’Europe voire du monde, comme on le prétend parfois ? A cette question, la réponse est : pas du tout ! Au sein de l’Union Européenne, la Grèce, l’Italie, la France et l’Espagne ont une dette publique rapportée à leur PIB plus élevée que la nôtre. A titre indicatif, elle est de 160% en Grèce et de 138% en l’Italie, pour 108% en Belgique. Si on sort du cadre d’observation européen et si on se reporte à l’échelle du monde, on relève que les USA et le Japon affichent également un taux d’endettement plus élevé que le nôtre : 122% du PIB pour les Etats-Unis contre 263% pour le Japon. Avec un niveau d’endettement deux fois et demi plus élevé que le nôtre, a-t-on jamais entendu dire que l’État japonais était en faillite ?
La Belgique est-elle le pays qui a le déficit public le plus élevée d’Europe ? A cette seconde question, la réponse est, comme pour la précédente, pas le moins du monde. L’Italie, la Hongrie, la Roumanie, la France ou la Pologne sont des États qui possèdent un déficit public supérieur au nôtre. Avec un taux égal à 7.4% du PIB en Italie pour 4.4% en Belgique : on peut dire qu’il n’y a pas photo. Encore ce dernier chiffre mériterait-il d’être lui-même nuancé. II résulte, en réalité, d’un déficit primaire de 2.4% auxquels s’ajoute une charge d’intérêt sur la dette de 2%. Autrement dit, non seulement le montant total des dépenses de l’État n’excède pas de manière démesurée celui de ses rentrées, mais le poids financier de son endettement ne semble pas davantage traduire une situation de dérapage alarmants de nos comptes publics.
« Certes, diront certains, mais n’est-il pas vrai, pour autant, qu’avec une dépense publique égale à 53.5% du PIB, l’économie belge s’apparente à un système collectiviste qui ne dit pas son nom puisqu’il s’accapare plus de la moitié de la production et de la consommation privées. »
Ici encore, il nous faut répondre par la négative. Les dépenses publiques ne sont pas une composante du PIB. Juste un concept fourre-tout qui mélange (en les additionnant) des dépenses de fonctionnement et d’investissement publics, avec des sommes qui ne sont pas dépensées mais redistribuées par le truchement de prestations sociales et de subventions diverses. Elles ne sont qu’une valeur arithmétique rapportée au PIB et il Il est donc faux, erroné ou manipulateur d’affirmer, comme on le lit ou l’entend fréquemment, qu’une fois les dépenses publiques assurées, il ne reste plus que 46.5% pour la production et la consommation privée. Il est des pays, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, où la dépense publique oscille, selon les années, entre 40 et 45% du PIB, mais où une part non négligeable des pensions est tributaire du système de capitalisation, là où nous avons fait le choix inverse du système de répartition.
De même, il est faux, erroné ou manipulateur de soutenir que les agents de la fonction publique et des secteurs non-marchands (enseignants, infirmières, personnels d’entretien ou des administrations, etc.) occupent des emplois non productifs, dont ils tireraient un revenu aux dépens de l’activité du secteur privé. Non seulement ces professions consistent en un ensemble d’activités pleinement productives et reconnues en tant que telles par des conventions des Nations-Unies mais, de surcroît, elles sont la plupart du temps beaucoup plus utiles (ou plus essentielles) que bien des emplois relevant des secteurs marchands. Comme l’a attesté la crise du covid.
Ces dépenses, que recouvrent-elles exactement ? Si on se reporte aux derniers chiffres disponibles, la dépense publique belge a représenté, en 2023, une masse monétaire de 280 milliards d’euros environ. Parmi lesquels, 38% (plus ou moins 105 milliards) ont directement été reversés aux particuliers et aux ménages sous la forme de revenus de pensions, préretraites, allocations de chômage, allocations familiales, etc. Ces sommes ont ainsi servi à maintenir le pouvoir d’achat des catégories sociales les plus fragilisées et, par-là, à aider ou à soutenir l’activité économique du pays. Parallèlement, les prestations pour soins de santé ont avoisiné les 43 milliards d’euros, soit 15 % du total des dépenses publiques.
Il existe de fortes disparités dans la manière avec laquelle les États-membres de l’Union Européenne utilisent l’argent public. Ainsi, si les dépenses sociales avoisinent les 30% du PIB en France, en Allemagne, en Italie et au Danemark, elles atteignent péniblement les 15% en Estonie, en Lituanie, en Lettonie ou en Roumanie. Ces différences sont l’expression de choix de société qui traduisent de façon chiffrée les rapports que chaque pays entretient avec les valeurs d’égalité et de solidarité. Elles expliquent aussi pourquoi les niveaux de pauvreté des pays de l’ouest de l’Europe sont globalement inférieurs à ceux de l’est, quoiqu’encore particulièrement élevés.
Contrairement à une idée bien reçue, la Belgique n’est pas non plus la championne toute catégorie des dépenses sociales en Europe. Elles sont de l’ordre de 26% du PIB, dont une très large partie (autour de 75 à 80%) est affectée aux paiements des pensions et des soins de santé. C’est dire que sur l’ensemble du budget de la sécurité sociale, le coût des allocations de chômage (cet autre canard auquel il faut tordre le cou) ne pèse que pour une infime partie de l’ensemble des dépenses publiques, tout juste 3.6%, soit l’équivalent du total des montants versés au titre des allocations familiales et un peu plus de la moitié des indemnités de maladie de longue durée.
Avec un budget de 35 milliards d’euros, dont un tiers est directement affecté à la dotation royale, au fonctionnement du Parlement et des cabinets ministériels, les services de nos différentes administrations sont loin d’être prépondérants dans les dépenses de l’État. 35 milliards, c’est très exactement 6% du PIB, soit l’équivalent du coût de l’administration de nos pays voisins et c’est à peine un peu plus que l’enveloppe allouée à l’enseignement (32 milliards).
Faudrait-il dès lors sabrer dans les dépenses pour réduire le déficit public, ainsi que le propose aujourd’hui la quasi-totalité des gouvernements des États-membres européens ? Ce serait faire fi du rôle essentiel qu’assurent cette manne financière au niveau économique et social. Celle-ci n’est de fait pas seulement utiles à nos économies. Organisée à partir d’institutions non marchandes, sans actionnariat à rémunérer et porteuses d’économies d’échelle, elle a un coût qui s’avère nettement plus efficace et beaucoup moins onéreux que celui des mêmes services, lorsqu’ils sont produits par le secteur privé.
Là où il n’existe pratiquement pas (ou très peu) de sécurité sociale, le coût de l’assurance croît, en effet, proportionnellement au risque à couvrir. Aux Etats-Unis, pays où la sécurité sociale est plus que rudimentaire, le coût des soins de santé s’élevait en 2022 à 18,2% du PIB, dont plus de la moitié était à charge des assurés eux-mêmes. Par comparaison, la même année, le coût des soins de santé était de 11,9% du PIB en France, 11,4% en Autriche, 9% en Italie et 11,6% en Belgique avec, pour chacun de ces Etats, une très large prise en charge couverte par la sécurité sociale.
Il est à regretter que ces chiffres ne soient pas plus souvent divulgués dans la presse « spécialisée » laquelle ignore les enseignements que permettent de dégager les comparaisons entre les différents systèmes protection sociale. Seul semble importer, aux regards attentifs de nos « experts » le montant de quelques masses monétaires qu’ils ne parviennent à percevoir que sous l’angle « de leur coût », jamais sous celui de leur utilité.
Pourtant, les chiffres sont bien sans appel. En Belgique, s’il n’existait pas de transferts sociaux le taux de pauvreté calculé sur la base des revenus serait de 25,8% de la population au lieu des 13,2 % enregistrés.