Entre 1990 et 1991, les investissements étrangers ont atteint 2,5 milliards de dollars en Hongrie, dépassant le total des investissements dans tous les pays d'Europe de l'Est à l'exception de l'Allemagne. Quelques 10 000 joint-ventures ont été créées avec des partenaires étrangers, soit le double de celles existant en Pologne. La Hongrie a aussi été le premier pays à signer un accord économique avec son voisin nouvellement indépendant, l'Ukraine. Derrière ces chiffres, se cache le coût social des réformes économiques et la chasse aux sorcières des autorités contre tous ceux qui étaient liés à l'ancien régime. Cette politique a eu un certain succès jusqu'à la fin 1991.
Les tentatives de la coalition au pouvoir, dirigée par le Forum démocratique hongrois (MDF), pour obtenir davantage de pouvoirs ont provoqué des protestations parmi l'intelligentsia libérale, qui a publié une Charte démocratique, expliquant comment le gouvernement menace les droits civiques fondamentaux. Cette charte n'avait pas eu beaucoup d'écho jusqu'à ce que le Premier ministre, Jozef Antall, ordonne la démission du président de la Banque nationale de Hongrie, György Suranyi, sous prétexte qu'il avait signé ce document. Selon Antall, aucun gouvernement ne peut permettre qu'un haut-fonctionnaire signe un document d'opposition. Suranyi a été remplacé par Akos Bod, ancien ministre du commerce et de l'industrie, dévoué à Antall, qui participe depuis 1985 à l'élaboration de la politique économique du MDF.
Cette mesure du Premier ministre s'est révélée être une magnifique publicité pour la Charte. Quelques semaines après, celle-ci avait été signée par plus de 4 000 personnes et ses initiateurs ont organisé un important meeting.
Dans la foulée, deux vice-secrétaires d'État des Affaires étrangères, en place avant l'arrivée du gouvernement actuel, ont aussi été remplacés, ce qui a entraîné la démission du ministre lui-même.
Sus aux anciens communistes !
Cependant, la coalition dirigeante n'a pas encore suffisamment assouvi sa soif de revanche contre les anciens communistes ou ceux qui avaient servi durant l'ancien régime. Percuté par l'effondrement des économies d'Europe de l'Est et des privatisations à outrance, le MDF est incapable de proposer un meilleur niveau de vie à la population et a donc besoin de choisir des boucs émissaires parmi ceux qui sont présentés comme les responsables de la situation catastrophique actuelle : les « communistes » ou tous « ceux qui paralysent le changement de système ».
De telles représailles pourraient être complètement « légales ». Le Parlement a déjà voté une loi qui suspend les amnisties pour les personnes reconnues coupables de crimes importants commis entre 1945 et 1989 (participation à des massacres, trahison ou violences entraînant la mort). Les initiateurs de cette loi veulent traîner devant les tribunaux d'anciens soldats de l'AVH (l'équivalent hongrois du KGB soviétique entre 1948 et 1956) et certains vieux politiciens tels Györgyi Marosan, 83 ans, syndicaliste social-démocrate d'avant 1948, qui a joué un rôle important dans l'unification des deux partis ouvriers, puis qui a passé six ans dans les prisons du dirigeant stalinien hongrois Rakosi, avant de devenir.
Janos Denes, ancien militant des conseils ouvriers, aujourd'hui député indépendant (il appartenait auparavant au MDF), a annoncé qu'il voulait que Marosan soit pendu au plus vite ; le président de l'Assemblée lui a rappelé que la peine de mort avait été abolie en Hongrie. Denes a aussi déclaré qu'il présenterait un projet de loi pour déclarer illégal le MSZMP (l'un des successeurs du Parti communiste, qui n'est pas représenté au Parlement) et nationaliser tous ses biens. Le président de l'Assemblée lui a alors répondu que, tant que le MSZMP fonctionnait selon la Constitution, il ne pouvait pas être interdit.
Un débat télévisé entre les dirigeants des groupes parlementaires des deux principaux partis — Imre Konya pour le MDF et Ivan Petö pour l'Alliance des démocrates libres (SZDSZ) dans l'opposition — a provoqué un autre électrochoc. Konya a affirmé qu'il fallait traiter les communistes comme des fascistes et a demandé des représailles contre eux parce que « tel est le vœu de la nation ».
Ivan Petö a récemment démissionné de la direction du groupe parlementaire du SZDSZ, parce que le Congrès de ce parti, en novembre 1991, a élu Peter Tölgyessy comme président. Tölgyessy, qui représente l'aile droite du SZDSZ, a été élu par les militants mécontents à cause du comportement libéral-social des fondateurs du parti, comme Petö ou l'ancien président Janos Kis. Tölgyessy veut que le parti devienne plus « patriote » et qu'il entretienne de meilleures relations avec l'Église ; sous sa direction, le SZDSZ veut gagner des voix en se rapprochant des thèmes du MDF.
Ce changement de direction annonce le début d'une nouvelle course vers la droite entre le MDF et le SZDSZ. En 1990, le SZDSZ était apparu comme le parti le plus anticommuniste et avait failli battre le MDF. Mais aujourd'hui, ce dernier a des positions bien plus solides, et le déclin du SZDSZ va sans doute continuer. Ce virage à droite conduira sans doute les secteurs les plus droitiers du Parti socialiste hongrois (PSH – ancien Parti communiste) à abandonner tout espoir d'alliance avec ces libéraux.
En décembre 1991, le MDF a aussi tenu son congrès et a élu Lajos Für, le ministre de la Défense, comme numéro deux après Antall. Für appartient au secteur centriste du parti et sa promotion est peut-être une tentative des groupes modérés pour contrebalancer l'offensive droitière de Konya.
Débâcle économique et…
Lors du débat parlementaire sur le budget 1992, le ministre des Finances Mihaly Kup a promis une réduction importante de l'inflation et la fin de la baisse de la production et des salaires réels.
L'année 1991 a été catastrophique : le produit national brut (PNB) a chuté d'environ 6 % et la production industrielle de plus de 10 %, tout comme en 1990 ; l'inflation a augmenté de pratiquement 40 %, après une hausse de 30 % en 1990. Le chômage touchait 400 000 personnes à la fin 1991, soit quatre fois plus qu'en 1990, passant de 2 à 8 % de la population active. Des différences régionales subsistent en Hongrie : le Nord-Est est deux fois plus touché par le chômage que le reste du pays.
Le déclin rapide des salaires réels a conduit à l'effondrement du pouvoir d'achat et à une crise du marché intérieur. Le commerce de détail a chuté de 20 %. Malgré d'importantes baisses de prix à la fin 1991, de nombreux magasins ont souffert du manque de clients : les gens ayant un faible revenu font leurs achats auprès des vendeurs à la sauvette.
Parallèlement, le gouvernement fait tout pour encourager l'enrichissement de ses électeurs réels ou potentiels. La privatisation a été très sévèrement critiquée, mais elle se poursuit à un rythme bien plus rapide que dans les autres pays de la région. Le dédommagement des anciens propriétaires de biens nationalisés va bientôt commencer : environ 355 000 personnes ont déposé des réclamations. Le budget 1992 prévoit 1,6 milliard de forints de dédommagements, contre 1,2 milliard seulement pour l'assurance-chômage.
Pour répondre à la politique du gouvernement, les principales fédérations syndicales ont appelé à un débrayage d'avertissement de deux heures, le 17 décembre 1991. Il s'agissait, à la fois, d'une réaction des dirigeants syndicaux à la pression croissante de leur base et d'une réponse au gouvernement, qui a refusé de prendre sérieusement en compte la discussion des conventions collectives.
Riposte syndicale
Cette grève a aussi exprimé la reprise d'activité des principaux syndicats, longtemps paralysés par les attaques des lois antisyndicales de juillet 1991. L'Union nationale des syndicats (SZOSZ, ancien syndicat officiel renouvelé), forte de 1,2 million de membres, a tenu un congrès en novembre 1991 et Sandor Nagy a été réélu à la présidence avec 99 % des voix. Nagy avait été attaqué par le gouvernement et les médias libéraux en tant qu'ancien dirigeant de la jeunesse communiste dans les années 70, mais cette élection a beaucoup renforcé son autorité. Les métallurgistes, les travailleurs des transports et les mineurs, dont les syndicats sont affiliés au SZOSZ, ont été les fers de lance de la grève de décembre 1991.
Entre 200 et 250 000 travailleurs ont débrayé ce jour-là, et de 250 à 300 000 personnes ont participé à des rassemblements. Les retraités ont organisé leurs propres meetings de solidarité ; les tramways et les bus des villes portaient des banderoles rappelant le soutien des ouvriers des transports publics aux revendications des grévistes et au SZOSZ. Après la grève, Sandor Nagy a annoncé que si le gouvernement ne changeait pas d'attitude, le SZOSZ appelerait à une nouvelle grève nationale d'un jour ou deux, au début 1992.
Le syndicat des enseignants est l'un des plus actif. Durant l'automne 1991, il a organisé une conférence de 22 pays endettés contre les programmes d'éducation de la Banque mondiale (BM) : celle-ci avait proposé au gouvernement hongrois de faire des coupes sombres dans l'éducation et de privatiser certains secteurs du système scolaire. Comme l'a reconnu le ministre de l'éducation durant la conférence, la BM conseillait de geler les aides de l'État aux écoles maternelles ; de supprimer les cours de l'après-midi ; et de réduire le nombre d'enseignants.
Janvier 1992