C'est avec émotion que nous avons appris la mort de Petr Uhl à 80 ans le 1<sup>er</sup> décembre 2021, après une longue maladie. Comme les militants marxistes polonais Jacek Kuron et Karol Modzelewski au milieu des années 1960, Petr Uhl en Tchécoslovaquie avait incarné à nos yeux, au cœur du Printemps de Prague en 1968, l'expression vivante d'une critique radicale du règne du parti unique au nom des idéaux socialistes qu'il prétendait incarner.
Il fut un prisonnier politique de l'ancien régime, passant près de dix ans de sa vie en prison dans des conditions souvent dures, la première fois (dans le contexte de 1968) pour " complot trotskiste ». Petr Uhl ne cachait pas ses sympathies, mais il n'a pas été membre de la IVe Internationale - ce dont notre déléguée à son procès, en octobre 1979, devait témoigner (1). Il lui était en fait reproché d'avoir osé regrouper quelques dizaines de jeunes dans le contexte de l'émergence des " mouvements par en bas » qu'il évoque, stimulés par le " Printemps de Prague », puis d'être actif avec d'autres dans la Charte 77 et autres associations de défense des droits. Sans être lui-même membre du PCT, il était proche du père d'Anna èabatová (son épouse), Jaroslav èabata, un des animateurs de l'aile autogestionnaire du Parti communiste tchécoslovaque : ce courant soutint, à la fois contre l'aile conservatrice (Novotny) du régime et contre les réformateurs technocrates, les conseils ouvriers dans les entreprises qui se développèrent pendant l'intervention soviétique, jusqu'en 1969.
Petr Uhl était alors en prison. Et c'est là qu'il a côtoyé pendant plusieurs années l'écrivain Vaclav Havel qui devint son ami. C'est avec lui (et bien d'autres intellectuels) qu'il a formé en 1977 la Charte 77, puis le VONS (Comité de défense des personnes injustement poursuivies). Petr Uhl n'était pas (contrairement à beaucoup d'autres membres, comme Havel) un " dissident » anti-communiste. Par contre, il considérait comme essentielles les batailles démocratiques pour un socialisme digne de ce nom. Il s'est donc engagé dans la mise en place d'organismes et fronts pour le respect des droits, rassemblant des personnes d'horizons idéologiques divers que rapprochaient les luttes " contre » (la répression ou la censure) mais sans réel programme commun " pour » et définissant une autre société.
Un tout autre contexte s'ouvrit en 1989, lorsque, dans la foulée de la chute du Mur de Berlin, la " révolution de velours » de 1989 mit fin au règne du Parti communiste de Tchécoslovaquie et porta au pouvoir Vaclav Havel. Petr Uhl décida alors de s'inscrire, un temps, dans le pluralisme politique émergent en devenant député du Forum civique - renonçant, de ce point de vue, à un combat pour le socialisme. Mais il garda jusqu'à la fin de sa vie un attachement à l'internationalisme et une opposition résolue à l'OTAN, percevant la construction de l'Union européenne (UE) comme un contrepoids positif aux États-Unis. Insatisfait de la vie politique des partis (tout en se rapprochant des Verts), il se concentra sur deux facettes de ses activités : celle de journaliste (au Právo) et celle de défenseur des Droits humains.
Il se mobilisa notamment et concrètement pour les droits des Roms, affichant publiquement son refus de la citoyenneté Tchèque - après la division de la fédération qu'il déplorait, lorsque le régime tchèque fit bâtir un mur pour empêcher les Roms de Slovaquie d'entrer dans le nouveau pays indépendant. Mais il occupa aussi plusieurs fonctions officielles dans la défense des droits : de 1991 à 2001, il a en effet été expert auprès de la Commission des droits de l'homme des Nations unies et, de 1998 à 2001, commissaire aux droits de l'homme du gouvernement tchèque, présidant le Conseil gouvernemental pour les nationalités, le Conseil des droits de l'homme et la Commission interministérielle pour les affaires de la communauté rom.
De multiples façons, sa femme et ses enfants ont partagé cet engagement pour des droits universels : Anna èabatová fut comme lui membre de la Charte 1977 et assuma même la fonction de porte-parole. Elle devint médiatrice de la République de 2014 à 2020. Et Petr était particulièrement fier de l'exploit de sa fille, SaÃa Uhlová, " infiltrée » dans les entreprises de son pays pour en révéler les conditions inhumaines de travail, dans un reportage qui fut très popularisé - jusque dans Le Monde du 8 décembre 2017 dans un article intitulé " SaÃa Uhlová porte-voix des oubliés du miracle économique tchèque ». Petr Uhl fut jusqu'à la fin de sa vie un défenseur courageux de tous les " oubliés ». Il est donc resté à cet égard pleinement notre camarade.
Nos pensées émues et solidaires vont à sa femme et ses enfants.
Paris, 2 décembre 2021
* Catherine Samary et Hubert Krivine sont militants et dirigeants historiques de la Quatrième Internationale et de sa " commission Est ».