Au cours de l'année dernière, un million de personnes fuyant la faim et les bombes, notamment par la Méditerranée orientale et les Balkans, sont arrivées aux frontières de l'Europe. Il s'agit du plus gros afflux de réfugiés vers l'Europe depuis la Seconde Guerre mondiale et, à l'échelle mondiale, du plus grand nombre de migrants et de demandeurs d'asile depuis des décennies.
Les institutions politiques et médiatiques nous présentent cette crise des réfugiés comme une marée humaine surgie de nulle part. Une sorte de phénomène météorologique sans cause apparente, où les personnes en recherche d'asile sont qualifiées, soit de menace, soit de victimes, et face auxquelles il n'y aurait que deux réponses possibles : la fermeture des frontières ou l'aide d'urgence. Dans un cas comme dans l'autre, les réfugiés ne sont plus considérés comme des sujets, avec des droits, des aspirations et des revendications, mais comme de simples objets à gérer. Ce point de vue est non seulement réducteur, mais a aussi une fonction utilitaire, compte tenu de la façon dont les différents intervenants gèrent cette situation.
1. Une crise générale des droits
Sur le fond, contrairement au discours officiel, les flux migratoires actuels ne constituent pas uniquement une crise humanitaire, mais aussi et surtout une crise des droits en général, et par conséquent une crise politique. Une crise avec des causes et des responsabilités concrètes, qui s'inscrit dans d'autres plus profondes, qui façonnent un monde et un système capitaliste globalisé en crise. Une crise des droits qui de surcroît est triple :
1) elle intervient sur les violations systématiques des droits fondamentaux dans les pays d'origine, lesquels motivent l'émigration ;
2) le système d'accueil et du droit d'asile international, sujet à des coupes budgétaires et autres approches minimalistes, est lui aussi en crise ;
3) les politiques migratoires en général, de circulation et d'accueil, sont également en crise.
2. Terreur régionale et ingérences impérialistes
Au-delà des facteurs endogènes des conflits armés qui motivent les déplacements de population (dans le cas syrien, la répression génocidaire du régime d'Assad et le totalitarisme de Daesh), les interventions impérialistes tout comme les intérêts militaires et économiques de gouvernements étrangers, d'institutions internationales et d'entreprises multinationales ont aussi des responsabilités dans l'instabilité des pays d'origine des migrants. Le pillage des ressources, les intérêts géostratégiques ou les accords de libre-échange engendrent la faim, l'appauvrissement, les guerres et l'exode. Dans le cas de l'UE et de ses États membres, les conséquences de leurs ingérences externes prennent aujourd'hui la forme des demandeurs d'asile qui frappent à la porte. Erdogan en Turquie et Assad en Syrie utilisent les réfugiés comme monnaie d'échange et moyens de pression pour négocier au mieux de leurs intérêts. Pendant ce temps, les peuples se retrouvent pris au piège des conflits géopolitiques et des affrontements meurtriers entre élites mondiales et régionales.
3. L'insupportable irresponsabilité européenne
Cette même Union européenne, qui déploie avec une facilité déconcertante d'énormes plans de sauvetage en faveur des banques privées ou des mesures de rétorsion à l'encontre des gouvernements qui s'écartent de l'austérité néolibérale, répond à ce défi par des déclarations creuses, la passivité de ses institutions et le renforcement de l'Europe forteresse. Dans le même temps, les États européens se repassent la patate chaude et légifèrent contre les migrants et les réfugiés. Sur les 160 000 personnes qu'ils s'étaient engagés à accueillir d'ici 2017, à peine 400 ont été réinstallées dans les différents États membres de l'UE. Même s'il était atteint, ce chiffre reste dérisoire en regard des véritables besoins (un million d'arrivées en 2015 et des prévisions en hausse pour 2016), contrairement au Liban, à la Jordanie, l'Égypte et la Turquie, pays moins peuplés et avec moins de ressources économiques que l'UE, qui ont accueilli 4,5 millions de Syriens.
4. À bas l'Europe Forteresse et toute forme de xénophobie
La réponse européenne se concentre sur la construction de murs, sur l'accroissement de la répression policière, sur des déportations systématiques et l'emprisonnement des réfugiés dans des camps de rétention les privant des droits les plus élémentaires. Mesures qui, de plus, dégagent de juteux profits pour des sociétés privées qui ont trouvé dans la gestion des frontières un nouveau créneau. Le laminage des droits élémentaires, la stigmatisation croissante de toutes et tous les migrants (y compris en utilisant des discours féministes à cette fin) et la tentative de les diviser entre " réfugiés avec quelques droits » et " émigrés clandestins » est en soi une stratégie de xénophobie institutionnelle qui légitime et encourage l'expression de la haine raciale. Le racisme, le nationalisme identitaire et la fermeture des frontières sont de vieux fantasmes qui aujourd'hui frappent à nouveau aux portes de l'Europe. En tentant de contenir la montée de l'extrême droite et lui confisquer le monopole de la peur et de la haine, les partis et institutions du système appliquent les mêmes politiques répressives à travers toute l'Europe. Et, à l'instar des politiques soi-disant antiterroristes, la crise des réfugiés sert de prétexte pour laminer les droits et libertés de l'ensemble des travailleurs.
5. Réfugié ou migrant, aucun être humain n'est illégal
Les garanties des droits et les conventions internationales qui permettent à certains de ces migrants de demander et d'obtenir l'asile politique ne doivent pas être le seul argument avancé pour défendre leur venue, leur accueil et le respect de leurs droits. Les normes internationales, d'inspiration libérale, restreignent les possibilités de demande d'asile en excluant les motifs d'ordre social, économique ou climatique tout en limitant la liste des conflits politiques " officiellement reconnus ». La faim, la misère et la pénurie de ressources tuent tout autant sinon plus que les bombes. Les guerres économiques du capital internationalisé expulsent chaque année des millions de personnes de leur lieu d'origine. Les réfugié-e-s économiques ou climatiques doivent être considérés comme des catégories fragilisées, susceptibles de demander l'asile. Et, en tout état de cause, se déplacer est un droit, indépendamment des raisons politiques ou économiques qui le motivent.
6. Une réponse internationaliste
Aucune convention internationale contraignante, aucune responsabilité partagée ne pourra jamais remplacer le devoir internationaliste, la solidarité entre les peuples et la loyauté des classes populaires à l'égard de celles et ceux qui fuient les conséquences de la terreur, du changement climatique et du capitalisme mondialisé. La dignité et la vie du genre humain valent plus que des profits, des calculs électoraux ou des lois.
Pour ces raisons le Comité international de la IVe Internationale décide, dans sa réunion de février-mars 2016, d'entreprendre des actions et mobilisations, en soutenant la lutte et l'auto-organisation des refugiés et des migrants pour briser les frontières, et la mobilisation sociale solidaire avec les arrivants, en proposant de les inscrire dans une dynamique de lutte politique pour :
1) Dénoncer les causes des déplacements massifs de populations, en lançant des mobilisations et initiatives politiques de rue contre l'impérialisme et la guerre ;
2) Lancer et participer à toutes les mobilisations de solidarité et de construction d'alternatives politiques de combat contre les politiques d'immigration restrictives ;
3) Exiger plus de moyens pour l'accueil et non la répression, et en particulier les dispositifs de militarisation des frontières ;
4) Exiger la fin de tous les instruments de chasse aux immigrants, en particulier les systèmes tels que Sis, Crate, Rabit, Fast Track, Iconet, Vis, Eurodac et Eurosur ;
5) Exiger l'abrogation de Dublin III et une révision de la Convention de Genève pour la rendre plus adéquate aux temps nouveaux et aux circonstances présentes ;
6) Défendre l'abolition de Frontex et la création dâ¤un instrument de sauvetage et d'aide humanitaire ;
7) Défendre l'ouverture de couloirs spéciaux et l'émission de visas spéciaux d'entrée pour les réfugiés qui stationnent dans les hotspots aux frontières et dans les pays de transit ;
8) Défendre la création de mécanismes de coopération bilatérale entre États membres pour dépasser le blocage institutionnel de l'Union européenne dans l'accueil des migrants ;
9) Défendre la régularisation de touts les sans-papiers et abroger la directive sur le regroupement familial ;
10) Intégrer de manière transversale la lutte contre le racisme et les fascismes dans toutes les actions politiques ;
11) Assumer frontalement le combat politique, idéologique et culturel contre l'extrême droite. Affronter la montée de l'extrême droite avec un programme de contre-culture hégémonique contre le conservatisme et d'interventions interculturelles, en disputant l'occupation de l'espace public par la mise en place de campagnes et d'initiatives de mobilisation avec les victimes du racisme ;
12) Lutter pour le droit de vote des étrangers à toutes les élections pour faire de la citoyenneté une réalité, parce que la démocratie ne sera complète que lorsque toutes et tous y participeront, qu'ils représentent et sont représentés ;
13) Lutter pour le droit du sol, en abrogeant le droit du sang pour l'acquisition de la nationalité ;
14) Exiger la fin des expulsions et la fermeture des centres de rétention en Europe et à sa périphérie au nom du respect des droits humains et de la dignité humaine de ceux qui sont retenus du seul fait de leur condition de migrants ;
15) Lutter pour l'abrogation des directives Retour et Regroupement familial, par la modification des directives sur le travail et la " race » ;
16) Contribuer par le débat et la production de pensée critique à mettre au défi la société en général et les institutions universitaires en particulier de " décoloniser » la production de savoirs et de connaissances, en particulier par les études post-coloniales et décoloniales, et surtout d'approfondir l'étude et la réflexion sur les déclinaisons sémantiques des racismes, en particulier la phobie des Rroms, l'afrophobie et l'islamophobie ;
17) Exiger une révision des programmes et des manuels scolaires, reflétant et valorisant la diversité culturelle, promouvant l'interculturalité et ses nombreux apports dans les disciplines scolaires et universitaires ;
18) Et enfin, se mobiliser pour l'enseignement des langues d'origine comme un des instruments, non seulement de préservation linguistico-culturelle, mais aussi comme outil d'interaction et de socialisation des différences dans les communautés scolaires.
Ces mobilisations doivent donner un rôle central à l'auto-organisation des personnes migrant pour réclamer les droits, et être appuyées par une mobilisation sociale solidaire, tel qu'on l'a déjà vu dans nombreux pays d'Europe.
Pour les marchandises et les capitaux, les frontières tombent tandis que, pour les êtres humains, des murs s'élèvent, de plus en plus hauts. L'intégrisme du marché et le nationalisme xénophobe font alliance pour renforcer une Europe forteresse avec plein de frontières, véritable arme de destruction massive des droits et bouillon de culture de la haine raciale. Mais face à elle, la solidarité de celles et ceux d'en bas continue à tenir bon, démontrant une fois de plus que le peuple ne se sauvera que par lui-même et qu'une autre Europe est possible. ■
* Cette résolution a été adoptée à l'unanimité par le Comité international de la IVe Internationale le 2 mars 2016.