Extraits de " Impérialisme contemporain et mondialisation », solidaritéS n° 254 du 18 septembre 2014
On est passé de l'internationalisation à la mondialisation du capital, qui conduit à l'organisation de la production à cheval sur plusieurs pays. L'économie mondiale ne doit plus être perçue comme un face à face asymétrique entre pays impérialistes et pays dépendants, mais comme un tout intégrant des segments des économies nationales, sous l'égide des firmes multinationales qui la dominent.
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Vu que les cartes des États et des capitaux sont de plus en plus disjointes, il faut repenser les relations qu'ils entretiennent. Certes, les liens privilégiés entre une multinationale et " son » État de base n'ont pas disparu et celui-ci cherche à défendre les intérêts de ses industries nationales. La prise de distance vient plutôt du fait que les grandes entreprises ont le marché mondial comme horizon et que l'une des sources de leur rentabilité réside dans la possibilité d'organiser la production à l'échelle mondiale de manière à minimiser les coûts.
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La mondialisation conduit à un entrelacement de relations de pouvoir selon une double régulation contradictoire.
D'un côté, les États doivent combiner les intérêts divergents des capitaux tournés vers le marché mondial et ceux des entreprises produisant pour le marché intérieur en organisant la production en conséquence. D'où la distinction entre secteur " exposé » et secteur " abrité » qui revêt une importance croissante dans l'analyse des capitalismes nationaux.
De l'autre, ces mêmes États cherchent à garantir à la fois une régulation nationale cohérente et les conditions d'une insertion optimale dans une économie de plus en plus mondialisée. Dans ces conditions, les rapports entre États capitalistes s'articulent autour de deux objectifs contradictoires : chacun cherche à assurer son rang dans l'échelle des hégémonies, mais il lui faut aussi garantir les conditions de fonctionnement du capitalisme mondialisé.
Les institutions internationales comme l'OMC fonctionnent comme une sorte de " syndic d'États capitalistes » mettant en œuvre une totale liberté de circulation des capitaux. Mais si l'on prend les négociations en cours sur le traité transatlantique (Tafta), l'enjeu pour les USA est clairement de s'appuyer sur le " partenaire » européen pour réaffirmer leur hégémonie face à la Chine. Il n'existe ni " ultra-impérialisme » ni " gouvernement mondial », ce qui fait du capitalisme contemporain un système échappant à toute véritable régulation, qui fonctionne de manière chaotique, ballotté entre une concurrence exacerbée et la nécessité de reproduire un cadre de fonctionnement commun.
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Cet entrecroisement de relations de pouvoir ne permet pas un raisonnement en termes de successions de puissances dominantes, comme si la Chine devait mécaniquement prendre le relais des USA. Ces relations de pouvoir sont aujourd'hui structurées selon un axe " vertical » classique opposant les grandes puissances, et un axe " horizontal » correspondant à la concurrence entre capitaux. Si bien que l'économie mondiale ne peut plus être analysée selon le seul rapport hiérarchique opposant pays impérialistes et pays dominés. ■
* Extraits de l'article paru dans la revue Solidarités durant l'été 2014. http://www.solidarites.ch/journal/d/cahier/6559 Michel Husson est économiste, en charge de l'emploi à l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES). On peut consulter ses écrits sur http://hussonet.fr.