Élections volées

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Lors des élections du 5 mai dernier en Malaisie, le parti dominant est parvenu à conserver le pouvoir, mais difficilement, seulement grâce au système électoral truqué et à la fraude généralisée. Plus de 50 000 manifestants ont exprimé leur colère face aux résultats le mercredi 8 mai à Kuala Lumpur, sans se laisser décourager par la police qui avait déclaré la manifestation illégale.

Synthèse actualisée Inprecor

Ces élections sont les plus serrées de l'histoire de la Malaisie, où le bloc Barisan Nasional (1) a été au pouvoir sans interruption depuis l'indépendance de la Grande-Bretagne en 1957. Le BN a obtenu 47 % des votes contre 51 % à l'opposition, pourtant, en raison du découpage électoral qui bénéficie à ses bastions dans les secteurs ruraux d'ethnies malaises, le BN a gagné 133 des 222 sièges du Parlement, l'opposition 89 (2).

Le Parti socialiste malaisien (3) briguait quatre sièges en tant que membre d'une alliance électorale avec la coalition d'opposition Pakatan Rakyat (Pacte du Peuple). Le Docteur Jeyakumar Devaraj a gardé le siège de Sungai Siput. Cependant, d'autres partis d'opposition ont cassé l'accord et se sont présentés contre le PSM pour les trois autres sièges, divisant le vote et permettant au gouvernement de gagner deux sièges dans le scrutin majoritaire à un tour.

Sans parler des inégalités formelles dans le système électoral et de l'énorme parti pris des médias contrôlés par l'État, les fraudes étaient légion : intimidations, violences, achats de votes, " électeurs fantômes », encre indélébile défectueuse permettant le double vote, etc.

L'opposition conteste devant la justice 30 sièges perdus de peu, mais de tels cas aboutissent rarement contre le parti au pouvoir.

Fait révélateur, l'opposition a écrasé le BN dans les zones urbaines. Ce qui montre le ressentiment des Malaisiens face aux politiques de discrimination raciale et au favoritisme. La force du vote pour l'opposition dans les villes peut être attribuée en partie aux mobilisations de masse de Bersih (4) pour des élections libres et justes, et au rejet de la brutalité policière qui les a accompagnées. Les protestations de Bersih au cours des deux dernières années sont un signe du rejet croissant de la vénalité de l'élite malaise. Ces mobilisations ont suscité l'espoir de millions de personnes et contribué à la participation électorale record de 85 %. Ce qui montre la politisation intense et l'assurance des Malaisiens qu'une vraie transformation est possible, avec des électeurs se rassemblant au cri de ralliement de l'opposition " ubah » (changement).

Le chef d'opposition Anwar Ibrahim a acquis sa notoriété en critiquant la corruption dans l'ancien gouvernement du Premier ministre Mahathir Mohamad. Renvoyé en 1998, Anwar a été jugé d'une fausse accusation de sodomie et emprisonné pendant six années.

Il se voue maintenant à supprimer tous les vestiges de discrimination raciale et à promouvoir l'aide aux pauvres ainsi que l'éducation gratuite. Mais l'expérience de la participation de l'opposition dans des gouvernements nationaux prouve que, même s'ils sont moins corrompus, ces personnalités adhèrent au même consensus économique néolibéral que d'autres gouvernements.

Le dirigeant du BN, Najib Razak, a décrit les gains de l'opposition comme un tsunami chinois afin d'essayer de jouer sur les divisions raciales. Mais le vote contre le BN a concerné les ethnies des secteurs urbains, bien que des Malaisiens d'origine chinoise y soient fortement concentrés.

Les tensions raciales ont pesé lourd dans la politique malaise pendant des décennies. Des siècles de domination britannique ont laissé à la Malaisie indépendante un " héritage » de ségrégation raciale. Les Malaisiens d'origine chinoise étaient rejetés, en particulier au motif de leur surreprésentation dans les affaires.

Après les émeutes raciales sanglantes de mai 1969, une série des mesures de discrimination positive ont été adoptées dans le cadre de la nouvelle politique économique (NEP), ce qui a favorisé les personnes d'origine chinoise et les minorités indiennes dans l'accès à l'enseignement supérieur, à l'emploi gouvernemental et aux affaires. Des aspects du racisme officiel ont diminué, mais la discrimination continue.

Alors que la NEP était présentée comme une réponse au désavantage relatif de la majorité ethnique malaise, son effet au cours des années a été de cimenter une élite malaise avec accès préférentiel aux affaires et aux positions de gouvernement, générant un népotisme galopant.

Le parti du Premier ministre Najib Razak, l'Organisation nationale unie des Malais (UMNO) qui dirige la coalition BN, reste décidé à préserver les privilèges pour l'ethnie malaise dont les membres sont les premiers bénéficiaires des largesses du gouvernement.

L'universitaire Meredith Weiss, de New York, affirme dans le " Financial Times » : " L'inégalité intra-ethnique est extrêmement forte. Une minorité a un accès disproportionné [aux privilèges économiques]. La tendance sous-jacente semble être que des intérêts sont maintenant définis par la classe socio-économique plutôt que l'appartenance ethnique. »

De nombreux opposants au gouvernement rejettent l'instrumentalisation de la division raciale. " Nous ne sommes pas chinois, nous sommes Malaisiens », disait une pancarte lors de la manifestation contre le résultat électoral, en réponse aux commentaires antichinois de Najib.

C'est le mouvement dans la rue qui détient maintenant la clé pour continuer la lutte pour des droits démocratiques en Malaisie. ■

* Lachlan Marshall est militant de l'organisation socialiste Solidarity d'Australie. Cet article a d'abord été publié par Solidarity-on line : http://www.solidarity.net.au

notes
1. Barisan Nasional (BN, Front National) est le parti de droite dominant, composé de plusieurs partis ethniques qui continuent à exister en son sein : l'UMNO (Organisation nationale unie des Malais) de l'actuel Premier ministre Najib Razak, l'Organisation malaisienne des Chinois (MCA) et le Congrès Indien malaisien (MIC) et de dix autres partis régionaux. Il a succédé à l'Alliance (Perikatan). Il dirige la Malaisie depuis l'indépendance du pays.

2. La coalition d'opposition Pakatan Rakyat (Pacte du Peuple) a été formée par trois partis : le Parti de la justice populaire (PKR, un parti centriste), le Parti d'action démocratique (DAP, un parti social-démocrate) et le Parti pan-islamique malaisien (PAS). Les partis de Pakatan Rakyat dirigent trois des treize États formant la Malaisie : Kelantan (gouverné par un membre du PAS), Penang (DAP) et Selangor (PKR).

3. Le Parti socialiste de Malaisie (PSM, Parti Socialist Malaysia) est un parti anticapitaliste. Il a été fondé en 1998 par diverses organisations militantes ouvrières et paysannes de base, qui ont constitué une alliance à partir de 1991 et ont été capables d'organiser la première manifestation ouvrière massive à Kuala Lumpur en 1994. Le PSM n'a obtenu son enregistrement comme parti qu'en 2008, suite à la décision de la Cour fédérale (la plus haute instance judiciaire), le gouvernement fédéral s'y étant opposé au nom de la " sécurité nationale ». Il ne fait pas partie de Pakatan Rakyat, qu'il considère comme étant dominé par des partis islamiques et nationalistes, mais s'allie à lui dans les combats démocratiques contre le parti dominant et corrompu. Son unique député fédéral, Michael Jeyakumar Devaraj, a été élu sous l'étiquette du PKR dans l'État de Perak en 2008 et réélu en mai 2013

4. Bersih (littéralement : Propre) est le nom abrégé de la Coalition pour des élections propres et équitables, formée par des organisations non gouvernementales et soutenu par les partis politiques d'opposition. Depuis 2007, Bersih a organisé plusieurs grandes manifestations contre la fraude électorale et pour exiger un système électoral démocratique. Lors de la troisième journée de manifestations, en avril 2012, on comptait plus de 300 000 manifestants à Kuala Lumpur et des manifestations ont eu lieu dans de nombreuses autres villes en même temps.

traducteur
Laurent B

 

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