Il n'avait pas un travail facile. C'est que les auteurs, traducteurs, rédacteurs — moi le premier — continuaient à faire des fautes. Il était donc aussi l'enseignant, cherchant les formulations mnémotechniques pour celui à qui il s'adressait, toujours avec beaucoup d'humour. Ainsi, renvoyant un article corrigé, il s'adressait au gourmand : " Il y a une coquille qui revient assez souvent dans tes traductions : traiter les participes après le verbe "avoir" comme s'ils étaient après "être". Or ceux d'après "avoir" ne sont jamais au pluriel... : "ils ont mangé", mais s'il s'agit d'un acte anthropophagique : "ils sont mangés". Bon appétit ! »
Au début, il a acquis un fax pour recevoir et renvoyer les articles. Puis le courrier électronique s'est généralisé et il a appris à se servir de l'ordinateur et à faire des mails, car il considérait que c'était important. Non sans difficultés : " Figure toi qu'après avoir corrigé les 2 articles et les avoir enregistrés j'ai fermé mon ordinateur. Quand je m'y suis remis pour te les envoyer, les deux avaient disparu : ne restaient que les non corrigés... Que s'est-il passé ? J'ai dû faire une connerie mais laquelle ? Je viens de tout me retaper. »
Son rôle ne se limitait pas à la correction. Il avait remarqué qu'il manquait des notes de lecture et a remis en marche la rubrique livres. Il tenait aussi à ce que le journal publie des articles historiques — il en a rédigé un bon nombre qui continuent à être repris : ainsi son article de 2009 sur l'insurrection du ghetto de Varsovie vient d'être republié en Suisse… Il m'écrivait : " Je suis plongé dans la période du Pacte germano-soviétique et tiens à rédiger quelque chose de pédagogique pour la jeune génération... »
Durant des années, il a suivi l'évolution du Vietnam pour Inprecor. Il suivait également les publications en russe et ne manquait pas de traduire un article s'il le jugeait sortant de l'ordinaire : c'est par exemple à son initiative qu'Inprecor publia en 2000 un article russe de la revue du FSB (ex-KGB, ex-NKVD) sur l'opération conclue par l'assassinat de Trotsky — à la fois un témoignage sur les archives du NKVD et sur l'état de l'historiographie russe, plus que jamais empêtrée dans les fabrications opérées dans le pays du grand mensonge —, ainsi qu'une interview de Luis Mercader, le frère de l'assassin, publié en 1990 par le quotidien des syndicats soviétiques officiels.
Il revenait régulièrement à la charge pour que nos articles — souvent écrits pour d'autres lecteurs, dans d'autres pays, traduits plus ou moins bien, donc plus ou moins compréhensibles — soient à portée des lectrices et lecteurs : " Être "pédago" lorsqu'on écrit ou lorsqu'on parle a toujours été mon idée fixe », expliquait-il. " J'ai toujours été persuadé qu'un journal ou une revue ou une brochure de chez nous devait pouvoir être lu par tout le monde. » Ou encore, à propos d'un autre article : " A-t-il vraiment été écrit pour Inprecor ou pour une revue scientifique ? C'est comme si je t'envoyais un papier chirurgical écrit pour mes collègues. La plupart des lecteurs n'y pigeraient rien (…) Son auteur devrait le "mandeliser" (1) quelque peu, c'est-à-dire vouloir être compris par un non-spécialiste. »
Nous passions ainsi des heures à chercher comment rendre plus clair ce qui ne lui semblait pas assez explicite. Jean-Michel ne corrigeait pas seulement le français mais aussi la lisibilité des articles…
Depuis deux ans, il ne parvenait plus à tout faire. Mais il tenait à continuer et s'inquiétait lorsque — parce que j'accumulais du retard dans la publication — il ne recevait plus d'articles à corriger : " Tu ne m'envoies plus rien à corriger. Que se passe-t-il ? Ça va mieux, tu peux me renvoyer des articles ». Il avait encore corrigé tous les articles d'Inprecor paru le jour de sa mort…
Pédagogique, modeste alors qu'il était si cultivé, plein d'humour — travailler avec lui était un véritable plaisir. Et c'est largement grâce à lui que la revue de la IVe Internationale continue d'être appréciée.
En 2009, Jean-Michel avait écrit un article sur son ami et camarade décédé, Hoang Khoa Khoi, dit " Robert » dans nos rangs. Il concluait en reprenant ces mots de l'hommage que " Robert » avait fait à un autre vieux trotskiste vietnamien, Dang Van Long. Je crois que je ne peux mieux exprimer mes sentiments : " En ce jour de deuil et de tristesse, si je rappelle ces quelques souvenirs, c'est pour te dire combien ton amitié m'est chère. Ta disparition est une grande perte pour nous tous. Nous avons perdu un camarade, un ami, un grand frère. Nous avons perdu un être exceptionnel dont les qualités nous serviront pour longtemps d'exemple. » ■