La Cour suprême des États-Unis a fini par accepter l'Affordable Care Act (ACA), la loi votée à l'initiative d'Obama en mars 2010 qui permet de garantir une couverture santé à 32 millions d'Américains qui en sont dépourvus. Celle-ci reste néanmoins insuffisante car elle n'inclut pas, notamment, de régime public universel ni même d'assurance publique, et laisse 23 millions de personnes sans aucune couverture maladie.
La Cour a établi que le gouvernement fédéral ne pouvait pas refuser d'allouer à un État le budget Medicaid en raison du son refus de payer l'élargissement du programme. Ceci signifie que le gouverneur d'un État court maintenant moins de risque quand il refuse d'utiliser les crédits de l'administration fédérale pour protéger les personnes dont les revenus se situent entre 100 % et 133 % du seuil de pauvreté, tandis que les crédits de l'administration fédérale continuent d'arriver pour ceux dont les revenus sont inférieurs à 100 % de ce seuil.
Synthèse actualisée Inprecor
Les gouverneurs conservateurs sont maintenant en première ligne dans l'attaque contre l'extension de la prise en charge publique des soins de santé.
Ce qui est préoccupant avec Medicaid ce n'est pas seulement l'explosion d'un mauvais procès au sujet des droits des États. Derrière ce débat se cache un programme national de privatisation de parts encore plus grandes du système américain de soins médicaux. L'extension de Medicaid créée par l'ACA fait obstacle à ce programme. La loi ACA élargit de deux manières l'accès aux systèmes d'assurance d'État : elle abaisse le seuil d'éligibilité à Medicaid en étendant son attribution aux personnes dont les revenus s'étagent de 100 à 133 % du seuil de pauvreté et en rendant Medicaid accessible à tous les revenus en dessous du seuil de pauvreté que les États excluent de toute protection sociale.
Grâce à ces deux mesures, ce sont maintenant 16 millions de personnes sans assurance vivant en dessous de 133 % du seuil de pauvreté qui s'ajoutent aux programmes d'assurance santé du gouvernement.
Le plan des artisans de la privatisation
Au niveau fédéral, les efforts de l'aile droite ont été contrariés par la décision de la Cour d'autoriser des " mandats individuels » d'achat d'une assurance santé. Par exemple, les assureurs et les courtiers qui s'adressent aux personnes entre 133 % et 400 % du seuil de pauvreté doivent suivre les règles applicables aux échanges d'assurance qui seront mises en place pour créer des marchés d'assurance étroitement contrôlés, ce que les tenants de la privatisation détestent particulièrement.
Mais comme un nombre important de citoyens considère la contribution individuelle comme une atteinte à leur liberté, l'opposition au paiement des soins de santé par l'État rejoint l'opposition à la réglementation des assurances privées par l'État. Ce front de la libre entreprise espère faire disparaître l'ACA par une opposition grandissante à l'extension de l'assurance d'État (Medicaid) mise en place par l'ACA et à la réglementation de l'assurance privée.
L'objectif de ce front agressif est de remplacer l'ACA par un plan de libre entreprise. Il vise à élargir son audience en proclamant que ce plan aurait pour effet de stopper la progression exponentielle des coûts du système étatsunien actuel de soins de santé, tout en facilitant parallèlement l'accès aux soins. La réduction des dépenses de santé est cependant le principe de base des plans que les partisans de la privatisation ont dévoilés.
Paul Ryan, élu à la Chambre des représentants et candidat à la vice-présidence, a proposé de remplacer Medicare (3) par un système d'allocation. Une somme fixe serait allouée à toute personne adulte par le gouvernement pour son adhésion à un système d'assurance privée. La contribution fédérale à un fond Medicaid d'État serait un crédit forfaitaire laissant à chaque État la liberté de décider de l'usage qu'il en ferait. Enfin les employeurs bénéficieraient de réductions de taxes en fonction de leur contribution à l'assurance santé des employés.
Un plan encore plus ambitieux, expliqué dans un résumé approbateur par David Brooks, journaliste au New York Times, propose d'utiliser des crédits d'impôts pour rembourser le coût d'une assurance privée (seuls les riches bénéficieraient de ces crédits). Les employeurs pourraient alléger leurs charges d'assurance santé en allouant uniquement ces crédits à leurs employés. Les bénéficiaires de Medicare et Medicaid utiliseraient également ces crédits.
En cas de menace d'inflation des dépenses de santé, le remède ne serait pas d'augmenter les sources financières pour les soins de santé, mais de diminuer les crédits d'impôts, ce qui aurait pour effet de réduire la demande. Tandis que les plus nantis pourraient utiliser leurs propres ressources pour renforcer leur assurance, les moins aisés risqueraient d'être privés de soins appropriés. Il est largement prévisible qu'une telle situation raviverait les luttes autour de l'assurance santé.
Changements de droite à gauche
Le projet ACA de Barack Obama est largement éclectique, il propose différents programmes pour différents secteurs de la population. Le modèle d'assurance d'État s'applique aux personnes en dessous ou juste au-dessus du seuil de pauvreté (jusqu'à 133 %), tandis qu'un modèle bénéficiant de subventions fédérales s'applique à la classe moyenne inférieure (ayant des revenus entre 133 et 400 % du seuil de pauvreté).
Le résultat de l'extension de l'assurance santé, entre plus de privatisation et financement public renforcé, dépend de l'issue de la lutte politique en cours. La loi s'applique dans deux directions contradictoires.
Les subventions basées sur une échelle mobile des revenus facilitent les cotisations d'assurance santé. Ces modalités d'assurance orientent les plus bas revenus vers l'assurance privée.
Obama a tenté sans y parvenir, d'insérer une " option publique » parallèlement aux systèmes d'assurance privée, mais cette tentative n'a pas survécu à l'opposition de ceux dont le seul objectif est la privatisation. Par une ironie de l'histoire, une disposition de ce qui dans l'ACA, s'applique à un segment spécifique de la population, est devenue le modèle contradictoire de la droite pour tout le système d'assurance santé !
Dans le même temps, à gauche, certaines critiques voient les financements de l'assurance d'État comme un mécanisme de mise en place de systèmes intégralement pris en charge par l'État.
Dès lors que chaque État est libre de ses décisions en ce qui concerne son budget, le Vermont demande, et pourrait très bien obtenir, le droit d'inclure ce financement dans son budget, avec prise d'effet en 2017. Avec moins de charges indirectes, un système public pourrait sortir vainqueur d'une compétition avec les systèmes privés. Si cela se produisait dans un nombre suffisant d'États, ceux-ci pourraient intégrer leurs plans dans un système national de payeur unique, comme cela s'est produit au Canada au début des années 1970.
D'autre part, comme le fait remarquer un éditorial du New York Times du 29 juillet 2012, " Le Bureau du budget du Congrès (Congressional Budget Office, CBO) a prédit que les États dans lesquels le taux de pauvreté est élevé, renforceraient leurs programmes Medicaid […] Le Bureau du budget prévoit qu'en 2022, seulement deux-tiers de ceux qui seraient alors éligibles à Medicaid, si tous les États atteignaient les niveaux recherchés par la réforme, obtiendront effectivement cette éligibilité ».
Selon les estimations du CBO, cette situation laisserait trois millions de personnes sans assurance en 2022. Une étude menée par les chercheurs de l'École de Santé Publique de Harvard (Harvard Public Health School) a comparé les États qui ont précédemment étendu la couverture des personnes sans enfants ou handicapées, avec les États voisins qui ne l'ont pas fait et a révélé une baisse significative des taux de mortalité et " une réduction de l'ordre de 21 % des retards de soins du fait de leur coût ».
Spirale des dépenses : à qui la faute ?
Une des raisons majeures invoquées pour déplorer la privatisation de l'assurance santé est que les assureurs privés augmentent le tarif des primes à des niveaux injustifiables, privant ainsi la société de fonds nécessaires à la couverture d'autres besoins tels que l'éducation ou le logement. Le problème est cependant beaucoup plus large.
Examinons les interactions entre les assureurs et les médecins, les hôpitaux, les gestionnaires, les laboratoires pharmaceutiques et les fabricants de matériel médical. Les assureurs en même temps qu'ils sont les sources de profits considérables pour ces fournisseurs, augmentent leurs propres primes (pour attirer les investisseurs sur les marchés financiers). Ainsi le marché de l'assurance " fonctionne-t-il » par encouragement mutuel à la hausse des tarifs des fournisseurs et des primes d'assurance.
L'ACA établit une valeur minimale du ratio entre les frais de santé et les primes d'assurance. Mais cette limite n'entrave pas la progression des tarifs. Si une hausse des primes menace d'abaisser le ratio en dessous de la limite, les fournisseurs augmentent les coûts des soins, non pas pour éviter le franchissement de la limite, mais tout simplement pour plus de profit.
De même, lorsque les tarifs des fournisseurs augmentent, les assureurs augmentent leurs primes de sorte à s'aligner sur la hausse des fournitures. Au mieux, la limitation garantie par le ratio coûts/prime peut seulement ralentir l'inflation du coût de la santé.
Le contraste avec un système de payeur unique, est frappant. Le payeur unique ne serait pas un assureur tenu de dégager des excédents d'exploitation qui aurait donc naturellement tendance à augmenter le tarif des primes. Les fournisseurs, même si leurs motivations sont purement financières, seraient sans partenaire pour jouer le jeu de la tendance mutuelle à l'inflation.
On peut poser la question de la pertinence du maintien dans l'ACA de ce qui relève des domaines publics. En effet, que signifie être patient dans un système public d'assurance santé ? Celui-ci pourrait être soigné par des médecins appartenant à un groupe médical privé, dans une chambre d'hôpital privé, recevoir des factures via un groupe de direction de Medicare sous gestion publique pour des médicaments fournis par une multinationale de l'industrie pharmaceutique et subir la pose d'une prothèse de rotule fabriquée par une société du groupe Johnson & Johnson.
La lutte continue
Que pouvons-nous faire qui justifie le maintien des secteurs publics dans l'ACA ? C'est uniquement le fait que, dans un certain sens, Medicare et Medicaid posent les limites du profit. La foule des acteurs privés compromet même ces limites.
Tout ceci est vrai, mais la faiblesse des limites de la privatisation posées par l'ACA doit être une incitation à résister et d'en étendre l'application aussi loin que possible.
Face aux assauts de la droite, je pense qu'il est important d'apporter un soutien critique à l'ACA. Renoncer à combattre contre la privatisation de Medicare et Medicaid défendue par la droite ne peut mener qu'à un accroissement de la population qui est privée de soins. Il n'y a aucune vertu dans le fait de permettre un désastre au seul motif de prouver que nous avions raison de le prédire. Si en 2013, le projet ACA est rejeté par le Congrès, les articles qu'il contient sur la protection contre la privatisation disparaîtront avec lui.
Quand le Congrès a débattu de l'ACA, le projet avait besoin de garanties de nouveaux revenus pour payer les cotisations d'assurance d'un plus grand nombre de personnes. Il contenait donc des taxes sur les hôpitaux, les laboratoires pharmaceutiques et les fabricants de matériel médical, sachant que le chiffre d'affaires de chacun d'entre eux augmenterait parallèlement à la demande de 32 millions de personnes antérieurement non assurées qui bénéficieraient d'une assurance gratuite ou subventionnée.
L'avant-projet de loi prévoyait d'imposer une taxe de 4 % sur les ventes aux fabricants de matériel médical. Leur refus a ramené ce taux à 2,3 % dans la version finale. Ils veulent maintenant renégocier cet accord, prétendant fallacieusement qu'une taxe entraînerait la délocalisation de la fabrication et donc un ralentissement de l'innovation.
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En réalité, l'ACA stipule que ces produits fabriqués à l'étranger et vendus aux États-Unis seront assujettis à cette taxe alors que les produits fabriqués localement et exportés en seront exemptés. De plus, une augmentation du nombre d'assurés verra une augmentation parallèle du budget disponible pour l'innovation.
Dans la pratique il est actuellement nécessaire de contrecarrer les efforts visant à asservir la totalité du système à la recherche du profit. Si les efforts visant à privatiser l'intégralité du système devaient aboutir, la lutte pour la création d'un système à payeur unique serait encore bien plus difficile. La bataille pour amener les sociétés privées, tels que les fabricants de matériel, qui profitent du système d'assurance santé, à faciliter cette solution, est encore un autre exemple de bataille à venir. ■
* Milton Fisk, professeur émérite de philosophie de l'Université d'Indiana, est militant de l'organisation socialiste Solidarity. Il est un des animateurs du mouvement Jobs with Justice (Emploi et Justice) et des mouvements Hoosiers for a Commonsense Health Plan (HCHP, Citoyens d'Indiana pour un plan de santé de bon sens) et Healthcare-NOW ! (Soins de santé, maintenant !). Cet article a été publie dans la revue de Solidarity, Against the Current n° 160 de septembre-octobre 2012 (Traduit de l'anglais par Antoine Dequidt).
2. Medicaid est un programme créé en 1965 aux États-Unis dans le but de fournir une assurance maladie aux personnes à faible niveau de ressources, géré par les États conjointement avec le gouvernement fédéral. Chaque État gère son propre programme Medicaid (qui peut porter un nom spécifique) et, selon les États, l'accès des personnes à ses programmes peut différer et peuvent aussi être gérés par des organismes privés. C'est pourquoi des mouvements, tels le HCHP et Healthcare-NOW !, luttent pour un régime de santé public et universel.
3. Medicare est le système d'assurance santé géré par le gouvernement des États-Unis au bénéfice des personnes de plus de 65 ans, financé par une taxe de 2,9 % du salaire (la moitié à la charge du salarié et la moitié à la charge de l'employeur) ou de 2,9 % du revenu pour les travailleurs indépendants. Ce système a été mis en place en 1965. Pour en bénéficier il faut avoir cotisé au moins durant dix ans et habiter en permanence aux États-Unis.