Pendant la Guerre mondiale, avec son ami d'études Claude Bernard (connu dans le mouvement trotskiste sous le pseudonyme de Raoul), il devint membre du CCI (Comité communiste internationaliste). Avec lui il recruta un petit noyau d'étudiants vietnamiens, puis il réussit à entrer en contact avec ses compatriotes travailleurs internés dans les camps où, ayant été recrutés de force au Vietnam pour venir remplacer les ouvriers mobilisés en France, la défaite les y avait fait jeter, dans des conditions de survie de bagnards. Tri écrivit un rapport sur leur situation, qu'il envoya à la Croix-Rouge à Genève. Mais il réussit en même temps à lier des contacts dans ces camps et à y faire entrer une propagande anticolonialiste trotskiste qui gagna un grand nombre de prisonniers, en un temps où le Parti communiste, selon sa politique d'union sacrée patriotique, se limitait à l'antifascisme.
Ce travail politique lui permit de former, après la Libération, un groupe trotskiste vietnamien important et solide qui apporta un soutien critique à la longue guerre contre la France, puis contre les États-Unis. En 1947, avec Marguerite Bonnet, sous les pseudonyme de Ahn-Van et Jacqueline Roussel, ils publièrent Mouvements nationaux et lutte de classes au Viet-Nam, aux éditions de la IVe Internationale, petit livre qui mériterait réédition. Le groupe s'exprima en particulier par un journal, La Lutte (Tranh Dau), qui avait une version en France, une au Vietnam, et dont la diffusion fut profonde. Mais le groupe de France survécut mal à la fin de la guerre, la victoire du Viet-minh cachant la nature stalinienne du nouveau régime. La tentative de retour au pays se solda par la répression de tous ceux qui ne purent cacher leur trotskisme. Tri et ceux qui restèrent en France ne trouvèrent que tard un écho à la dénonciation de la bureaucratisation du Parti communiste vietnamien et à la dégénérescence que nous connaissons.
Bien qu'il eût souffert du racisme français, Tri aima la France pour ses grandes traditions révolutionnaires et sa haute culture, au point d'appartenir à une société de défense de la langue française et de la francophonie. À aucun moment il ne cessa la lutte pour la liberté de son pays, et réussit à faire passer au Vietnam des publications qui eurent un écho certain, quoique limité. Il écrivait encore des textes de combat et d'histoire voici peu d'années, et il doit laisser de nombreux écrits inédits, dont il faisait part, au fur et à mesure de leur rédaction, à l'auteur de ces lignes, son ami depuis les premiers mois de 1944. ■
Michel Lequenne