Que sait-on de la situation dans la centrale ?
Progressivement, on en a appris de plus en plus sur la gravité de la situation. Un certain nombre de choses dont beaucoup se doutaient dès le début se sont confirmées. Contrairement à ce qui avait été dit, ce n'est pas seulement le tsunami qui est responsable de l'accident. Le tremblement de terre avait déjà fortement fragilisé l'installation. Et alors que Tepco et le gouvernement japonais nous répétaient jusque récemment que le tsunami du 11 mars avait dépassé toutes leurs hypothèses, on apprend maintenant qu'une étude de Tepco de 2008 avait prévu la possibilité d'un tsunami de plus de 10 mètres contre lequel les protections (prévues pour résister à un tsunami de 5,7 mètres) de la centrale ne suffiraient pas. Ce n'est pourtant que le 7 mars 2011 que Tepco en a fait part aux autorités japonaises.
Le combustible nucléaire de trois réacteurs de la centrale a fondu en détériorant la cuve et l'enceinte de confinement ; probablement qu'une partie du corium (mélange fondu du combustible nucléaire, des barres de contrôle qui servent à stopper la réaction de fission nucléaire et de " l'emballage » de ce combustible) s'en est échappé. Jusqu'où et en quelle quantité, personne n'en sait rien. Ce n'est pas avant plusieurs années qu'on pourra le voir de près.
Les bâtiments de trois des quatre réacteurs ont été en partie détruits par des explosions ; y compris le bâtiment du réacteur 4 qui était pourtant à l'arrêt depuis plusieurs mois (preuve flagrante comme quoi un réacteur nucléaire, même à l'arrêt, demeure très dangereux) en dégageant d'énormes quantités de matières radioactives. En effet, même si le réacteur 4 était à l'arrêt et vidé de son combustible nucléaire, il y a dans le même bâtiment (comme d'ailleurs dans celui des autres réacteurs) une piscine — ; beaucoup moins bien protégée que le réacteur lui-même — ; qui contient d'énormes quantité de combustible usagé qui doit continuer à être refroidi pendant des années. Cette piscine, qui contient en réalité près de trois fois la quantité normale de combustible qu'on retrouve dans un réacteur en fonctionnement, a été fortement endommagée par le tremblement de terre et le tsunami. Même après les travaux de consolidation qui ont été effectués, une forte réplique du tremblement de terre pourrait la détruire avec des conséquences qui dépasseraient de loin la gravité de l'accident de Tchernobyl…
Ces réacteurs continuent à relâcher des matières radioactives dans l'air et dans l'eau utilisée pour les refroidir. Cette eau fuit et va s'accumuler dans les caves. Chaque heure, un peu plus de 14 mâ d'eau sont injectés dans les réacteurs pour les refroidir. Il y a actuellement 113 000 mâ d'eau contaminée (à peu près l'équivalent de 50 piscines olympiques…) dont 91 000 mâ dans les caves qui menacent toujours de déborder. Des installations de fortune ont été installées pour essayer de décontaminer cette eau mais peinent à le faire assez rapidement pour décontaminer plus que ce qui est injecté en permanence dans les réacteurs.
Une gigantesque bâche est en construction pour recouvrir le réacteur 1 afin de diminuer les dégagements de matières radioactives dans l'air. Pour les autres réacteurs, le projet n'en est encore qu'au stade de l'étude.
On a récemment mesuré sur le site, en dehors des réacteurs, 10 Sv/h (1) de radioactivité à proximité d'un tuyau où se sont accumulées des matières radioactives. Une dose qui entraîne des conséquences graves après une dizaine de minutes d'exposition et après moins d'une heure, une mort certaine. Cela montre dans quel risque permanent se trouvent les travailleurs qui essaient d'améliorer la situation de la centrale.
Tepco et les autorités japonaises ont eux-mêmes admis il y a peu qu'il ne serait pas possible de commencer à extraire le combustible fondu des réacteurs — première étape du démantèlement — ; avant 10 ans. Et cela seulement si d'ici-là la technologie a suffisamment évolué. À titre de comparaison, dans l'accident de Three Miles Island de 1979, où seulement 45 % du cœur d'un seul réacteur avait fondu, sans percer la cuve du réacteur et l'enceinte de confinement — des dommages bien moins importants qu'à Fukushima — il avait fallu 6 ans avant qu'on ne puisse commencer à extraire le combustible. Une opération qui a duré plus de 4 ans. Aujourd'hui, après plus de 30 ans, cette centrale n'est toujours pas complètement démantelée.
Radiations…
Au moins 80 000 personnes habitant dans la zone interdite de 20 km autour de la centrale ont été évacuées. Difficile d'avoir des chiffres exacts… On a entendu des chiffres allant jusqu'à 200 000 mais il semblerait que le chiffre de 80 000 corresponde au nombre de personnes dont l'évacuation a été rendue obligatoire. En effet, au-delà de ces 20 km, il a seulement été conseillé aux personnes qui habitent jusqu'à 30 km de la centrale et dans certaines zones au-delà, officiellement observées comme fortement contaminées, de partir ou, au minimum, de rester confinées chez elles — ; depuis 6 mois…
Il est difficile de savoir quel peut être l'effet des radiations à " faibles doses ». Aucune étude épidémiologique ne permet d'en connaître exactement les effets. Ce qu'on sait, c'est qu'à partir d'une dose de 100 mSv (millisieverts) pour un adulte, le risque de cancer augmente d'au moins 0,5 %. Le principe de précaution voudrait qu'on considère que la relation est linéaire en dessous et que donc, par exemple, une exposition à 20 mSv donnerait une augmentation de risque de cancer de 0,1 %. Étant donné ce principe de précaution, dans la plupart des pays du monde, la norme de radioactivité d'origine non-naturelle considérée comme acceptable est d'1 mSv/an (ou 20 mSv/an pour les travailleurs du nucléaire). Au Japon, suite à l'accident de Fukushima, pour éviter de devoir légalement évacuer " trop » de monde, la norme a été augmentée à 20 mSv/an et il a été considéré acceptable pour les travailleurs du Fukushima de subir une dose de 250 mSv.
Or il est estimé qu'à certains endroits de la zone située entre 20 et 30 km — donc dont l'évacuation n'a pas été rendue obligatoire et où ceux qui sont partis se demandent si ils vont être indemnisés — la dose reçue en un an pourrait atteindre 230 mSv et au-delà des 30 km, 125 mSv. Ces radiations sont causées essentiellement par du césium-137 dont la radioactivité ne diminue de moitié qu'en 30 ans. Le problème n'est donc pas près d'être réglé !
Sur les 10 700 personnes qui ont travaillé à la centrale depuis l'accident, il est déjà prouvé — même si des tests en profondeur n'ont pas encore été effectués sur tous les travailleurs — ; qu'au moins 6 travailleurs ont reçu des doses supérieures à 250 mSv (jusqu'à 678 mSv, une dose qui provoque des symptômes immédiats) et au moins 103 ont reçu des doses supérieures à 100 mSv.
… et contamination radioactive
Le problème de la contamination est encore bien plus compliqué à estimer et à contrôler et pourrait être bien plus grave. La différence entre irradiation et contamination est que dans le premier cas on est exposé aux radiations de substances radioactives se trouvant à proximité, alors que dans le cas de la contamination, ces substances sont soit déposées sur la peau (dans ce cas, il " suffit » d'une douche pour s'en débarrasser), soit respirées, soit ingérées. Et dans ces deux derniers cas, des quantités qui peuvent être totalement bénignes dans le cas de l'irradiation peuvent devenir létales. L'exemple typique est l'iode radioactif qui se fixe dans la thyroïde (ce qui rend les enfants particulièrement vulnérables). Même si l'iode perd la moitié de sa radioactivité en 8 jours, il a pu provoquer des dégâts importants lors des premières semaines dont les conséquences ne seront visibles que dans plusieurs années…
Le césium radioactif peut, lui, se concentrer dans la chaîne alimentaire, en particulier dans le cas des poissons de l'Océan Pacifique qui a été fortement contaminé suite aux rejets d'eau radioactive principalement lors des premiers jours après l'accident. Cette pollution est maintenant complètement diluée dans l'océan mais pourrait rester présente dans les poissons pendant des années. Le même problème se pose pour tous les aliments produits dans la zone contaminée.
S'il n'est donc pas trop difficile d'estimer les doses de radiations externes reçues en mesurant le taux de radiation ambiant, il est très difficile d'estimer les conséquences de la contamination reçue en respirant les particules en suspension dans l'air, en buvant de l'eau contaminée ou en mangeant des aliments contaminés.
Rendez-vous en... 2041
Le 5 août, à la veille de la commémoration de l'explosion de la bombe d'Hiroshima, le journal Science annonçait qu'une étude épidémiologique allait être lancée sur les plus de 2 millions d'habitants de la préfecture de Fukushima pour étudier les effets des radiations à " faible dose ». Cette étude doit durer au moins 30 ans. Rendez-vous donc en 2041 pour enfin en savoir plus sur les effets réels de la catastrophe du 11 mars 2011. Peut-être qu'on pourra alors aussi savoir si il est possible ou pas de démanteler une centrale nucléaire après un accident de cette ampleur. Mais il est évident qu'on ne peut pas attendre jusqu'en 2041 pour abandonner la folie du nucléaire. Ce qui est certain, c'est que si nous ne sortons pas du nucléaire rapidement, d'autres accidents graves se produiront d'ici-là. ■
Le 7 Septembre 2011
* Martin Laurent est memebre de la direction de la Ligue communiste révolutionnaire (section belge de la IVe Internationale) et des Jeunes anticapitalistes (organisation de jeunesse en solidarité politique avec la LCR).