1. Un rôle particulier dans la lutte des classes
a) Des mobilisations massives et fréquentes
Les mouvements de la jeunesse grecque des années passées, la révolte des jeunes des banlieues en 2005 en France ou encore la mobilisation contre le Contrat Première embauche (CPE) rendent incontestable que la jeunesse joue un rôle particulier dans la lutte des classes à l'échelle internationale. Alors qu'elle ne possède pas vraiment les moyens de bloquer toute la machine économique, la jeunesse inquiète les classes dirigeantes, à l'image du vent de panique qui avait saisi les différents gouvernements après les émeutes en Grèce. La peur de la contagion à sa propre jeunesse avait contraint le gouvernement français à reporter la mise en place d'une réforme du lycée. Un couvre-feu avait même été mis en place en France pendant la révolte des jeunes des banlieues.
Qu'est-ce qui leur fait peur ?
C'est sans doute la fréquence et le caractère massif des mobilisations de la jeunesse. Ces dernières années, des mobilisations massives de jeunes ont eu lieu dans presque tous les pays et dans certains de manière très fréquente : les contre-sommets altermondialistes, les mobilisations contre la guerre en Irak, les luttes pour les droits démocratiques, les grèves contre les réformes de l'éducation et de l'université rien que l'an dernier en Italie, en Croatie, en France, dans l'Etat espagnol. On a même pu constater une certaine interaction de ces luttes à l'échelle internationale. La mobilisation en France contre le CPE avait donné confiance et a servi d'exemple à la jeunesse grecque qui l'année d'après a mené une grève d'ampleur dans les universités. L'an dernier, de nombreux jeunes européens se sont identifiés à la révolte de la jeunesse grecque.
C'est aussi la radicalité dont sont empreintes ces mobilisations qui leur donne un caractère particulier. Dans une société violente qui ne leur offre aucun avenir, les jeunes n'ont pas grand chose à perdre. Ainsi, ils n'hésitent pas à affronter l'Etat, la police, les institutions. L'envie d'en finir avec ce système se fait largement sentir dans ce secteur. Ainsi, les jeunes ont plus de facilité à s'identifier à l'anticapitalisme et à l'idée de la révolution.
Les mobilisations de jeunes rencontrent la plupart du temps une sympathie importante de la part des salariés et des populations, comme si cette jeunesse permettait d'exprimer tout haut ce que la majorité ne pouvait se permettre de dire. Ainsi, à de nombreuses occasions, les mobilisations de la jeunesse ont redonné confiance à notre camp social dans notre capacité à résister et dans certains cas d'autres secteurs salariés leur ont emboîté le pas.
Ces mobilisations se développent, bien sûr, en priorité dans la jeunesse scolarisée, dans les universités et dans les lycées, mais nous retrouvons aussi cette spontanéité, cette radicalité et cette plus forte envie de se battre chez les jeunes travailleurs. Dans les grèves de salariés de ces dernières années, ce sont souvent des jeunes salariés qu'on a retrouvé aux avant-postes.
b) Des caractéristiques propres à la jeunesse qui expliquent ces spécificités
La jeunesse est définie par deux principaux facteurs : une dépendance à un certain niveau de reproduction des institutions et une situation de transition dans la division sociale du travail. La jeunesse n'est pas un groupe social homogène. Elle contient différents secteurs avec des origines et/ou des orientations de classes différentes ou opposées. Ce qui inclut des conflits d'intérêts. C'est pour cela que les mouvements étudiants s'organisent souvent différement de ceux des travailleurs, avec plus de spontanéité et moins de cohérence (cf : les syndicats, les confédérations, etc.).
Cependant, même si la jeunesse est diverse, qu'elle n'est pas une couche sociale homogène, qu'elle vit des réalités différentes entre un étudiant, un jeune de banlieue au chômage, un jeune salariés précaire en Intérim…, il existe des caractéristiques communes à toute la jeunesse. Cette période de transition, d'indétermination des jeunes, un rapport particulier aux institutions : famille, école, armée, police, même dans l'entreprise. La jeunesse est encadrée, il y a volonté de la mâter, elle n'a pas la possibilité de faire ses propres choix, au sein de l'entreprise elle n'a pas le même statut que les autres salariés…
La jeunesse est caractérisée par une place particulière dans la division sociale du travail : soit elle n'est pas encore entrée dans l'appareil de production (la jeunesse scolarisée), soit elle y est intégrée depuis peu ou de manière irrégulière alternant petits boulots précaires, période de chômage, reprise de formation…. Elle subit donc moins les mécanismes de l'aliénation du travail. Pour ce qui concerne la jeunesse scolarisée, elle a plus de temps pour réfléchir au fonctionnement de cette société et se mobiliser est beaucoup plus facile puisque ça n'implique pas de perte de salaire ou de risque de se faire licencier.
La jeunesse est moins installée dans la vie et a donc beaucoup moins à perdre à un changement de société. Elle ne possède pas de maison, pas d'enfant, pas de voiture, même pas d'emploi stable. Cette plus grande envie de se battre lui vient aussi du fait qu'elle est moins démoralisée. Elle n'a pas subi toutes les séries de défaites de la classe ouvrière, le recul de nos droits et la dégradation des conditions de vie qui pèsent sur la capacité de mobilisation des salariés.
Enfin, un élément important est qu'il lui reste toute sa vie à construire dans cette société qui objectivement ne lui offre aucun avenir. C'est évident que l'envie d'en finir avec ce système est plus forte quand tu t'apprêtes à y passer 60 ans que lorsque ta vie est déjà derrière toi.
Un autre élément unifiant de la jeunesse est qu'elle pénètre, ou qu'elle est sur le point de pénétrer, dans la division sociale du travail sous des circonstances historiques et des relations entre les classes qui sont particullières et différentes de celle des générations passées. La jeunesse d'aujourd'hui est au premier plan durant une période de crise profonde du capitalisme qui détériore très sérieusement ses perspectives d'avenir. D'un autre côté, elle n'a pas vécu les défaites de la classe ouvrière à l'échelle internationale depuis la fin des années 80. Elle est ainsi apte à se radicaliser plus profondément dans les années qui viennent.
Il y a des contradictions dans de nombreux pays européens : par exemple, les jeunes sont suffisamment adultes pour travailler, pour produire (dans une situation plus précaire, bien sûr) à 16 ans, mais pas suffisamment mûrs pour voter, se marier ou faire des choix personnels de santé (avortement, opérations chirurgicales...). La jeunesse peut prendre des décisions (comme en tant que salarié) mais pas sur l'ensemble des questions. Cette contradiction l'amène à se sentir passive et subordonnée : on lui apprend, on la prépare, on l'aide, on la punit... et seulement sur quelques aspects les jeunes sont vus comme ayant les mêmes droits que les autres. Ce statut particulier est une des causes de leur révolte (même s'il existe des différences entre les étudiants, les précaires...).
C'est pourquoi, ils développent des attitudes communes, notamment une aspiration forte à l'autonomie et une volonté de révolte contre les institutions qui les encadrent, contre l'ordre établi.
c) La jeunesse au cœur des attaques de la classe dirigeante
La jeunesse est au cœur d'une contradiction : à la fois par sa capacité de contestation elle représente un danger pour la classe dirigeante, mais elle est aussi un des moyens les plus simple pour cette classe de s'attaquer aux acquis des salariés, faire baisser le coût du travail et au-delà partiellement restaurer la chute des taux de profit, ce qui est une préoccupation permanente des capitalistes depuis le début des années 70. Il est plus simple de casser les statuts, baisser les salaires avant même l'entrée des salariés sur le marché du travail. Ainsi, les jeunes se retrouvent au cœur des attaques des différents gouvernements. Les réformes de l'éducation, le processus de Bologne sur les universités à l'échelle européenne, ont pour objectif de déqualifier les diplômes. Dès la formation, ils préparent le fait que les salariés n'aient plus de garanties collectives avec des diplômes de plus en plus individualisés, aient des salaires plus faibles avec des diplômes non reconnus dans les conventions collectives, soient des salariés corvéables à merci et adaptés aux besoins spécifiques des entreprises avec de plus en plus de partenariat publics/privés dans les universités.
En Europe les jeunes ont aussi été plus fortement victimes de la crise : de 2008 à 2009, le taux de chômage en Europe a augmenté de 1,5 point (atteignant les 8,8 %) tandis que celui des jeunes a lui augmenté de 3,7 points (atteignant 18,4 %). L'Etat espagnol est le pays européen où le taux de chômage des jeunes est le plus élevé (l'année dernière il a augmenté de 12 points tandis que le taux de chômage global n'a augmenté que de 8 points). Le second pays dans ce cas est l'Italie, où la différence entre le taux de chômage global et celui des jeunes est de 17%.
Le chômage massif des jeunes, qui s'est encore accru avec la crise, les pousse à accepter des conditions de travail toujours moins bonnes, moins payées, plus précaires et sert de prétexte aux différents gouvernements pour mettre en place des statuts spécifiques pour les jeunes salariés : exonération de cotisations patronales pour les entreprises qui embauchent des jeunes, contrats de travail spécifiques avec moins de droits, salaires plus faibles…
Pour résoudre la contradiction : forte capacité de mobilisation mais besoin de l'attaquer prioritairement, la classe dirigeante est obligée de déployer un arsenal répressif pour tenter de mâter les explosions de la jeunesse : contrôle policier, discipline scolaire, emplois du temps d'études et de vie quotidienne épuisants, répression féroce des mouvements (flics sur les lycées, armée dans les facs, Etat d'urgence contre les émeutes de banlieues…).
Même si la classe ouvrière est la force centrale pour renverser le capitalisme, il est évident que la jeunesse est un secteur déterminant, qui joue un rôle dans la lutte des classes et que nous devons chercher à gagner à nos organisations et à influencer dans ses mobilisations. Les organisations de la IVème Internationale doivent chercher à) organiser les nouvelles générations militantes qui émergent dans les différents pays.
2. Quelle place pour les jeunes dans nos organisations et comment nous construire dans ce secteur ?
a) La jeunesse : une priorité
Pour cela, l'intervention en direction de la jeunesse doit être une des priorités de nos organisations, en cherchant à mettre en place une activité régulière en direction des grandes concentrations de jeunes : universités, lycées mais aussi entreprises de jeunes précaires (Mac Donald…). L'élaboration de cette activité doit être discutée à part entière au sein de nos organisations. Elle doit être une préoccupation majeure et quotidienne. Etre à l'écoute de ces mobilisations, conserver une élaboration permanente et une activité régulière en direction de ce secteur sont les seuls moyens d'influencer ses luttes et de gagner les nouvelles générations militantes à nos organisations.
b) Construire des organisations qui permettent de capter les spécificités de la jeunesse
Nous devons aussi construire des cadres militants qui permettent de capter les spécificités de cette jeunesse : des modes et des biais de politisation différents, des rythmes de mobilisation plus rapides, une plus grande radicalité. La majorité des jeunes viennent à la politique par l'action et pour agir. Nous devons construire des organisations pour agir, qui soient en lien direct avec les mobilisations et qui soient utiles à leur mise en place. Il faut aussi d'une certaine manière s'adapter aux rythmes plus rapides en offrant des cadres militants quotidiens.
Pour répondre à cette radicalité, nous devons afficher notre profil anticapitaliste et révolutionnaire.
c) Au sein des organisations, besoin de cadres spécifiques pour coordonner l'intervention en direction des jeunes et leur permettre de faire leurs propres expériences.
Pour répondre à leur aspiration à une certaine autonomie, nos organisations doivent offrir aux jeunes des cadres spécifiques leur permettant d'élaborer entre eux et de faire leurs propres expériences : organisation de jeunesse, secteur jeune au sein des partis ou autre forme de structuration de l'activité jeune au sein de nos organisations …
Le fait d'avoir des structures coordonnées d'auto-organisation permet aux jeunes de ne pas avoir à déléguer les tâches politiques à des camarades plus âgés ou plus expérimentés. Cela leur permet de prendre en charge des responsabilités, de discuter l'orientation, d'élaborer des campagnes...De ce fait, les jeunes peuvent se former rapidement et cela permet de faire émerger des cadres pour l'organisation.
Nous avons aussi besoin d'une élaboration spécifique sur les questions qui les préoccupent plus particulièrement, ainsi que l'élaboration de matériels spécifiques : tracts, brochures, journaux, affiches. En même temps, le matériel des organisations adultes doit faire une place plus importante aux questions et mobilisations de la jeunesse.
L'expérience de ces dernières années prouve que toutes nos sections ont besoin de renforcer la coordination de nos activités jeunes au sein même de nos organisations : c'est une des conditions d'une intervention efficace.
d) Un effort de formation plus important
Pour des jeunes qui vivent souvent leurs premières expériences politiques en s'organisant dans nos sections, un effort particulier de formation théorique doit être fourni pour leur permettre d'acquérir rapidement des outils pour l'action et les gagner sur la durée au militantisme et au marxisme révolutionnaire. Cette tâche est d'autant plus importante que la politisation et la radicalisation de la jeunesse est souvent plus fragile, instable et difficile à maintenir sur une longue durée. La mise en place systématique d'une formation de base à l'économie marxiste, à l'histoire du mouvement ouvrier et à la stratégie révolutionnaire est un élément indispensable. Rendre accessible les textes théoriques de base sous forme de brochures, à prix réduit participe de cet effort. Dans ce cadre-là, le maintien de l'école jeune annuelle qui se tient à l'institut d'Amsterdam fin août est un élément déterminant. Chaque section devrait se préoccuper en amont de pouvoir y envoyer des jeunes chaque année.
e) Le camp jeunes
De même, le camp jeunes de la IVème Internationale est un acquis central. C'est une éducation vivante à l'internationalisme : expérience trop rare d'échanges de militants à militants sur nos expériences de luttes, élément d'une meilleure compréhension du monde et développement de la fraternité, de la camaraderie à l'échelle internationale. Pour de nombreux jeunes, ce camp de jeunes est ce qui fonde leur attachement profond à la IVème Internationale et qui fonde leur conviction profonde de la nécessité de l'internationalisme. En ce sens, il est un élément important pour la construction et le renforcement de la IVème Internationale.
Ce camp doit se maintenir mais aussi être renforcé. Chaque section doit avoir la préoccupation de le construire. Développer des campagnes de mobilisation auprès de nos sympathisants jeunes, dans les lieux où nous intervenons habituellement, aider financièrement ceux qui souhaitent y participer, populariser cette expérience dans nos organisations…
Dimitri, Mathilde, Julien, JB, Caroline, Damien, Morand, Suzanne [NPA, France], Daniele, Tatiana [Sinistra Critica, Italie], Pechi, Patricia, Javi, Alex [Izquierda Anticapitalista, Etat espagnol], Iro, Manos, Charis, Fanis [OKDE, Grèce], Commission jeunes [RSB, Allemagne], Giorgos [Socialist Resistance, Grande-Bretagne], Contribution soumise aux camarades jeunes par Philomena (CI France) et Thomas (CI Danemark), responsable pour le travail avec les secteurs jeunes