Après le passage de Sarkozy en Martinique, un nouveau défi pour le mouvement populaire

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Photothèque Rouge/JMB

Philippe Pierre-Charles, co-secrétaire général de la Confédération martiniquaise démocratique du travail (CDMT) et porte-parole du " Comité du 5 février» (quasi-équivalent en Martinique du LKP guadeloupéen), est militant du Groupe révolution socialiste (section antillaise de la IV<sup>e</sup> Internationale).

Illusionniste de grand talent, chef d'État et… metteur en scène, Nicolas Sarkozy aura-t-il convaincu au-delà des crédules professionnels ? En tous cas, il a tout déployé pour orner de roses toutes fraiches les chaines du capitalisme colonial qui continuent de tenir les peuples des dernières colonies de la France. Confronté à un mouvement populaire sans précédent en Guadeloupe et Martinique, il est allé au bout de ce qu'il peut promettre sans toucher au noyau dur du système dominant.

Pour clamer " notre histoire est commune, nos sangs sont mêlés » (citation de mémoire d'une phrase qui fait mouche malgré ses approximations tendancieuses) il a habilement choisi l'occasion de l'hommage officiel enfin rendu par la France qu'il représente aux premiers Résistants antillais contre Robert, Sorin, Pétain et Hitler, les "Dissidents". Au passage, il a quelque peu " tordu » la vérité historique en mettant au compte exclusif du patriotisme pro-Français le soulèvement martiniquais contre un régime odieux illustré ici par la domination tri-séculaire d'une caste raciste, les Békés, domination qui atteignait à l'occasion sa véritable apogée. Pour réaliser cette simplification historique abusive il devait forcément passer sous silence le nom de quelques Dissidents célèbres, les Fanon, Manville, Mauzole.… Toujours est il qu'à l'endroit même où un Préfet très " républicain » avait coupé le micro à un " Dissident » exigeant reconnaissance — au fait nous n'avons pas été si nombreux à crier notre indignation à l'époque! — il a arraché des larmes aux survivants en dénonçant sans ambages l'injustice de l'oubli.

Pour évoquer les problèmes du présent, pour promettre que la lumière serait faite sur le scandale des prix aux colonies, que l'État lui-même veillerait au grain, qu'un terme serait mis au racisme institutionnel symbolisé par une haute administration et une " élite » blanches dans un pays de Noirs — quel camouflet pour tous ceux qui s'étranglent d'indignation quand c'est nous qui dénonçons cela ! — pour laisser entendre que de nouvelles libertés seraient accordées aux élu-e-s en matière de relations avec la Caraïbe, il a mis en scène une séance solennelle des états généraux qui ne sont après tout que l' arrière-train bureaucratique et manipulé du grand mouvement social du premier trimestre 2009 !

Pour livrer un avant-gout des mesures qu'il a déjà prises " pour nous », l'homme du discours (raciste) de Dakar n'a pas craint de se déguiser en grand admirateur de l'homme du " Discours (antiraciste) sur le colonialisme » !

En somme avec ces trois moments nous avons eu droit à trois exercices d'hommage du vice à la vertu ! C'est un signe des temps plutôt réconfortant que pour avoir l'oreille des colonisés, le Pouvoir soit obligé de rompre, pour le moment en paroles et avec certaines limites, avec la longue tradition de mépris qui a formé la trame des rapports entre la France et ses colonies. Nicolas Sarkozy reconnaissant les outrages du passé, brocardant le " statu quo » — jadis toujours présenté comme notre seule garantie de bonheur et de civilisation — vilipendant sans ménagement le mensonge obstiné de ses valets qui passent leur temps à diaboliser toute idée de changement de statut ! Nicolas Sarkozy condamnant cette politique de manipulation des peurs irraisonnées comme une atteinte à la démocratie ! Mais pourquoi diable aucune caméra n'a-t-elle à ce moment précis balayé en gros plans certains visages bien connus ?

Et puis voici l'homme qui a créé un ministère associant outrageusement dans son intitulé même les mots immigration et défense de " l'identité française », côte-à-côte avec le premier occupant de ce ministère qui se met tout de go à faire, sous l'image de Césaire et en face de Pierre Aliker, l'éloge d'une République accueillant " l'identité forte » (sic) des Antilles !

Il ne restait finalement à cet expert en belles paroles qu'à reconnaitre le droit des peuples martiniquais, guadeloupéen… comme tous les peuples du monde à l'autodétermination c'est-à-dire à l'indépendance s'ils le désirent. Proclamer ce droit démocratique, sans évidemment prétendre choisir à notre place, c'était le Rubicon infranchissable pour tout bon représentant de la bourgeoisie française mis à la tête de l'État. Les velléités démocratiques ont des limites et même quand il parle de " consulter la population ». Nicolas Sarkozy n'envisage pas une seconde que ce soit le peuple à travers une assemblée constituante librement élue qui ait le pouvoir, même de façon négociée et donc partagée, de rédiger la question ou les questions soumise(s) à consultation !

Le bon peuple en est alors réduit aux supputations sur les intentions du prince. Va-t-on lui demander de choisir entre statu quo et changement ? Entre 73 et 74 ? Entre articles de constitution et mise en place immédiate Assemblée Unique sans article en attendant mieux ? Seul le " démocrate » Sarkozy a les clefs et il n'acceptera de les montrer qu'aux élus pour décider lui-même en tout état de cause. C'est toujours la méthode des états généraux : causez, causez, causez mais, in fine — pour parler comme quelqu'un — c'est moi qui décide.

C'est bien pour cela que le mouvement populaire est confronté à un défi nouveau : celui de reprendre une parole qu'on ne lui donne pas mais qu'il a déjà su prendre sans l'invitation de quiconque. Il s'agit maintenant de la prendre pour dépasser hardiment la phase absolument légitime de la seule accumulation de revendications sociales, économiques, environnementales, culturelles, démocratiques pour intégrer ces justes exigences dans un projet politico-social global comprenant des alternatives concrètes à l'enlisement et aux misères actuelles. Contrairement aux envolées de Sarkozy — très significativement silencieux sur son plan pour faire mieux ici contre le chômage que ce qu'il fait en France même sur le sujet ! — le projet que nous avons à forger ne pourra pas faire l'économie d'incursions sérieuses dans l'ordre économique capitaliste qui est responsable de la faillite actuelle. Pour cette raison incontournable, un tel projet doit être forgé dans la foulée de nos luttes, débattu dans les profondeurs du mouvement populaire sans tutelle de quiconque, sans soumission mutilante à aucun intérêt privé, qu'il soit économique, institutionnel ou carriériste. De cette façon nous éviterons d'être les victimes bernées des habiletés new look du pouvoir sarkozien.

Ne perdons pas de vue une seule seconde qu'aucun aggiornamento du discours colonial n'aurait vu le jour dans les hautes sphères sans la lutte acharnée des travailleuses et des travailleurs, des militant(e)s et du peuple contre la profitation, le mépris, le larbinisme.

Le nouveau style sarkozien est aussi un fruit déformé de la victoire de Février/Mars. Aucun critiqueur ne saurait sérieusement le nier.

Le défi idéologique et programmatique dont nous parlons, le Collectif du 5 Février a la légitimité et la capacité de l'initier en s'ouvrant encore à toutes les forces qui n'acceptent pas de se contenter de survivre dans les niches que l'on veut bien nous laisser. Il pourrait le faire d'ailleurs en dialogue fructueux avec le LKP de Guadeloupe qui vient de se définir comme un " mouvement populaire anticolonialiste et anticapitaliste ».

Les états généraux s'achèvent en eau de boudin dont la cérémonie finale préfabriquée n'est qu'une illustration de la manipulation déjà inscrite dans sa conception même. Nul ne pouvait rêver de les voir se transformer, à l'image de ceux de 1789 dont ils ont usurpé le nom, en Assemblée nationale constituante !

L'heure a sonné pour une Convention populaire martiniquaise. Sans avoir la prétention de se prendre pour la glorieuse Convention qui a proclamé la première abolition, la notre pourra s'inspirer de son audace en jetant un pont entre les justes revendications des masses laborieuses et leur droit inaliénable à l'initiative historique. ■

 

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