Simone A. Nguyen Dac est chercheur à l'Université Paris X. Nous reproduisons ici des extraits de son rapport présenté au Congrès mondial sur "la coexistence humaine dans un monde responsable et solidaire à l'aube du troisième millénaire", qui s'est tenu à Montréal (Canada) du 23 au 27 juillet 2000.
Impact de la dioxine dans le district de Ninh-Hoa
Les 210 000 habitants du district sont répartis en 26 communes et un centre urbain, dans la zone montagneuse et forestière située au nord de Nhatrang, le long de la route nationale n° 1. Après la guerre, des familles, en général des ethnies montagnardes, sont revenues pour défricher et réimplanter des cultures. Elles s'y sont contaminées sans le savoir. Ces ethnies sont peu nombreuses, car beaucoup ont péri intoxiquées ou ont été déplacées. Par contre il en reste encore dans les régions plus élevées, mais aucun recensement n'a encore été fait chez elles. C'est ainsi qu'en juillet 1999, le centre de recherche scientifique sur la Femme et l'Enfant du district Ninh-Joa et l'Association des admirateurs du Dr. Yersin de l'Institut Pasteur de Nhatrang ont pris l'initiative de choisir en premier le district de Ninh-Hoa et la commune Ninh Da pour une visite à quelques familles.
L'état de santé des enfants handicapés recensés par le service des soins aux enfants du district révèle : 83 cas de débilité plus ou moins profonde, 86 cas d'incapacité motrice, 36 cas de surdité mutilée, 29 cataractes congénitales 71 cas de retard intellectuel, 45 paralysies, 21 malformations buccales (bec-de-lièvre, fissure palatine, bouche de crapaud, malformations dentaires), 160 autres cas (anomalies isolées ou multiples : macrocéphalie, atteintes neurologiques, troubles mentaux ; malformations morphologiques : atteintes oculaires, nanisme, polydactylie etc.) soit un total de 551 cas. Ces 551 cas représentent 26,7 % des enfants handicapés recensés dans le district. Leur prévalence est anormalement élevée et l'origine de ces infirmités, en particulier des anomalies multiples, reste à établir scientifiquement.
La visite aux cinq familles, totalisant 14 enfants anormaux, présente :
Première famille : Le chef de famille a combattu autour de Truong Son durant les hostilités. Il s'est marié en 1975. En 1977 est née une première fille. En grandissant elle accumule du retard intellectuel. Elle n'a pas dépassé le niveau du cours moyen. Elle vit dans la famille et est caractériellement instable. En 1982 une seconde fille est née avec une incapacité motrice. Elles est de plus muette et incapable de comprendre et de communiquer et nécessite une prise en charge totale. Sa mère est décédée après sa naissance, son père s'en occupe seul. Il est très pauvre, perd la mémoire et souffre de migraines.
Deuxième famille : Le père a été envoyé dans la zone opérationnelle en 1976 (cinq ans après l'arrêt des épandages). Son épouse travaille comme éducatrice agricole. Ils ont quatre enfants, dont les trois premiers garçons — nés en 1985, en 1988 et en 1990 — présentent dès leur naissance exactement les mêmes anomalies : surdité, débilité, incoordination motrice. La quatrième, née en 1995, est normale. La mère reste à la maison pour s'occuper des enfants. Le père les a abandonnés. Famille nécessiteuse.
Troisième famille : le chef de famille a séjourné durant plusieurs années comme travailleur agricole dans la zone traitée par les défoliants, ils ont quatre enfants dont le premier, né en 1992, est macrocéphale, débile et atteint d'incapacité motrice. Les trois autres sont apparemment normaux.
Quatrième famille : Quatre enfants. Le premier garçon, né en 1988, est atteint de polydactylie (6 doigts aux mains et aux pieds), macrocéphale, atteint d'exophtalmie et de diplopie ainsi que de malformations buccales. Le troisième enfant, un garçon, a présenté à sa naissance les mêmes symptômes, il est décédé en 1991. Par contre leur seconde et leur quatrième filles sont normales. La famille vit dans un dénuement absolu.
Cinquième famille : Une enfant née en 1998 atteinte d'imperforation anale a bénéficié d'un anus artificiel. Le père a quitté le ménage, la mère et la grand-mère s'occupent de la fillette. Famille dans une situation financière critique.
Parmi ces cinq familles, quatre ont eu un père ayant travaillé dans la zone contaminée par la dioxine. Les autorités locales ne les ont pas encore aidées, par manque de moyens financiers. Pour l'instant elles considèrent que ce sont là des " séquelles de la guerre ». Cette première visite ne peut prétendre donner une vue d'ensemble de la situation du district. Mais si elle ne fait que soulever un petit coin du voile, elle a eu le mérite de faire entrevoir un problème humain et social resté longtemps tabou.
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2. A. Picot., Les dioxines, des généralités aux effets sur la santé, Unité de prévention du risque chimique, UPS 831 du CNRS, Gif-sur-Yvette, France, Document du 1 décembre 1999 ; "Les enfants de l'apocalypse", Humanité du 21 avril 2000.
3. A. Froissart et P. Eranian, "La guerre du Vietnam tue encore", Marianne du 1-7 mai 2000 ; Fred Pearce, "Guerre et Environnement, réaction en chaîne", Le Courrier de l'UNESCO, mai 2000 ; Ron Moreau, "Of Peace and Poison", Newsweek du 3 mai 2000.