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Pétrole irakien, objet de concurrence

par Jan Malewski
Les réserves pétrolières, évaluées à 112,5 milliards de barils, soit 11 % du total des réserves mondiales actuellement connues, font de l'Irak le second pays pétrolier au monde, après l'Arabie Saoudite. De plus, les experts estiment généralement que l'Irak posséderait d'immenses réserves non encore découvertes, qui pourraient atteindre au total plus de 250 milliards de barils, s'approchant de celles de l'Arabie Saoudite. En particulier on s'attend à découvrir des réserves de l'ordre de 100 milliards de barils dans le désert occidental. En mai 2002 un vice-ministre irakien avait même déclaré à Platts (un cabinet spécialisé dans l'information pétrolière), que l'Irak estimait les réserves non encore viabilisées à 214 milliards de barils, ce qui porterait le total des réserves irakiennes au-delà des 300 milliards de barils (1). Si aux États-Unis et en Norvège la durée de vie des gisements connus est seulement de 10 ans au rythme actuel de l'exploitation, et au Canada de seulement 8 ans, en Iran elle s'élève à 53 ans, en Arabie Saoudite à 55 ans, aux Émirats Arabes Unis à 75 ans, au Koweït à 116 ans, en Irak elle atteindrait 526 ans ! Selon le Oil and Gas Journal, les compagnies pétrolières occidentales estiment le coût de production d'un baril de pétrole irakien à 1,5, voire à seulement 1 dollar. Par comparaison ce coût est de 5 dollars par baril dans les autres champs pétroliers bon marché, tels ceux de Malaisie ou d'Oman, il atteint 6 à 8 dollars en Russie et au Mexique, 12 à 16 dollars dans les puits offshore de la Mer du Nord et dépassent les 20 dollars par baril au Texas et au Canada (2). Le prix de vente du baril sur le marché libre variant ces dernières années entre 20 et 35 dollars, l'intérêt de l'exploitation du pétrole irakien se passe de commentaires.

Américains et Britanniques évincés

En 1972, la nationalisation de l'Iraq Petreolem Company, dont les principaux actionnaires étaient Shell, BP, Esso (devenue Exxon), Mobil et la Compagnie Française des Pétroles, a mis brutalement fin à la domination anglo-américaine sur le pétrole irakien. Après la nationalisation, l'Irak s'est tourné vers les entreprises françaises et vers le gouvernement soviétique pour la coopération et l'aide technique. Juste avant la première guerre du Golfe, en 1990, des entreprises pétrolières japonaises avaient annoncé qu'elles étaient sur le point de conclure un accord pour l'exploitation du fabuleux champ pétrolier de Majnun, mais la guerre et les sanctions imposées à l'Irak à sa suite ont mis fin à ces négociations, écartant la concurrence japonaise.

Au cours des années 1990, des négociations au sujet du développement de la production du pétrole en Irak dès la levée des sanctions ont commencé, laissant une fois de plus sur le côté les pétroliers américains et britanniques. Les principaux partenaires furent alors Lukoil (Russie), la China National Petroleum Corporation et TotalFinaElf (France). Lukoil a signé en 1997 un accord pour le développement du champ pétrolier West Qurna. La même année un accord concédait au China National l'exploitation du champ North Rumailah. Les deux accords portaient sur des centaines de millions de dollars d'investissements. Les discussions avec TotalFinaElf sur l'exploitation du champ pétrolier de Majnun, l'un des plus prometteurs connus, et sur celui de Nahr æUmar, étaient bien avancés. Des entreprises turques ont également signé un accord de moindre importance concernant l'exploitation du gaz irakien (3).

En novembre 2002 The Observer rapportait que l'Irak avait signé " le mois dernier » plusieurs contrats s'élevant à plusieurs milliards de dollars avec diverses sociétés pétrolières, surtout chinoises, françaises et russes (4). La nervosité règne alors dans le milieu pétrolier. Le 19 janvier 2003 une délégation russe arrive en catastrophe à Bagdad pour tenter de rapiécer les rapports avec l'Irak. C'est que Saddam Hussein ayant eu vent des négociations entreprises par Lukoil avec l'administration états-unienne et les exilés irakiens au sujet de sa concession, venait d'annuler le contrat pour cinq ans visant le développement du champ pétrolier West Qurma. La délégation est revenue à Moscou avec trois contrats signés avec Saddam Hussein… Ce dernier avait également offert des contrats lucratifs aux entreprises de France, de Chine, de l'Inde et de l'Indonésie. Mais rien aux géants pétroliers britanniques ou états-uniens (5).

Concurrence armée

" Les compagnies états-uniennes et britanniques, qui aspirent à regagner leur domination historique en Irak, craignent de perdre leur rôle leader dans l'industrie pétrolière mondiale si les contrats réalisés par leurs concurrents sont réalisés. La France et la Russie constituent les principales menaces, mais la Chine, l'Allemagne, l'Italie et le Japon sont également sur les rangs » écrivait en décembre 2002 un expert de l'industrie pétrolière (6). Il rapportait également les promesses faites par des dirigeants de l'opposition irakienne émigrée, qui se sont alignés sur les États-Unis. Ainsi Faisal Qaragholi, un ingénieur pétrolier qui dirige le bureau de Londres du Congrès national irakien (INC), annonçait à un journaliste du Washington Post : " Nous allons certainement revoir tous ces accords ». Le principal dirigeant de l'INC, Ahmed Chalabi, est allé plus loin en se prononçant en faveur de la création, à l'issue de la guerre, d'un consortium pétrolier, au sein duquel les entreprises américaines seraient en position dominante, ce qui n'a pas manqué d'inquiéter le PDG de British Petroleum.

" Si vous vous retournez et que ce sont vos chars qui ont délogé le régime et que vous avez 50 000 soldats avec vos chars dans ce pays, alors vos affaires seront plus fleurissantes. C'est ainsi que cela fonctionne. Les Français n'auront que trois soldats et un char des années 1950. Cela ne peut marcher. » Cette citation de l'analyste pétrolier de la banque Crédit Suisse First Boston, Mark Flannery (7), jette une lumière crue sur l'état de la concurrence inter-impérialiste aujourd'hui.

Membre fondateur de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), l'Irak y a joué un rôle central jusqu'à la guerre du Golfe. Les sanctions qui lui furent imposées ont réduit largement le pétrole irakien disponible sur le marché et le poids de l'Irak au sein de l'OPEP. Le retour de l'offre irakienne sur la marché — estimé par les spécialistes à 6 millions de barils par jour, ce qui placerait la production irakienne en seconde position, juste derrière celle de l'Arabie Saoudite, parmi les 10 pays membres de l'OPEP — obligerait les autres pays à réduire leur production ou à accepter une forte baisse du prix du pétrole. Le contrôle du pétrole irakien par un pays extérieur à l'OPEP pourrait par ailleurs conduire à la marginalisation de l'OPEP elle-même et ouvrir la voie à une guerre des prix, qui priverait de rentabilité d'autres exploitations… Les compagnies états-uniennes, qui exploitent d'autres champs que ceux du Texas (où par ailleurs, les réserves sont limitées), pourraient ainsi mettre en difficulté leurs concurrentes exploitant des champs à coût de production élevé.

notes
1. James A. Paul, Oil in Iraq : the heart of the Crisis, Global Policy Forum, décembre 2002.

2. op. cit.

3. Oil, Business, and the Future of Iraqi sanctions, Policy Watch n° 283 du 24 novembre 1997,

4. Article de Peter Beaumont et Faisal Islam dans The Observer du 3 novembre 2002.

5. Selon Faisal Islam et Nick Paton Walsh (à Moscou), The Observer du 26 janvier 2003.

6. James A. Paul, op. cit.

7. cité par John W. Schoen, MSNBC, Iraqi oil, American bonanza ? In a post-war Iraq, U.S. companies could be major players,

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