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La démocratie des conseils à nouveau à l'ordre du jour

par
Photothèque Rouge/Jean-Pierre Deshayes

Oskar Negt est professeur de sociologie à l'Université de Hanovre. Ancien assistant de Jürgen Habermas, il était considéré comme le mentor du SDS allemand, puis fut le principal théoricien de Sozialistisches Büro, une organisation socialiste de gauche qui a pratiquement disparu avec l'émergence des Grünen. Le texte que nous publions ici fut écrit en 1969 pour une présentation de la pièce de théâtre <i>Toller</i> de Tankred Dorst. Il fut repris dans <i>Politik als Protest</i> (1971).

Cet article a été publié dans <i>Inprecor </i>n° 424 de mai 1998

Partout, dans les pays industrialisés européens, le modèle de la démocratie des conseils est à nouveau objet de discussion. L'admiration romantique pour l'autogestion yougoslave a disparu. On est convaincu que les soviets révolutionnaires de la révolution d'Octobre ne peuvent pas être tout simplement transplantés dans des sociétés hautement industrialisées. S'il est également clair qu'aucun ordre social existant n'est organisé selon l'idée originelle des conseils, pourquoi alors cette idée n'a-t-elle pas perdu depuis longtemps son actualité ? Est ce que ce n'est qu'une minorité de rêveurs, d'utopistes inguérissables qui s'en occupe de temps en temps ? S'agit-il de gens qui ignorent tout simplement les lois réelles de la société industrielle ?

Pas du tout ! L'idée d'autogestion par le truchement des conseils gagne toujours du terrain lorsque les systèmes de domination politique officiels recèlent le germe de leur ruine, lorsque les bureaucraties indépendantes ou les organes représentatifs de l'État bourgeois ne sont plus en condition de représenter les intérêts élémentaires de l'écrasante majorité du peuple. Un rappel hâtif du naufrage de la République des conseil de Munich, de la suppression des soviets en Russie, des tendances à la bureaucratisation de l'autogestion yougoslave ne constitue pas une objection plausible à l'idée de démocratie directe. La démocratie progressiste bourgeoise elle-même a eu besoin de siècles pour s'affirmer ; il est improbable que la construction de démocraties socialistes, qui visent à supprimer la domination politique, ait besoin de moins de temps. Le mouvement des conseils assume des formes d'expression multiples. Chaque processus sérieux de déstalinisation dans le bloc oriental va de pair avec une décentralisation des mécanismes décisoires économiques. Dans les pays occidentaux, des idées sur les conseils se propagent dans un contexte marqué par un recul du parlementarisme, par la tendance à l'étatisation des parlements. Les partis et les parlements s'orientent de plus en plus vers une adaptation aux intérêts de la société de consommation existante.

En revanche, la démocratisation de la société doit commencer dans les domaines déterminés par les expériences quotidiennes des hommes : dans les entreprises, dans les bureaux, dans les lycées, dans les universités. S'il n'existe aucun contrôle, on devient l'objet de manipulations par des élites dans le domaine politique aussi. Mais l'autodétermination dans les lieux de travail, l'éducation pratique à l'auto-activité n'est pas une revendication qui dans une société très industrialisée vient du dehors : elle correspond au développement industriel lui même. Au fur et à mesure que la mécanisation croissante de l'économie progresse, s'étend l'espace d'action d'unités relativement autonomes où se développent des rapports de coopération d'un type nouveau. Les rapports de commandement deviennent eux mêmes improductifs : l'épanouissement de la fantaisie politique et sociologique s'avère nécessaire.

Ces tendances de développement vont dans le sens d'une reformulation de l'idée des conseils : comme les événements de mai en France l'indiquent, la contestation antiautoritaire et antibureaucratique existe aussi dans la classe ouvrière industrielle. Les occupations d'usines et d'universités ne sauraient plus être présentées comme des aventures anarchistes. Lorsque des "conseils" s'établissent aujourd'hui dans les institutions, ils expriment l'idée socialiste de l'autogestion non seulement au niveau d'une seule entreprise, mais aussi au niveau de la société. Cela implique le dépassement de la politique comme sphère séparée des phénomènes sociaux

Ceux qui expliquent que l'autogestion conçue sous cette forme est irréalisable, doivent renoncer à tout espoir de société démocratique : à leur yeux, les rapports de dépendance, qui engendrent le système de domination actuel, sont devenus des rapports naturels.

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