Le propos de Nicolas Sarkozy est très clair : " Il s'agit de savoir si l'héritage de Mai 68 doit être perpétué ou s'il doit être liquidé une fois pour toute. »
Comme indiqué dans l'appel Mai 68, ce n'est toujours qu'un début : " Dans cette liquidation seraient visés non seulement les droits syndicaux, le Smic et le salaire socialisé, mais aussi les avancées obtenues, entre autres par les luttes féministes. »
Dans les multiples commémorations, dans nombre de publications, les acteurs et actrices de cette période semblent bien souvent désincarnés. Nul souffle, nulle consistance, nul engagement, rien qu'un événement, un fait divers. S'il existe une mémoire " ouvrière » de 1936 et du Front Populaire, Mai 68 reste souvent restreint à une révolte du monde étudiant, sans profondeur temporelle ni géographique.
Et pourtant, le soulèvement des jeunes générations contre un horizon sans couleur ayant ouvert la voie au Mai des prolétaires avec la plus grande grève de salariés en France, fut accompagné de la conjugaison internationale des révoltes au Sud (dont la lutte des populations vietnamiennes contre l'intervention nord-américaine), dans les pays de la caricature criminelle du socialisme réellement existant (dont le printemps de Prague) et dans les cœurs du système capitaliste (mai rampant italien, chute du franquisme et des colonels grecs, sans oublier la dernière révolution du court vingtième siècle avec le Portugal et ses œillets).
Un événement social ne surgit jamais du néant, ni se dissout dans l'instant immédiat. Comment passer sous silence le soutien aux rébellions, les bouleversements dans l'organisation des relations sociales, l'impact du renouveau féministe, des luttes oubliées comme celles des comités de soldats et plus largement les contestations dans les organisations syndicales et partis de gauche, le surgissement et les actions des groupes se réclamant de la révolution, sans négliger les domaines artistiques.
Le renouveau des grèves avant 1968, le resurgissement de la question sociale et des questions politiques, l'actualité espérée de la révolution pour les uns et la réponse construite par les partis (SFIO et PCF) autour de l'Union de gauche, trouveront une conclusion provisoire avec l'élection de François Mitterrand en 1981. Ce n'est pas ce que nous avions rêvé.
L'histoire écrite comme un déroulement déterminé en fonction du présent de l'écriture, comme une histoire des vainqueurs, nie les bifurcations et les croisements. Par la même, sont gommées les concrètes alternatives, les possibles non advenus, les acteurs/sujets, l'épaisseur de l'action politique et l'impact des pratiques sociales.
Les débats d'aujourd'hui pourraient, loin des messes diverses et des autosatisfactions, dévoiler la déferlante mondiale aujourd'hui déformée, dévaluée par tous ceux qui ont renoncé, se sont reniés et ont troqué leurs aveuglements ou leurs illusions d'hier contre la bienséance de l'ordre établi.
Ni éternel, ni naturel, le règne de la marchandise ne clôt pas l'histoire des hommes et des femmes, tout sera de nouveau possible, même si nous n'en connaissons ni les formes à inventer ni les horizons temporels.
Collaborateur d'Inprecor, Didier Epsztajn a dirigé, aux côtés d'Antoine Artous et de Patrick Silberstein, la publication de La France des années 1968 — une encyclopédie de la contestation, qui vient de paraître aux éditions Syllepse (Paris 2008, 900 pages, 30 euros). Une somme à lire, consulter et conserver !