Démasquer les évidences

par Didier Epsztajn

Éric Brian et Marie Jaisson, <i>Le sexisme de la première heure</i> — Hasard et sociologie, Raison d'agir éditions, Paris 2007, 17 euros

Bernard Convert , <i>Les impasses de la démocratisation scolaire — Sur la prétendue crise des vocations scientifiques</i>, Raison d'agir éditions, Paris 2006, 6 euros

Une fois n'est pas coutume, je vais évoquer deux ouvrages bien dissemblables par leur objet. Mais l'un et l'autre contribuent à dénaturaliser des faits, à " désenchanter » le monde, à démasquer des " évidences ».

Dans la plupart des pays, les statistiques indiquent un différentiel de naissances (sex-ratio) : 51,2 % de garçons et 48,8 % de filles dans les pays riches, un écart encore plus significatif en Chine avec 55 % de garçons pour seulement 45 % de filles.

Sauf très rares exceptions, ce sex-ratio semble avoir été déséquilibré depuis qu'il est mesuré (trois siècles). Pourtant, les données ne sont ni fixes dans le temps ni dans l'espace. Sans oublier qu'elles ne peuvent mesurer le sexe des enfants conçus, le constat n'est pas réductible à un ordre biologique mais bien aux incertitudes inscrites dans les organisations sociales. Comment alors penser le hasard de la naissance, la socialisation périnatale, les normes sociales et la domination sexuée ? Que mesure réellement ce sex-ratio à la naissance et qu'est-ce qu'il nous dit sur nos sociétés ?

Le travail d'Éric Brian et de Marie Jaisson est plus que remarquable depuis l'introduction : " la contradiction entre la possibilité de saisir les différences des proportions des deux sexes à la naissance d'une aire géographique à une autre et l'idée récurrente que ces proportions devraient être constantes » jusqu'à la conclusion : " C'est au contraire en prenant acte de la relativité historique et sociale des conceptions profanes et savantes à l'égard des enfants à naître, puis en dégageant une approche qui prend une pleine mesure de l'incertitude à laquelle les uns comme les autres font face, qu'on se donne le moyen de soumettre à des épreuves empiriques les faits sociaux propres aux périodes antérieures à la naissance. » Sans oublier le titre choisi " Le sexisme de la première heure ».

Le second ouvrage est plus modeste tant par son périmètre que par sa taille ( ??). Au constat d'un manque de production de scientifiques, l'auteur oppose et analyse les transformations de l'enseignement supérieur, le développement des formations professionnalisées, la mise en perspective internationale de quelques matières enseignées. La réalité se transforme, des réalités induites par les exigences des entreprises ressortent. L'auteur interroge la prétendue crise des vocations scientifiques et plus largement les impasses de la démocratisation, j'utiliserais plutôt le terme de massification, scolaire.

Bernard Convert, nous offre dans ce petit livre une enquête approfondie et des réflexions qui devraient soulever débat pour celles et ceux qui prônent des valeurs d'autonomie et de liberté critique.

Ces deux ouvrages nous invitent à aller voir derrière des évidences, des réalités chiffrées, du soit-disant bon sens et autres fariboles qui nous entraînent trop souvent vers des pensées faibles et des intelligences défaillantes.

 

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