Réédition de l'Introduction au marxisme d'Ernest Mandel

par Jan Malewski

Ernest Mandel, Introduction au marxisme, Formation Léon Lesoil, Bruxelles 2007, 8,00 euros.

Il faut saluer l'initiative de nos camarades de Belgique : alors que depuis des années nous ne disposions plus en langue française d'un livre ouvrant la voie à la compréhension de la méthode marxiste critique, indispensable tant pour comprendre la réalité que pour lutter à la transformer, la Formation Léon Lesoil vient de rééditer l'Introduction au marxisme d'Ernest Mandel avec une préface nouvelle de Daniel Bensaïd.

Ernest Mandel, dirigeant de la IVe Internationale durant de longues années, économiste marxiste de renom, a écrit ce petit livre en 1974 à l'intention de ceux qui, radicalisés dans la foulée du Mai 1968, cherchaient à rejoindre le combat anticapitaliste. C'est donc à des nouveaux militants qu'il s'adresse. Mandel, qui des années durant s'était attelé à la formation des militants ouvriers, des syndicalistes comme des jeunes révolutionnaires, avait acquis une capacité pédagogique hors pair, qui lui permettait, à travers des exemples concrets et immédiatement compréhensibles pour tous, de présenter une esquisse de la théorie et des concepts marxistes à des publics aussi différents que des syndicalistes mineurs ou sidérurgistes de Wallonie dans les années 1950, des étudiants révoltés de Paris en 1968 ou encore des travailleurs polonais désorientés par le début de la restauration du capitalisme dans leur pays.

La structure même de ce petit livre est le fruit de son expérience de pédagogue ouvrier révolutionnaire : I. L'inégalité sociale et les luttes sociales à travers l'histoire ; II. Les sources économiques de l'inégalité sociale ; III. L'État, instrument de domination de classe ; IV. De la petite production marchande au mode de production capitaliste ; V. L'économie capitaliste ; VI. Le capitalisme des monopoles ; VII. Le système impérialiste mondial ; VIII. Les origines du mouvement ouvrier moderne ; IX. Réformes et révolution ; X. Démocratie bourgeoise et démocratie prolétarienne ; XI. La première guerre impérialiste et la révolution russe ; XII. Le stalinisme ; XIII. Des luttes courantes des masses à la révolution socialiste mondiale ; XIV. La conquête des masses par les révolutionnaires ; XV. L'avènement de la société sans classes . XVI. La dialectique matérialiste ; XVII. Le matérialisme historique.

La lecture de cette introduction aidera grandement tous ceux, qui aspirent à développer leurs connaissances en lisant les œuvres de Marx et d'Engels et de tous ceux qui les ont suivis.

La nouvelle édition bénéficie d'une préface critique de Daniel Bensaïd, qui souligne à juste titre une série de faiblesses de cette introduction. Écrite par un homme en 1974, elle passe sous silence la question de l'émancipation des femmes, que la IVe Internationale a tenté de théoriser lors de son congrès de 1979. De même on aura noté l'absence des préoccupations écologiques, que la IVe Internationale a théorisées seulement lors de son congrès de 2003.

Daniel Bensaïd souligne aussi ce qui fut sans doute une des plus grandes faiblesses d'Ernest Mandel — largement partagée par la IVe Internationale alors — une conception des sociétés du soit-disant " socialisme réel » datant des analyses de Trotsky de 1936, alors que le cancer bureaucratique avait poursuivi au cours des décennies suivantes son œuvre de destruction des acquis de la révolution russe de 1917 et que les sociétés dominées par la bureaucratie stalinienne et post-stalinienne ont poursuivi leur décadence. Pour Mandel, la bureaucratie restait une " excroissance fonctionnelle du prolétariat » et il n'envisageait pas la possibilité d'une restauration du capitalisme par la bureaucratie elle-même en dehors d'une invasion extérieure (contrairement à Trotsky, qui envisageait cette hypothèse désastreuse dans la Révolution trahie). La destruction physique de l'opposition " trotskiste » en URSS et dans les pays de l'Est et le fait que la IVe Internationale n'y bénéficiait pas de présence militante après 1936-1948, explique cette faiblesse d'analyse.

Pourtant malgré les insuffisances que souligne la préface — et que je conseillerais de lire plutôt en tant que postface à ceux qui commencent à s'intéresser au marxisme, car la critique de Bensaïd suppose une connaissance de ce qu'elle critique — on ne peut que conseiller la diffusion la plus large de ce petit opuscule parmi ceux qui aspirent à compléter leur révolte par une compréhension de la méthode marxiste.