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Roland Lew 1944-2005

par

Notre ami Roland Lew nous a quitté le 30 mars 2005, victime d'une longue maladie. Né à Lausanne en 1944, il a fait ses études à Bruxelles, où il a rejoint la Jeune Garde Socialiste puis, sous l'influence d'Ernest Mandel, la section belge de la IVe Internationale. " Trotskyste », Roland était aussi un " libertaire » ou un " luxembourgiste », bref un marxiste critique convaincu que l'émancipation de la classe ouvrière ne peut être que l'œuvre du prolétariat lui-même. Cette " auto-émancipation » fut, dès le début de son militantisme, au centre de sa réflexion.

Désinvesti du militantisme d'organisation à la fin des années 1970, il avait déplacé son action sur le terrain de la recherche. Spécialiste reconnu de la Chine, il fut de ceux qui suivaient pas-à-pas les évolutions et les continuités culturelles, leurs liens avec les structures sociales, les passages des élites d'un régime à l'autre, d'un État ou d'un régime à un régime ou État nouveau. Son " L'Intellectuel, l'État et la révolution, Essais sur le communisme chinois et le socialisme réel » (1) restera à ce titre un exemple de l'analyse d'une transformation sociale et des profonds obstacles qu'elle affronte du fait de la reproduction des élites et des traditions culturelles au sein même d'un processus révolutionnaire populaire, phénomènes dont la dégénérescence stalinienne des partis communistes ne constituait qu'une caricature particulière.

S'il n'était plus, depuis longtemps, militant d'une organisation, Roland fut le contraire d'un désabusé. Partout où il résidait, il tissait des multiples liens avec les petits groupes qui, peu ou prou, partageaient son combat. Ainsi, en enseignant universitaire en Algérie, c'est tout naturellement qu'il a débattu de longues soirées avec les militant(e)s clandestins qui allaient construire le Parti socialiste des travailleurs lorsque la dictature a commencé à tolérer des opposants. Il suivait avec acharnement les débats — parfois décevants pourtant — des organisations révolutionnaires, il maintenait et multipliait les relations avec les militants, il guettait les réflexions et les positionnements nouveaux, bref, ne prétendant jamais avoir achevé sa réflexion, il était ouvert à celle des autres, dont il espérait toujours pouvoir apprendre quelque chose. Analyste des élites, il était le contraire d'un élitiste.

Les publications de la IVe Internationale — dont Inprecor — pouvaient toujours le compter parmi leurs lecteurs attentifs et leurs collaborateurs précieux. C'était un lecteur critique, capable de déceler les faiblesses d'une analyse, surtout lorsqu'il en appréciait l'orientation. " Porter le fer là où ça fait mal », comme il aimait à le répéter, pour que l'analyse critique se développe, pour ne pas permettre qu'elle se transforme à nouveau en un dogme au service des appareils — petits ou grands —, en une idéologie rassurante des bureaucrates qui n'aiment pas être remis en cause tout en prétendant que c'est " Billancourt » qu'" il ne faut pas désespérer », en un étouffoir de la pensée. Il était de ceux qui considèrent que les certitudes — celles des militants se réclamant de l'analyse de Marx tout particulièrement — ne sont faites que pour être renversées.

Ses coups de téléphone gentiment critiques, les rencontres avec lui pour disséquer ce qui n'était pas à la hauteur dans Inprecor manqueront à notre mensuel. Avec sa disparition nous perdons un critique et un auteur, un camarade et un ami.

A Anne, sa compagne, nous transmettons notre chaleureuse sympathie.

1. Roland Lew, L'Intellectuel, l'État et la révolution, Essais sur le communisme chinois et le socialisme réel, éd. L'Harmattan, Paris 1997.

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